lui en découvre les erreurs et les fausses maximes. 2o Le monde est une voie toute semée d'écueils et de précipices. Tout est danger dans le monde: danger dans la naissance, dans l'élévation, dans les soins publics, dans l'usage des grands biens, dans les entretiens, dans les amitiés, dans le mariage, dans l'état de liberté, etc.; voilà le monde: si vous échappez d'un péril, vous venez bientôt échouer à un autre; et ne croyez pas que tous ces dangers eussent été moindres pour vous que pour un autre. Quand même des exemples domestiques de vertu auroient quelque temps défendu votre innocence; ah! que les exemples touchent peu dans cette première saison de la vie qu'on destine à l'oubli de Dieu! Vous auriez peut-être envié le bonheur des ames qui servent Dieu, et qui sont à lui sans réserve; mais rentraînée à l'instant par le torrent fatal des exemples, la vertu n'auroit jamais eu que vos foibles desirs, et le monde toujours votre cœur et vos affections véritables. Ce n'est pas qu'en convenant des périls innombrables du monde, et de la difficulté d'y faire son salut, je veuille justifier les vaines excuses des mondains. Il est difficile, disentils, de vivre chrétiennement dans le monde: cela est vrai. Mais combien d'ames fidèles la grâce y forme et y conserve-t-elle tous les jours à vos yeux! Le plus sûr, dites-vous, seroit de tout quitter, et de s'aller cacher au fond d'une retraite. Ah! je l'avoue avec vous; mais il ne faut pas que les desirs d'un état devenu impossible, vous calment sur les dangers de votre état présent : c'est une illusion de ne pas faire ce qu'on doit, parce qu'on voudroit faire ce qu'on ne peut pas. 3o Le monde est le lieu des tourments et des tristes inquiétudes. On croiroit d'abord que la joie et les plaisirs sont le partage de ce monde réprouvé; mais il s'en faut bien. Hélas! si l'on pouvoit y être heureux du moins en oubliant Dieu, et en ne refusant rien aux passions insensées; si on n'évitoit pas les supplices éternels destinés aux pécheurs; du moins on jouiroit du présent; mais ce présent même, cet instant rapide, est refusé au pécheur. Dieu qui nous a faits pour lui, ne veut pas que nous puissions être un instant mème heureux sans lui : il se sert de nos passions pour nous punir de nos passions mêmes. En vain nous formons-nous un plan de félicité dans le crime, notre cœur dément bientôt cette espéperance; et il ne nous reste rien de plus réel de cette vaine idée de bonheur, que le chagrin de nous l'ètre en vain formée. Jésus-Christ n'a pas laissé sa paix au monde, il ne l'a laissée qu'à ses disciples : ainsi en le lui sacrifiant aujourd'hui, vous ne lui sacrifiez rien de trop aimable; et ce qui fait le prix et le mérite de votre sacrifice, est bien plutôt le plaisir saint avec lequel vous le consommez, que les plaisirs frivoles auxquels vous renoncez. Oui, si vous connoissiez le fond et l'intérieur de ce monde misérable, vous n'y verriez que des malheureux. Voilà le monde avec toutes ses erreurs, ses périls et ses inquiétudes. Réjouissez-vous donc de ce que Dieu vous a délivrée de la tyrannie de ce monde, pour faire sa demeure au milieu de votre cœur, et y établir une paix et une sérénité éternelle. SECOND SERMON POUR UNE PROFESSION RELIGIEUSE. DIVISION. I. Les tentations. II. Les consolations de la vie religieuse. 1o PARTIE. Les tentations de la vie religieuse. Il y a trois tentations à craindre dans cet état: premièrement, la tentation du temps; secondement, la tentation du dégoût; troisièmement, la tentation des exemples. 