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teurs c'est S. Augustin, le maître des prédicateurs c'est le pape S. Grégoire, le maître des mystiques c'est S. Denys l'Areopagite, et S. Augustin, S. Grégoire, S. Denys sont continués par S. Anselme, S. Bernard et Richard de Saint-Victor; quant à Hugues de Saint-Victor, il unit à la fois toutes ces directions. Voilà ce que les docteurs du treizième siècle ont pensé de leurs maîtres; il n'est pas dit un mot de Scot Érigène. Comment expliquer ce silence?

Je l'explique tout naturellement par la renommée suspecte de Jean Scot. Nous l'avons déjà vu, les singularités, les nouveautés étranges de sa doctrine avaient provoqué la défiance de l'Église et rejeté dans l'ombre les beautés véritables qu'elle renferme. Ce n'est pas tout encore: telle fut la singulière destinée de Jean Scot, que, repoussé par l'Église à cause de ses hardiesses, il fut adopté pour cela même par toute une école de panthéistes qui, défigurant la partie irréprochable de sa philosophie, firent de lui le chef et le maître de leur doctrine grossière; et cet homme, qui avait ouvert la route si glorieusement suivie par S. Bernard et les chanoines de Saint-Victor, devint le représentant de je ne sais quelle philosophie occulte, mélange de panthéisme et de manichéisme, qui, après avoir traversé obscurément le moyen âge, se produisit ouvertement au treizième siècle dans l'évangile éternel de l'abbé Joachim et l'hérésie des Albigeois.

Parmi ces disciples indignes qui se sont emparés

du nom de Jean Scot, je ne parle pas, bien entendu, de Bérenger. Ce fougueux hérétique n'avait renouvelé l'opinion de Scot Érigène que sur une question particulière, sur le dogme de l'Eucharistie. C'est surtout après Bérenger que se déclare contre Jean Scot cette défiance de l'Église qui le fait repousser par les esprits sages et rechercher avidement par les sectaires aventureux. Au temps de Bérenger, Jean Scot était encore en grand honneur. Le pape l'avait poursuivi auprès de Charles le Chauve, mais assez timidement, et sans insister beaucoup, à ce qu'il semble, sur le désir qu'il manifestait de le voir éloigné des écoles de Paris; et pendant ce temps-là, sous les yeux même du pape, à la cour de Rome, le bibliothécaire Anastase avait hautement rendu hommage non-seulement à l'étendue de son érudition, mais à la sainteté sans reproche de sa vie. Les différents conciles où il fut condamné n'avaient fait qu'attaquer plusieurs points particuliers de sa théologie; on n'avait pas repoussé sa philosophie tout entière. Cette philosophie restait donc intacte et protégée par l'autorité dont lui-même avait joui si longtemps auprès de Charles le Chauve. Mais quand ce souvenir se fut effacé peu à peu, et que, deux siècles après, un hérétique ardent, opiniâtre, reproduisit avec éclat une des opinions de Jean Scot, et condamné maintes fois, mais résistant toujours, fut enfin obligé de brûler de sa main son livre et celui de son maître, on comprend que Scot Érigène dût être désormais

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repoussé des traditions de l'Église. Nous avons une lettre de Bérenger à Lanfranc, qui atteste que Jean Scot était encore, au onzième siècle, un maître qu'on osait suivre s'il eût été frappé dès lors de cette suspicion qui l'atteignit plus tard, Bérenger eût-il pu écrire à Lanfranc ces hardies paroles, quand celui-ci condamna l'opinion de Jean Scot sur l'Eucharistie: « Si cela est, mon frère, tu as fait une chose indigne du grand génie que Dieu t'a donné.... Si Jean est « pour toi un hérétique, il faut que tu déclares aussi «que S. Ambroise est un hérétique, et S. Jérôme et «S. Augustin, pour ne rien dire des autres. 1»

