nous rend impossible tout ce qui nous mortifie; un découragement sensuel qui nous fait frémir au seul nom d'austérité et de souffrance; une attention excessive sur nous-mêmes, qui fait que tout ce qui afflige la cupidité, nuit à la santé; une habitude d'amour-propre qui nous a rendu nécessaire tout ce qui nous est commode et agréable; ce sont là des motifs de pénitence, et non pas d'indulgence et de relaxation. Je n'entends pas un vain égard au rang et à la naissance, qui nous persuade que nous pouvons retrancher des obligations du chrétien et du pécheur, ce que nous accordons à celles de personnes publiques et élevées : comme si les devoirs de la condition étoient incompatibles avec ceux de l'Evangile, ou qu'une élévation qui a été si souvent elle-même l'occasion de nos crimes, pût nous dispenser d'une pénitence qu'ellemême nous impose. J'entends une impuissance véritable de soutenir le cours et la rigueur des peines conformes aux règles et à l'esprit de l'Eglise : et je dis qu'alors l'Eglise touchée de notre état, de l'envie que nous aurions d'expier nous-mêmes nos crimes, si nos forces secondoient notre zèle, et comptant nos desirs pour des œuvres, se relâche de sa sévérité, et nous avance le bienfait de sa réconciliation et de ses grâces. Mais ne croyez pas, mes Frères, qu'alors même l'Eglise prétende suppléer à tout. Elle entend que, si nous ne pouvons pas offrir le prix entier de nos péchés, nous en offrions du moins une partie; elle veut que nous tirions de notre foiblesse tont ce que nous pouvons, et que nous offrions selon nos forces et même au-delà, pour ainsi dire: son intention est que nous fassions tous nos efforts pour satisfaire à la justice divine, et que toute notre vie soit un souvenir continuel de nos iniquités et des réparations auxquelles nous sommes condamnés; que toutes nos démarches se sentent par quelque endroit de notre état de pénitents, et que tous nos plaisirs mêmes soient assaisonnés des amertumes de la pénitence. Car quelle que puisse être notre foiblesse; si nous sommes sincèrement touchés et convertis; si l'Esprit de Dieu a opéré dans nos cœurs la grâce de la componction et du repentir; si l'horreur de nos crimes passés nous a fait entrer dans les sentiments de zèle et d'indignation contre nous-mêmes, qui sont toujours le premier fruit de la pénitence: ah! nous trouverons bien encore en nous de quoi offrir à Dieu des sacrifices et des expiations capables d'apaiser sa justice; quelle que puisse être notre foiblesse, nous aurons toujours des penchants à mortifier, des desirs à vaincre, des plaisirs à sacrifier, des humiliations à souffrir, des contradictions à supporter, des superfluités à retrancher; quelle que puisse être notre foiblesse, nous serons encore assez forts pour refuser aux sens mille adoucissements inutiles, pour leur ménager mille amertumes, qui, sans diminuer les forces, affoiblissent la corruption, et pour faire de ses infirmités mêmes la matière de sa pénitence. Hélas! on va si loin pour le monde, pour la fortune, pour les plaisirs : on tire d'une santé foible et ruinée tout ce qu'on peut et au-delà; on se fait violence; on ne s'écoute point: on croit qu'à force de prendre sur soi, à la fin on accoutumera le corps à obéir et à nous suivre: ah! mes Frères, ce n'est que pour le ciel que nous n'essayons rien, que nous mesurons nos forces, que nous exagérons notre foiblesse, et que tout ce qui nous coûte nous paroît impossible. Et ne dites pas que les grâces de l'Église seroient donc inutiles, si de notre côté nous étions obligés de faire tous nos efforts pour expier nos crimes par les travaux de la pénitence. Car, mes Frères, quels que puissent être nos efforts, quelque longue que soit notre pénitence, quelque austères que soient nos satisfactions, elles ne seront jamais proportionnées à nos crimes : nos peines seront toujours moindres que nos péchés; nous demeurerons toujours en deçà de ce que la justice de Dieu exige de nous; nous serons toujours, comme le serviteur de l'Evangile, obligés de demander du temps, et chargés d'une infinité de dettes, auxquelles nous n'avons encore pu satisfaire. Car, hélas! mes Frères, croyons-nous que des larmes de quelques jours, que quelques légères macérations, que quelques jeûnes rares et commodes, expient, effacent, abolissent devant Dieu des. crimes qui ont mérité une éternité de supplices ? croyons-nous que des flammes immortelles, qu'un désespoir éternel, qu'un ver qui ne devoit plus mourir, qu'une séparation de Dieu sans ressource, croyons-nous qu'une sentence si affreuse et si terrible que nous avions méritée, puisse se changer en quelques austérités d'un moment; et que des dettes si immenses puissent s'acquitter avec une obole, pour ainsi dire? Ah! l'Église autrefois ellemème, plus indulgente sans doute que le Dieu terrible, puisqu'elle n'étoit occupée qu'à l'apaiser, qu'à adoucir par les rigueurs canoniques la sentence du souverain Juge, et qu'elle ne punissoit ses enfants que comme une mère; l'Eglise ellemême, pour un seul crime, imposoit autrefois de longues années de travaux et de pénitence: et quelle pénitence, mes Frères ! des larmes abondantes, des jeûnes continuels, des humiliations publiques, des austérités étonnantes, des prières longues et fréquentes, la cendre et le cilice, la séparation de l'autel, de la société des fidèles et de tous les plaisirs? et quelles seront donc les peines que la justice divine exige ici-bas elle-même de l'ame impure et