1o La tentation du temps. Les commencements sont d'ordinaire fervents et fidèles: mais ces premières années passées dans la ferveur, on croit être en droit de se reposer: première tentation. Or, pour vous armer contre un écueil où la grâce de la vocation vient souvent échouer, souvenez-vous que l'esprit de la vie religieuse que vous embrassez, est le même pour tous les âges; que les règles saintes de cet institut sont les mêmes pour tous les temps; et qu'ainsi dans un âge plus avancé, comme dans une première jeunesse, puisque la sainteté de votre état sera toujours égale, votre fidélité doit toujours être la même. Ce ne seroit pas même assez : plus vous avancerez dans la profession religieuse, plus vous devez croître dans la grâce de votre état. Qui n'avance pas dans les voies de Dieu, recule. Mais s'il étoit un temps où il fût permis de servir Dieu avec une sorte de tiédeur, il semble que ce devroit être dans le commencement de la carrière, où la grâce est encore foible: au lieu que dans la suite, la grâce ayant dû croître en nous, et l'esprit de notre vocation se fortifier, la tiédeur devient un crime. Car il n'en est pas de la milice de JésusChrist comme de celle des princes de la terre: dans celle-ci, après un certain temps de travail et de service, on acquiert le droit de chercher dans le repos le délassement et comme la récompense de ses fatigues passées; mais dans la milice de Jésus-Christ, c'est en être déserteur, que de cesser un moment de combattre; et se relâcher après quelques années de ferveur, c'est perdre tout le fruit de sa fidélité passée. 2o La tentation du dégoût. Les commencements surtout de la vie chrétienne et religieuse sont toujours accompagnés d'un certain attendrissement de cœur qui nous en adoucit d'abord tous les exercices. Alors tout s'aplanit, tout devient aisé : mais ce premier goût s'use d'ordinaire; alors nos penchants d'abord si dociles se soulèvent contre le joug: de là vient qu'on se décourage, et qu'on ne fait plus que se traîner dans la voie sainte. Pour prévenir une tentation si ordinaire dans ces retraites religieuses, écoutez les avis suivants : le premier est que la source de nos dégoûts dans les voies de Dieu, est d'ordinaire dans nos infidélités : ce n'est que lorsque nous commençons à mêler les adoucissements aux devoirs, que les devoirs commencent à devenir tristes et pénibles. Ainsi si vous éprouvez jamais ces dégoûts dans la voie sainte où vous entrez, examinez-vous d'abord vous-même ; et voyez s'il n'y a pas dans votre cœur quelque principe secret d'infidélité, qui infecte tout le détail de vos exercices, et qui éloigne Dien de vous. Un second avis, c'est que les dégoûts peuvent se trouver quelquefois dans la vie la plus fervente et la plus fidèle; et en vous consacrant aujourd'hui à JésusChrist, vous devez vous attendre à des amertumes dans son service. Au commencement de la carrière, il nous soutient par des consolations sensibles, c'est un lait dont il nourrit notre foiblesse: mais à mesure que nous avançons, il nous traite comme des hommes forts; il ne nous nourrit plus que du pain de la vérité, qui est la nourriture des parfaits; et un pain souvent de tribulation et d'amertume. Mais ce qui doit alors vous consoler, c'est que le Seigneur ne demande pas de nous le goût, mais la fidélité; c'est que la vie religieuse est une vie de mort et de sacrifice, et que cet état de peine et de tristesse paroît l'état le plus naturel d'une ame qui a pris la croix de Jésus-Christ pour son partage. 