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de peur d'encourir le reproche de pusillanimité; enfin, après maintes résistances, le disciple se rend, tremblant encore, à l'avis du maître, et celui qui tout à l'heure voyait avec effroi fuir le Dieu sans nom, le salue à présent en lui, autour de lui, partout, dans l'immense univers. Voilà, dans cet entretien naïf, le danger clairement indiqué, et puisque Scot Érigène en a eu un sentiment si vrai, on ne s'étonnera pas qu'il ait réussi à y échapper. Nous aurons occasion de revenir sur ce sujet quand nous séparerons Scot Érigène des faux mystiques avec lesquels le moyen âge l'a souvent confondu.

Je le répète, les deux théologies dont nous venons de parler sont comme unies chez ce premier fondateur de la philosophie scholastique, lequel, sans repousser les traditions de ses maîtres, des Pères alexandrins, a besoin d'une science nouvelle et tout à fait chrétienne. Cette position qu'il occupe dans l'histoire nous est indiquée par ces deux méthodes qu'il a développées longuement. Cette théologie qui nie tous les noms, tous les attributs de la Divinité, c'est la théologie alexandrine, si empressée à cacher son Dieu. Cette théologie qui affirme, c'est la théologie chrétienne, dont le Dieu veut se manifester et se révéler. La première a reculé Dieu si loin que nous avons été effrayés, croyant que c'était là le nihilisme, et que ce Dieu dont on ne peut rien dire n'existait pas pour nous. La seconde vient de le placer si près, que nous

avons eu peur du panthéisme. Mais ce n'était, chez l'une et chez l'autre, qu'une fausse terreur; car ce rien, qui est le seul nom qui convienne à Dieu, est, en réalité, la plénitude de l'être; et malgré son éloignement, nous sommes sans cesse avertis de sa présence. Quant au panthéisme, quant à la confusion du Créateur et de sa créature, nous savons que nous ne devons pas la craindre, maintenant que nous avons vu ce Dieu si élevé au-dessus du monde, si supérieur à la création. Aussi nos craintes se détruisent l'une par l'autre. Il y a une certaine beauté, chez Scot Érigène, dans l'emploi de ces deux méthodes. Il semble que la première ne place son Dieu si haut, que pour permettre à la seconde de le reconnaître partout dans l'univers. Plus Dieu doit être présent dans le monde, plus nous devons sentir qu'il nous entoure, plus aussi il est indispensable que ce Dieu ne puisse être confondu avec son œuvre; plus il faut reculer dans l'infini ce Dieu dont je porte en moi l'image. Cette double idée d'un Dieu infiniment éloigné et qui se révèle sans cesse à nous, indique le passage du néoplatonisme à une direction vraiment chrétienne: or, passage se fait avec un certain mélange d'enthousiasme et d'effroi que nous avons vu naïvement exprimé. On assiste ici au premier éveil de la philosophie chrétienne, apercevant le monde qu'elle. va parcourir, et on comprend cette prière qu'elle adresse au Médiateur: «Dieu, notre salut et notre rédemption, qui

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ce

« nous as donné la nature, donne-nous aussi la Grâce;

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«

fais-nous voir ta lumière, à nous qui marchons à « tâtons dans les ombres de l'ignorance et qui te cherchons; retire-nous de nos erreurs; tends ta main aux faibles qui ne peuvent parvenir à toi sans toi; montre-toi à ceux qui ne cherchent que toi; déchire « les nuages des vaines imaginations qui ne permettent « pas à la pensée pure de te contempler dans la mesure où tu te laisses voir, toi, l'invisible, à ceux qui veu«<lent adorer ta face; car elle est leur repos, leur fin

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«

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dernière, et au delà ils ne désirent plus rien, parce

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qu'au delà il n'y a point de bien plus grand.1

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Chose remarquable! non-seulement Scot Érigène est le père de la philosophie scholastique, mais il semble qu'il en renferme en lui tous les développements. Il unit toutes les directions qui se partageront plus tard cette philosophie. Son œuvre est souvent comme un chaos, confus sans doute, mais très-riche, et d'où sortiront les différentes familles de la science du moyen âge. Il y en a deux surtout, les mystiques

1. De divisione nature, lib. III, 10, p. 109, 110.

et les scholastiques; or, ces deux familles de penseurs qui se confondent parfois, et parfois se séparent trèsnettement du douzième au quatorzième siècle, relèvent également de l'auteur du De divisione naturæ.

Avant de suivre dans l'histoire ces influences de sa doctrine, marquons un fait important qui nous expliquera ce qu'il y a de singulier dans sa destinée. Il y a deux choses à considérer, il y a deux parts à faire dans la philosophie de Scot Érigène : il y a, d'un côté, l'énergie de la pensée, l'entreprise d'un système, d'une construction métaphysique, et l'exemple légué à l'avenir; de l'autre, et tout à fait en dehors de ces sérieux titres de gloire, il y a les bizarreries, les subtilités byzantines, les singularités particulières à Jean Scot et à son siècle, et aussi les erreurs théologiques où il se laissa entraîner. Or, comme ces bizarreries et ces erreurs théologiques le firent condamner par l'Église, il arriva que l'influence sérieuse et véritable de son entreprise philosophique ne fut pas reconnue par les siècles suivants, qui la subissaient. Au contraire, .sa renommée suspecte, ses hardiesses condamnées, ont fait de lui au moyen âge un personnage mystérieux et presque le chef de je ne sais quelles doctrines ténébreuses, auxquelles se rattacheront tous les faux et mauvais mystiqués. Au onzième siècle, Bérenger continue, sur une question particulière, l'enseignement de Jean Scot, et proclame très-haut son autorité ; c'est là au moins un disciple qu'il pouvait avouer,

et dont il eût été fier; mais, après Bérenger, le nom de Jean Scot n'est plus cité que par des disciples indignes de lui, ou par des adversaires qui le combattent sans le connaître. Nous montrerons aussi de ce côté cette triste destinée d'Érigène, de son nom chargé d'anathèmes, de son œuvre méconnue et défigurée grossièrement. Indiquons d'abord l'action salutaire qu'il a exercée. Je sais bien qu'il n'est cité nulle part, qu'il n'est nommé par aucun de ceux qui continuent sa tâche; mais l'histoire de son influence sur ses descendants est ailleurs que dans des citations. Y a-t-il quelque rapport de parenté entre les doctrines philosophiques du moyen âge et le système de Jean Scot? Tout le problème est là.

Je disais que les deux directions de-la philosophie du moyen âge, la scholastique et le mysticisme, se rattachent à lui. Cherchons d'abord quels rapports

il

y a entre sa doctrine et celle des scholastiques.

Il y a un principe qui ouvre et qui domine toute la doctrine de Scot Érigène, c'est celui-ci : qu'il n'y a pas deux études, l'une de la philosophie, l'autre de la religion, mais une seule, qu'on peut appeler indifféremment religion ou philosophie; car la vraie religion est la vraie philosophie, et la vraie philosophie est la vraie religion. Ce principe, proclamé dès le commencement, a pour l'historien une double importance; il s'applique à la fois à Jean Scot et au long développement philosophique des siècles suivants. J'ai dit

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