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Je n'ai pas à parler ici de Bérenger; on sait avec quelle énergie indomptable cet âpre génie défendit l'hérésie de Jean Scot, qui était devenue la sienne. On sait ses résistances, ses luttes, ses concessions momentanées, suivies de retours plus ardents vers sa doctrine; on sait de conciles il occupa, que que d'excommunications le frappèrent; on sait les noms glorieux de ses adversaires, Lanfranc, Albéric, Grégoire VII, tous réunis pour l'abattre. Ce qu'il importe de remarquer seulement, c'est que, dans cette lutte désespérée, en s'appuyant sans cesse sur l'autorité de son maître Scot Érigène, il l'entraîna avec lui dans sa ruine, et que le jour où il brûla son traité de l'Eu

1. D'ACHERY, Spicilegium, tom. III, p. 413.

2. CRAMER, Fortsetzung zu Bossuet. Schaffhausen, 1777, 5 Th., erster Bd., S. 269.

charistie au concile de Rome, ce ne fut pas seulement ce traité, mais toute la philosophie de Jean Scot qui sembla condamnée au feu et frappée d'anathème aux yeux des siècles suivants.

Je le répète, Scot Érigène, le père de la scholastique, le précurseur de tant de grands esprits dont l'Église s'honore, fut désigné dès lors aux soupçons de ses véritables descendants, et aux recherches avides d'une école indigue de lui, qui s'empara illégitimement de l'autorité de son nom et de ses ouvrages. Il n'est jamais cité par ceux qui se rattachent évidemment à sa philosophie, et il l'est souvent par ces hommes qui n'ont fait que la défigurer; de sorte qu'après un examen superficiel, l'historien trompé pourrait compléter faussement le passage de S. Bonaventure, et dire que si les docteurs descendent de S. Augustin et de S. Anselme, les prédicateurs de S. Grégoire et de S. Bernard, les mystiques de S. Denys l'Aréopagite et de Richard de S. Victor, toutes les doctrines occultes du moyen âge, toutes les extravagances panthéistes, mystiques, manichéennes, appartiennent à Jean Scot Érigène. Montrons en peu de mots cette triste destinée du système de Jean Scot: nous verrons bien si elle était méritée.

Vers la fin du douzième siècle il se fit dans le monde chrétien un grand mouvement d'idées panthéistes et mystiques, d'où sortirent toutes les sectes qui pendant les deux siècles suivants éclatèrent dans

le midi de la France, dans le Pays-de-Vaud, en Flandre et sur les bords du Rhin. Deux hommes, Amaury de Chartres et son disciple David de Dinan, semblent avoir été les principaux représentants de ces doctrines nouvelles. Il n'est rien resté de leurs ouvrages. Nous savons seulement qu'Amaury était né à Bène, dans le diocèse de Chartres, qu'il enseigna la théologie à l'université de Paris vers la fin du douzième siècle, et que, en 1204, accusé d'hérésie devant le pape, renonça aux opinions qui l'avaient fait condamner; mais, disent les vieux chroniqueurs, il ne se soumettait que de bouche et gardait sa pensée. Ce qui est certain, c'est que peu de temps après sa mort, vers 1209, un grand nombre de religieux, convaincus de partager ses erreurs, périrent sur les bûchers de l'Église. Les historiens du temps nous ont conservé leurs noms.1

il

Quel était l'enseignement d'Amaury de Chartres? Nous ne le savons que par ces chroniques, et par les adversaires d'Amaury, Albert le Grand, Saint-Thomas, Gerson.

Voici les opinions attribuées à Amaury par Odon, évêque de Tusculum; on les trouve citées dans Gerson: Tout est Dieu, Dieu est tout. Le Créateur et la créa

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Voyez

1. Sur Amaury de Chartres et ses disciples, voyez les Actes du Concile de Paris, qui les condamne, apud MARTène et Durand, Thesaurus novus anecdotorum, 1717, tom. IV, p. 163. aussi l'article de M. Daunou dans l'Histoire littéraire de la France, tome XVI, p. 586 et suiv.

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