3o La tentation des exemples. C'est encore un des plus dangereux écueils de la vie religieuse. Oui, quoique la maison où vous entrez conserve encore le premier esprit de zèle, de charité et de fidélité, qu'elle reçut des mains de son bienheureux fondateur, néanmoins parmi tant de vierges fidèles et ferventes, il est difficile qu'il ne s'en trouve quelqu'une en qui la foi paroisse plus foible, la piété plus languissante, en un mot toute la conduite plus humaine: or rien n'est plus à craindre que la tentation de cet exemple. Si c'étoient des exemples d'un dérèglement ouvert et déclaré, ils ne trouveroient en vous que l'indignation et l'horreur qu'ils méritent; mais ce sont des exemples qui s'offrent à nous sous une couleur spécieuse d'innocence, qui ne nous présentent que des adoucissements légers et presque nécessaires à la foiblesse humaine. Le remède contre une contagion si à craindre même dans le lieu saint, c'est premièrement, de se dire à soi-même, que Dieu permet les exemples de relâchement dans les maisons mêmes les plus ferventes, pour éprouver les ames qui lui sont fidèles : secondement, c'est de rappeler souvent l'exemple de ces pieuses fondatrices qui vous ont frayé les premières voies de ce fervent institut: troisièmement, sans chercher des exemples dans les temps qui nous ont précédés, c'est de vous proposer sans cesse celui des vierges ferventes, qui marchent ici à vos yeux avec tant de fidélité dans la voie du Seigneur; c'est d'étudier leur conduite, aimer leur société, rechercher leur confiance. Ilo PARTIE. Les consolations de la vie religieuse. Elles consistent dans trois avantages: Premièrement, les tentations y sont moindres; secondement, les secours y sont plus grands; troisièmement, les consolations y sont plus pures et plus abondantes. 1o Les tentations y sont moindres; parce que les trois grands écueils de l'innocence des hommes, n'exercent ici qu'à demi leur malignité et leur empire. La première tentation de la vie humaine, ce sont les richesses : or le dépouillement religieux y met à couvert de cette tentation; c'est-à-dire de l'attachement aux richesses, de l'usage injuste qu'on en fait, et des soucis inséparables, soit de l'acquisition, soit de la conservation des richesses. Le sacrifice que vous allez faire à Jésus-Christ de votre corps, en le consacrant à une continence perpétuelle, vous rend supérieure à la tentation de la chair, qui est la seconde tentation de la vie humaine : car au lieu que le monde entier semble s'empresser et se glorifier de faire naufrage contre cet écueil, dans ces asiles saints tout inspire la pudeur, tout soutient l'innocence. Le troisième écueil de la vie humaine, c'est l'usage capricieux de notre liberté ; or le sacrifice de votre esprit et de votre volonté que vous allez faire à Jésus-Christ, vous met à couvert de cette tentation, et des chutes et des embarras qu'elle entraîne. Car au lieu que dans le monde cette liberté que les hommes font tant valoir comme leur souveraine félicité, est pourtant la source de cet ennui qui empoisonne tous les plaisirs, et la cause du peu d'ordre qui se trouve dans leur vie; au contraire dans la vie religieuse tout est réglé, chaque moment a son emploi marqué : la tentation de l'ennui, de l'inutilité où l'on vit dans le monde, n'y est point à craindre: on n'y vit point au hasard et sous la conduite si incertaine et toujours dangereuse de soi-même; on y vit sous la main des règles, pour ainsi dire, toujours sûres et toujours égales. 2o L'es secours y sont plus grands. Premièrement, le secours de la retraite qui vous met à couvert des périls dont le monde est plein. Secondement, le secours des exercices religieux, qui mortifient les passions, qui règlent les sens, qui nourrissent la ferveur, qui anéantissent peu à peu l'amour-propre, qui perfectionnent toutes les vertus. Troisièmement, le secours des exemples; quel bonheur de vivre parmi des vierges fidèles, qui nous inspirent l'amour du devoir, et nous soutiennent dans nos découragements! Quatrièmement, le secours de la charité, des attentions et des prévenances de nos sœurs; quelle douceur d'avoir à passer sa vie au milieu des personnes qui nous aiment, qui ne veulent que notre salut, qui sont touchées de nos malheurs ; sensibles à nos afflictions, attentives à nos besoins, secourables à nos foiblesses! etc. Cinquièmement, le secours des avis et des sages conseils, qui nous redressent sans nous aigrir, qui préviennent nos fautes, ou en sont aussitôt le remède. Sixièmement, le secours des prières et des gémissements de nos sœurs, qui s'intéressent pour nous auprès de Dieu, et attirent sur nous ses miséricordes. Septièmement, les grâces intérieures que le Seigneur verse ici avec abondance, et qui non-seulement adoucissent son joug, mais nous le rendent aimable. 