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dont s'empareront les apologistes de la religion chrétienne; et de la même manière que S. Jean Chrysostôme, S. Basile, S. Jérôme, S. Augustin, ont introduit au sein du christianisme l'empire d'Athènes et de Rome, renouvelé et purifié, S. Clément, S. Justin, Origène, S. Grégoire de Nysse, S. Ambroise, subiront l'influence d'Alexandrie, et s'efforceront de la détruire en se l'appropriant.

Cette direction se continue jusqu'aux barbares, jusqu'à l'apparition de ces races nouvelles, qui apportent au monde naissant un élément rude encore, et qui ne sera pas stérile. Il faut prendre garde, je le sais, d'exagérer l'importance de ces dispositions fécondes apportées par les hommes du Nord. Les écrivains de l'Allemagne, qui portent volontiers dans la science et dans leurs théories un patriotisme jaloux, font souvent une part bien large à ces influences de leur race, et il y a mainte philosophie de l'histoire qui, attribuant aux nations septentrionales tout ce qu'elle retranche au christianisme, donne fièrement le nom de germanique à cette époque, qui est chrétienne avant toute chose. Mais, sans s'associer à ces prétentions superbes, il faut reconnaîre ce qui est dû à ces peuples nouveaux, ce qui leur appartient légitimement. Ne serait-ce pas cet amour plus profond, ce sentiment plus religieux de l'inconnu, de l'idéal; ces dispositions spiritualistes, que l'on ne conteste pas aux peuples du Nord, et qui, au milieu

même de leur vie barbare et de leurs courses guerrières, se déclaraient déjà dans leurs chants, dans leurs traditions, dans leurs théogonies? Ne pourrait-on pas ajouter encore une inclination naturelle à rassembler des idées autour d'un principe, et, si cela peut se dire, je ne sais quel instinct des systèmes? Ce qui est certain, c'est que ce fut après l'introduction des peuples germaniques au sein de la civilisation chrétienne, qu'on vit apparaître pour la première fois dans la théologie des tentatives semblables. Il est vrai que tout était préparé pour cela, et si c'était là en effet une des qualités de leur génie, ils arrivèrent très à propos pour la développer. Pendant les cinq premiers siècles, l'Église est surtout occupée à établir, à défendre, à expliquer des points particuliers de la doctrine du Christ; chaque hérésie est l'occasion d'une lutte et d'une discussion sur quelque dogme, et ce dogme contenu, obscurément quelquefois, dans l'enseignement de l'Évangile et dans la conscience du monde chrétien, est dégagé désormais et mis en pleine lumière. Voilà l'œuvre de la primitive Église. Tous les points de la doctrine chrétienne une fois établis fortement, on pouvait s'appliquer à porter plus haut la science théologique, à chercher la raison métaphysique des symboles, à élever peu à peu la construction tout entière, l'édifice, la somme du christianisme. Or, précisément après la première tâche de l'Église, et avant qu'elle eût commencé la seconde, le monde

germanique entra à grands flots dans la civilisation européenne, et s'il n'apporta pas ce besoin d'une philosophie chrétienne, qui se serait assurément manifesté sans lui, on ne peut nier du moins que ses instincts profonds, ses fortes inclinations spiritualistes, n'aient hâté ce développement et ne l'aient servi avec énergie.

Jean Scot Érigène est le premier et le plus éclatant témoignage de cette double influence, et si les réflexions qui précèdent sont vraies, c'est lui surtout qui les confirme. Parmi les causes qui suscitèrent cet éminent esprit, il faut faire la part de la culture antique, transmise au monde nouveau à travers les premiers siècles de l'Église, et celle de ces dispositions fécondes propres aux nations germaniques. Son originalité et sa grandeur est d'unir pour la première fois ces deux directions. Homme du Nord, fils de cette forte race bretonne d'Irlande et d'Angleterre, qui servit si énergiquement la religion du Christ, il s'est initié à la science de l'antiquité; par les pères alexandrins, par S. Denys l'Aréopagite, par le moine Maxime, il se rattache à l'esprit ancien qu'adopta le monde nouveau, et en même temps il appartient à cette grave famille germanique, représentée par Éginhard, Alcuin et Bède le Vénérable. Pour tout dire, enfin, il apparaît après la première époque du christianisme, après l'époque romaine et antique, au moment où d'autres peuples apportent des besoins plus profonds, et profitant de cette position admirable,

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il ouvre avec éclat cette époque nouvelle, cette science nouvelle, qui, sous le nom de scholastique, essayera d'accorder la raison avec la foi, et d'élever la philosophie de la révélation.

Il est donc nécessaire de revenir rapidement sur ces deux influences qu'il a subies, de connaître l'état de la science à l'époque où il a paru, de déterminer enfin les éléments dont il s'est emparé, et qui, ayant servi le développement de son génie, sont partout reconnaissables dans son œuvre.

Il y a entre l'époque romaine de l'Église et les commencements de la scholastique, dans ces années bouleversées par les invasions, un petit groupe d'hommes fidèles, studieux, qui sauvent pieusement quelques fragments de Platon, d'Aristote, de Porphyre, et lèguent ces rares et précieux débris aux siècles qui vont venir ce sont, en Orient, Nemesius et Jean Philopon; en Occident, Marcianus Capella, Boëce et Cassiodore. Ce n'est pas de ces hommes que je veux parler, ils ont peu de rapports avec mon sujet; Scot Érigène, bien qu'il cite plusieurs fois le magnifique Boëce1, peut se passer de ses secours et de ceux de Cassiodore; il sait le grec et il va chercher lui-même dans les siècles passés ce qui convient à son génie. Assurément Cassiodore et Boëce ont conservé au 1. De divisione naturæ, ed. Schlüter. Monasterii Guestphalorum, 1838, lib. I, 56, p. 58. 63, p. 63.

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monde nouveau maintes traditions de la littérature

antique, et je ne nie point que Scot Érigène n'en ait profité: mais il a eu des initiateurs plus directs, savoir les pères Alexandrins, S. Denys l'Areopagite et le moine Maxime.

C'est à Alexandrie que parurent les premiers essais d'une théologie spéculative. Le brillant développement des lettres, la continuelle présence d'une grande école philosophique, la nécessité de lutter contre les derniers sages, contre les derniers hiérophantes du paganisme, forçaient les défenseurs de la foi nouvelle d'opposer la science à la science; et la religion de Jésus, qui jusque-là s'enseignait aux simples et aux petits, aux malheureux, aux esclaves, au peuple, chercha là pour la première fois à mettre en lumière la philosophie sublime que contenaient ses dogmes. Qu'elle y parvint dès le commencement, cela n'était pas possible; elle n'était pas assez libre dans ces études. Sans cesse préoccupés des doctrines de leurs adversaires, les docteurs chrétiens devaient s'en approprier quelques-unes et introduire dans leur enseignement plusieurs idées de cette philosophie antique, dont le prestige était encore si grand dans le monde. Voilà bien ce qui arriva; et c'est un curieux phénomène, trop peu remarqué peut-être, que cette action des deux religions l'une sur l'autre et le résultat qu'elle produisit. Il y eut entre elles de singuliers échanges. La philosophie alexandrine, par l'entraînement natu

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