3o Les consolations plus pures et plus abondantes. On y goûte cette paix du cœur que le monde ne connoît pas, et qu'il ne sauroit donner; cette joie qui sort du fond d'une conscience pure; ce calme heureux dont jouit une ame morte à tout ce qui agite les enfants d'Adam; ne goûtant que Dieu seul, ne desirant que Dieu seul, et ne s'étant réservé que Dieu seul. TROISIÈME SERMON. POUR UNE PROFESSION RELIGIEUSE. DIVISION. Trois réflexions sur les trois vœux de l'état religieux, dans lesquelles on examine ce que ces vœux ont de commun avec la vie chrétienne, et ce qu'ils y ajoutent de plus. I RÉFLEXION. Sur le vœu de virginitė perpétuelle. Ce vœu vous engage à deux devoirs : le premier, c'est l'entière soumission de la chair à l'esprit; devoir qui vous est commun avec tous les fidèlés: le second, les moyens pour parvenir à cette soumission, dont le principal vous est particulier et propre de votre état, et les autres regardent également tous les chrétiens. Premier devoir ; l'entière soumission de la chair à l'esprit: devoir qui vous est commun avec tous les fidèles. Car la pureté que la sainteté de la vocation chrétienne exige de tous les fidèles, ne se borne pas à leur interdire certains désordres grossiers et honteux; elle va bien plus loin. Comme tout chrétien a renoncé à la chair dans son baptême, et que par là il est devenu saint, spirituel, membre de Jésus-Christ, temple du SaintEsprit, il faut pour remplir cette haute obligation, qu'il se regarde comme un homme céleste, consacré par l'onction de la divinité qui réside en lui. Dès lors pour un chrétien, non-seulement tout ce qui souille la chair est un sacrilége, mais tous les plaisirs même légitimes, où il ne cherche que la satisfaction des sens, souillent et profanent sa consécration. Or, pour parvenir à cette parfaite soumission de la chair à l'esprit, les saints fondateurs vous ont prescrits deux moyens. Le premier, qui est le propre de l'état religieux, est l'entière consécration de votre corps à Jésus-Christ, laquelle ne consiste pas seulement dans le renoncement à la société sainte du mariage: tout doit être pur et chaste dans une Vierge consacrée à la chasteté religieuse; tout ce qui n'est pas saint, éternel, céleste, la souille, la dégrade, l'avilit: telle est l'excellence de la sainte virginité qui va vous consacrer à Jésus-Christ. Pour faciliter la pratique de ce premier moyen, les premiers instituteurs y en ont joint un second; savoir, les jeûnes, les veilles, les macérations, la prière, parce qu'ils ont compris qu'il étoit impossible de conserver le corps pur au Seigneur, si la mortification n'en réprimoit les révoltes, et si la prière n'en purifioit les desirs. Or, voilà l'avantage que vous avez dans votre état sur les personnes engagées dans le monde; comme vous, elles sont obligées de conserver leur corps pur au Seigneur, et de s'interdire tous les desirs qui pourroient souiller l'ame: mais pour en venir là, ils sont obligés comme vous, et encore plus que vous, de se mortifier sans cesse, de veiller, de ne point cesser de prier et de gémir pour appeler le Seigneur au secours de leur foiblesse. Mais ces devoirs si essentiels à cette vertu, qui vous conserve pures et sans tache, deviennent comme impraticables au milieu du monde: la prière n'y est même pour les plus réguliers, qu'un moment de bienséance et d'ennui, accordé le matin et le soir à ce saiat exercice: la mortification n'y est pas moins inconnue et impraticable que la prière; en effet, comment se mortifier au milieu d'un monde où l'on donne tout aux sens? Mais dans ces asiles saints, la prière et la mortification deviennent comme le fonds et l'occupation nécessaire de votre état, et il en coûteroit plus de s'y refuser, que de s'y livrer avec une constante fidélité: tout y facilite la prière, parce que tout y inspire le recueillement : tout y conduit à la mortification; les saints usages établis, les exercices religieux, l'austérité de la vie commune, etc. Ainsi le seul privilége que les personnes du monde ont ici par-dessus vous, c'est qu'ayant au fond les mêmes obligations que vous, elles n'ont pas les mêmes facilités pour les remplir. II RÉFLEXION. Sur le vœu de pauvreté. Comme nous ne saurions presque plus jouir des bienfaits de l'Auteur de la nature sans en abuser, les saints fondateurs ont cru qu'il étoit plus sûr et plus facile ne s'en dépouiller tout-à-fait, que de se contenir dans les bornes d'un usage saint et légitime. Or, cet engagement de pauvreté religieuse renferme trois devoirs essentiels : premièrement, un détachement de cœur de toutes les choses de la terre; secondement, une privation actuelle de toutes les superfluités; troisièmement, une soumission et une dépendance entière des supérieurs dans l'usage même des choses les plus nécessaires, Le premier devoir, qui consiste dans le détachement de cœur de toutes les choses de la terre, est une obligation qui vous est commune avec tous les fidèles, puisque c'est une suite du second vœu de votre baptème, par lequel vous avez renoncé au monde et à ses pompes. Tout chrétien doit vivre détaché de tout ce qui l'environne ici-bas; parce que tout chrétien doit se regarder comme étranger sur la terre: mais rien de plus rare que ce détachement de cœur dans le monde, où l'on ne vit que comme si nous n'étions faits que pour ce que nous voyons, et que la terre dût étre notre patrie éternelle. Or, c'est en quoi l'opprobre de Jésus-Christ, que vous embrassez, doit vous paroître préférable à toutes les couronnes de la terre : ce détachement si dispensable pour le salut, et si difficile dans le monde, devient comme naturel dans la religion; parce qu'il est aisé de se détacher de tout, quand on s'est dépouillé de tout; de ne tenir à rien sur la terre, quand on n'y possède rien; et d'être pauvre de cœur, quand on est pauvre réellement et en effet. Le second devoir de la pauvreté religieuse, c'est le retranchement actuel de toutes les superfluités; c'est-àdire, de tout ce qu'on appelle dans le monde, les aises et les commodités de la vie: devoir indispensable à tout fidèle, puisqu'il est encore une suite des engagements du baptême. Les créatures ne sont pas faites pour fournir de vains plaisirs au chrétien, puisque l'Evangile les lui interdit tous, et qu'il y a renoncé lui-même dans son baptême. Bien plus, comme pécheurs, nous avons perdu le droit d'user des créatures, et de les faire servir à nos besoins, et ce n'est que par grâce que Dieu nous en accorde l'usage. Selon ces règles capitales de la foi, on doit vivre pauvre au milieu de l'opulence, et se retrancher tout ce qui ne tend qu'à flatter les sens, tout ce qui sert d'aiguillon aux passions. L'avantage que les personnes du monde ont donc ici au-dessus de vous, c'est que sans renoncer à leurs grands biens, elles ne peuvent pourtant les faire servir à leurs plaisirs; c'est qu'à portée de se ménager toutes les superfluités, elles sont obligées de se les interdire; c'est en un mot, qu'elles ont plus d'embarras que vous, et n'en ont pas pour cela plus de priviléges. Une épouse de Jésus-Christ, à la vérité qui a joint à cette obligation commune, une promesse particulière de vivre dans le dépouillement religieux, doit se disputer avec plus de rigueur les plus légères superfluités; et non-seulement éviter les profusions de la vanité, mais y joindre les privations d'une humble pauvreté. Mais vous voyez que ce que votre engagement exige de plus de vous, que des personnes du monde, est plutôt une facilité pour remplir le vœu de votre baptême, qu'une nouvelle rigueur que vous y ajoutez. Le troisième devoir de ce dépouillement religieux, est la soumission et la dépendance entière des supérieurs dans l'usage même des choses les plus nécessaires; c'està-dire, regarder tout ce qu'on nous laisse comme n'étant point à nous, n'en user que selon l'ordre et la volonté de ceux qui nous gouvernent, et n'avoir à soi que le saint plaisir d'ètre libre et dépouillé de tout. Ne vous figurez pas cependant qu'en ceci méme votre condition soit plus dure que celle des personnes du monde. A la vérité la foi n'exige pas d'eux qu'ils dépendent des hommes dans l'usage de leurs biens: mais ils dépendent toujours des maximes de la foi qui doivent régler cet usage: ils dépendent sans cesse de Dieu qui peut leur enlever ces biens à chaque instant: ils doivent donc se regarder toujours comme des esclaves à qui le maître peut redemander les biens qu'il leur a confiés, sans qu'ils puissent y trouver à redire; en user comme pouvant en étre dépouillés l'instant qui suit; ne les posséder que comme ne les possédant point; songer en un mot, que tout ce qui leur appartient, c'est le droit de faire valoir leurs biens au profit et pour la gloire du Maitre souverain qui leur en a confié l'administration. La pauvreté religieuse ne diminue donc pas vos droits sur les biens et sur les plaisirs de la terre, puisque le chrétien n'y a point de droit: elle diminue seulement vos embarras et vos inquiétudes, et loin de vous imposer un nouveau joug, elle vous met dans une liberté par faite. III REFLEXION. Sur le vœu d'obéissance. Le monde qui ne connoît pas la vertu de la foi et l'esprit de la vie chrétienne, regarde cet engagement comme un joug affreux et insupportable à la raison: il est vrai qu'il paroît d'abord fort triste et fort dur à la nature, d'ètre forcé de sacrifier sans cesse ses propres lumières, aux lumières et souvent aux caprices de ceux qui nous gouvernent; cette situation paroît révolter d'abord tous les penchants les plus raisonnables de la nature; et ôter aux hommes la seule consolation que les manx leur laissent, qui est l'indépendance et la liberté de disposer de leurs actions et d'eux-mêmes. Mais ce'n'est là qu'un langage dont le monde se fait honneur; car trouver dans le monde un état d'indépendance entière, cela n'est pas possible. La vie du monde n'est qu'une servitude éternelle; mais ce qu'il y a de triste pour les personnes du monde, c'est que leurs assujétissements, qui font tous leurs malheurs, font souvent aussi tous leurs crimes: leur complaisance est pénible, et elle est criminelle; au lieu que dans ces asiles saints, elle coûte moins au cœur, parce qu'on est sûr qu'on ne sacrifie sa volonté, qu'à la volonté de Dieu, dont les supérieurs ne sont que les interprètes, et elle a toujours un nouveau mérite. D'ailleurs, quand vous auriez pu vous flatter de trouver dans le monde une situation d'indépendance et de liberté entière, il ne vous auroit pas été permis pour cela de suivre aveuglément vos goûts et vos caprices. Tout chrétien a une règle éternelle et supérieure, qu'il doit consulter sans cesse sur chaque action; par conséquent dans tout ce qu'il fait, il ne lui est pas permis de ne chercher qu'à se satisfaire lui-même; autrement il se mettroit lui-même à la place de Dieu, auteur de l'ordre qu'il doit suivre. Que fait donc l'obéissance religieuse? elle nous manifeste par l'organe de nos supérieurs, cette règle éternelle que nous aurions été obligés de consulter sans cesse dans nos démarches; en un mot, elle nous décharge de nous-mêmes, pour ainsi dire, pour nous mettre entre les mains et sous la conduite de Dicu. Ainsi les personnes du monde ne se croient plus libres, que parce qu'elles ne connoissent pas le fonds de la religion, et les devoirs de la vie chrétienne: elles ne font tant valoir leur liberté et leur indépendance, que parce qu'elles ignorent qu'il n'est pas plus permis à l'homme du monde d'user de sa liberté, selon son humeur et son caprice, qu'au solitaire qui s'en est dépouillé entre les mains de ses supérieurs. QUATRIÈME SERMON POUR UNE PROFESSION RELIGIEUSE. PROPOSITION. Les caractères de l'alliance qu'une Vierge chrétienne contracte avec Jésus-Christ, en embrassant l'état religieux, prouvent que de tous les préjugés de salut, il n'en est pas de plus certain et de plus consolant pour elle. Ire RÉFLEXION. Premier caractère de cette alliance; une alliance de justice: Sponsabo te in justitid; c'està-dire, qu'il étoit juste que vous donnassiez à Dieu cette marque de votre amour, et que votre reconnoissance envers lui ne pouvoit s'acquitter à moins : car la mesure de ce que nous devons à Dieu, est ce que nous avons reçu de lui; plus il se communique à nous, plus il veut que nous soyons à lui. Or rappelez en ce moment toutes les graces dont il vous a jusqu'ici comblée: des sentiments de salut inspirés dans une première jeunesse; tant de périls éloignés; tant d'obstacles qui sembloient rendre la démarche que vous faites aujourd'hui, impossible, surmontés: rappelez en un mot toute la suite des miséricordes du Seigneur sur vous, dans ces jours qui ont précédé ce jour heureux, lorsque lassée, ce semble, de vous soutenir toute seule contre toutes les attaques que le monde, que la nature, que votre propre cœur vous livroit, vous paroissiez sur le point de succomber et de vous y rendre; que se passoit-il alors dans votre ame? quelle étoit la voix secrète qui vous parloit alors au fond du cœur? n'étoit-ce pas l'époux céleste qui vous parloit tout bas, pour vous faire entendre que vous auriez grand tort de préter l'oreille aux discours du monde, et à ses sollicitations; qu'il est plein de malheureux, et que s'il s'y trouve quelque consolation, elle n'est que pour les ames qui sont fidèles à leur Dieu? et alors ne sentiez-vous pas votre foi se raffermir, votre langueur se ranimer, vos irrésolutions se fixer, vos ténèbres se dissiper, et la sérénité succéder à l'orage. Voilà l'histoire des miséricordes du Seigneur sur votre ame. Voyez s'il en use de même envers tant d'autres que le torrent entraîne : il ne daigne pas disputer leur cœur au monde qui le possède tout entier. Qu'avez-vous fait qui ait pu vous attirer ces regards et ces préférences ? où en seriez-vous, s'il eût borné toutes les opérations de la grâce à votre égard, à ces demi-volontés dont le monde est plein, et à ces réflexions stériles sur les abus des plaisirs, de la fortune, et de toutes les choses présentes qui ne convertissent personne? Il le pouvoit; et vous n'avez rien à ses yeux de plus que tant d'autres qu'il traite de la sorte: mais il vous a prévenu de ses bénédictions; plus le monde a fait d'efforts pour vous séduire, plus il a été attentif à vous protéger. En vous donnant aujourd'hui à lui, vous ne faites donc que lui offrir son propre ouvrage; et la sainte alliance que vous faites aujourd'hui avec lui, est une alliance de reconnoissance et de justice: Sponsabo te in justitia. 11o RÉFLEXION. Second caractère de cette alliance; une alliance de jugement et de sagesse: Sponsabo te in judicio. Pesez en effet, sur quoi roule ce que vous allez sacrifier, et de quel prix est ce que Jésus-Christ vous prépare. D'un côté, une fumée dont un instant décide; des plaisirs qui durent peu, et qui doivent être punis éternellement; en un mot le monde avec ses dégoûts, ses remords, ses périls, etc., et enfin une mort accompagnée souvent d'un repentir inutile, souvent d'un calme funeste; toujours terrible pour le salut. Mais de l'autre côté, que vous prépare Jésus-Christ pour remplacer ce sacrifice ? l'innocence et la paix du cœur, que le monde ne connoît pas; la joie d'une bonne conscience où nous trouvons des ressources à toutes nos peines, des précautions contre toutes nos foiblesses, des appuis dans tous nos découragements, des attraits pour tous nos devoirs, une vie tranquille pleine de bonnes œuvres; et enfin, une mort semblable à celle des Justes et pleine de consolation. Or, sur le point de vous déclarer aux pieds de l'autel, ne sentez-vous pas plus que jamais la sagesse de votre choix? Examinez pour la dernière fois; et voyez si le monde avec tout ce qu'il pouvoit vous promettre de plus pompeux, peut être comparé à I innocence et à la sûreté de l'asile saint, où Jésus-Christ vous appelle, quoiqu'il faille vous attendre à des amertumes et à des croix à son service. L'alliance que vous contractez avec ce divin époux est donc une alliance de jugement et de sagesse: Sponsabo te in judicio. ILI REFLEXION. Troisième caractère de cette alliance; une alliance de miséricorde: Sponsabo te in misericordia; c'est-à-dire que Jésus-Christne regarde pas au peu que vous lui offrez, et qu'il vous donne plus qu'il ne reçoit de vous. Car enfin, je veux que vous lui donniez beaucoup; mais quand vous mettriez aux pieds deJésus-Christ non-seulement votre nom, vos talents, vos espérances, mais des sceptres et des couronnes, ne seriez-vous pas trop récompensée de pouvoir étre en échange, la dernière dans sa maison? Ainsi plus vous lui sacrifiez, plus vous lui devez; plus le monde sem bloit vous offrir d'attraits plus vous paroissiez née avec tout ce qu'il faut pour vous y perdre, et plus il a fallu de grâce pour vous dégoûter du monde, et vous établir solidement dans la vérité. C'est donc ici une alliance toute de miséricorde pour vous. Dieu prévoyoit qu'avec la mesure de grâces qu'il vous destinoit, vous vous perdriez dans le monde; et comme il vous a aimée d'un amour éternel, il vous a attirée à lui, avant même que vous eussiez erré quelque temps au gré de vos passions, par une abondance de miséricorde. IV. RÉFLEXION. Quatrième caractère de cette alliance; une fidélité inviolable à répondre à toutes les miséricordes de l'époux celeste: Sponsabo te in fide. En effet, vous ne serez heureuse dans le parti que vous prenez qu'autant que vous serez fidèle: il ne faut plus vous promettre d'autre consolation que dans la pratique exacte de vos devoirs: le monde désormais vous fera lui-même une loi dele haïr; il insulte à l'inconstance de celles qui après l'avoir abandonné, jettent encore sur lui des regards de complaisance. D'ailleurs, quelles sont les amertumes d'une vierge infidèle que le monde a séduite, et qui voit ses penchants mondains renfermés pour toujours dans le lieu saint? Hélas! elle traîne partout ses dégoûts et son inquiétude; et il n'est pas d'état sur la terre plus malheureux que le sien. Mais d'un autre côté rien ne peut être comparé aux consolations que Jésus-Christ prépare à votre fidélité. Si vous jetez encore quelques regards sur le monde, ce seront des regards de compassion et de douleur; et renouvelant mille fois au pied de l'autel votre sacrifice, vous y remercierez, avec des transports d'amour et de joie, Jésus-Christ de vous avoir conduite au port, et retirée d'un lieu, où les apparences sont si trompeuses, les chagrins si réels, les plaisirs si tristes, et la perte du salut cependant si inévitable. FIN DES ANALYSES ET DES OEUVRES DE MASSILLON. |