criminelle, si la tendresse et la compassion d'une mère, nous paroît si sévère? quelle sera donc la sévérité d'un Dieu offensé lui-même ? nous fait écrire cinquante, où nous en devions cent; et c'est également s'éloigner de son esprit, et blasphémer le don de Dieu, que de regarder ses grâces, ou comme inutiles à la foiblesse, ou comme favorables à l'impénitence. DEUXIÈME RÉFLEXION. Je le répète done, mes Frères; quelle que puisse être votre pénitence, ah! vous resterez toujours infiniment redevables à la justice divine : quelque zélé pénitent que vous puissiez être, vous avez donc besoin que l'Eglise supplée pour vous : il faut done que ses grâces viennent au secours de votre foiblesse, et qu'elle offre à Dieu les mérites de JésusChrist et de ses saints, pour remplacer les défauts des vôtres. Donc, mes Frères, en faisant même tous vos efforts pour satisfaire à la justice de Dieu, les grâces que l'Eglise vous accorde encore en ce temps, vous seront infiniment utiles: vous y trouverez cette égalité de réparation à laquelle vous n'auriez jamais su vous-mêmes atteindre : vous y verrez remplie, par l'abondance des mérites qu'elle vous applique, cette distance infinie que vos crimes avoient mise entre le Seigneur et vous, et que des siècles de pénitence, quand vous les auriez vécus, n'auroient pu remplir eux-mêmes. Aussi, mes Frères, rien n'est plus opposé à l'esprit de la foi et de la saine doctrine, que cette fausse science qui se persuade que les grâces de l'Église au fond, servent à peu de chose; qu'elles nous laissent les mêmes obligations devant Dieu; qu'elles ne rendent pas notre condition meilleure; et qu'un pécheur vraiment pénitent, quand même il n'y participeroit pas, est tout aussi avancé aux yeux du Seigneur, qu'un pécheur, pénitent qui y participe: c'est une erreur que l'Eglise a frappée de ses anathèmes; injurieuse au sang de JésusChrist, et désespérante pour la foiblesse des fidèles. A la vérité, l'Eglise ne prétend pas nous dispenser de la pénitence, puisque l'Evangile nous déclare que sans la pénitence il n'y a point de salut; et que l'ordre immuable de la justice divine, que le péché a troublé, ne peut être rétabli que par les peines qui lui sont dues: mais l'Eglise voyant, ou que notre foiblesse nous en interdit presque tous les exercices laborieux qu'elle imposoit autrefois aux fidèles, ou que ceux mêmes que notre foiblesse nous permet encore d'accomplir, ne sauroient jamais répondre à la multitude et à l'énormité de nos crimes; elle y supplée par l'abondance de ses trésors. Semblable à cet économe prudent et charitable, elle nous remet la moitié de la dette que nous n'étions pas en état d'acquitter, et En effet, j'ai dit en second lieu, qu'elles sont les secours de la pénitence; et voilà pourquoi, mes Frères, ce temps de propitiation doit être un temps de consolation pour les ames pénitentes. Car une des plus grandes amertumes de la piété dans les ames fidèles, c'est de voir en repassant devant Dieu, les égarements de leurs mœurs passées; que leurs passions avoient été vives, ferventes, continuelles; qu'elles avoient poussé les plaisirs aussi loin que la corruption avoit pu le souhaiter; et que leur pénitence a été foible, languissante, imparfaite ce souvenir les trouble et les alarme : la vue des jugements de Dieu si inconnus et si terribles; la sévérité de sa justice si différente de la nôtre; l'exemple même de tant de saints pénitents, qui, après des mœurs bien moins criminelles que les nôtres, se sont crucifiés tout vivants avec JésusChrist, par les austérités les plus étonnantes; tout cela les jette dans la consternation et dans le découragement. On doute de la sûreté de son état; on croit que la pénitence passée n'a été qu'une illusion; on perd la paix et la confiance, qui est tout le soutien et toute la consolation de la piété; et souvent de l'abbattement, on passe à une dangereuse paresse. Or, l'Eglise dans les grâces qu'elle accorde en ce temps à ses enfants, offre une ressource aux inquiétudes et aux doutes des ames fidèles et pénitentes, et prétend suppléer aux défauts de leur pénitence: car quelque sincère qu'elle ait été, il est presque impossible qu'il ne s'y soit mêlé mille imperfections. Premièrement, du côté de la sévérité. Hélas! notre pénitence est toujours mêlée de mille sensualités qui la souillent, qui nous en font perdre presque tout le mérite; et souvent loin d'expier les mœurs passées, par les violences et les retranchements de la piété, tout ce que nous y pouvons faire, c'est d'expier les relâchements et les affoiblissements de la piété même. L'Eglise vient donc à notre secours: elle remplit les vides de notre pénitence: elle couvre de la charité et du sang de Jésus-Christ, la multitude de nos relâchements et de nos foiblesses; et sans avoir égard aux défauts de nos satisfactions, elle veut bien en accepter l'imperfection, et fournir du sien ce qu'elle trouve de moins à nos peines. Secondement, du côté de la ferveur et de la vivacité. Oui, mes Frères, nos pénitences sont accompagnées de tant de langueur et de dégoût : loin d'entrer avec une sainte fureur dans les intérêts de la justice de Dieu contre nous-mêmes; loin de nous armer d'une indignation de pénitence et de sévérité contre une chair qui a été la source et l'occasion de tous nos crimes; loin de venger avec une saințe complaisance sur notre corps, les dommages qu'il a causés à notre ame; loin de goûter dans les larmes et dans les gémissements de la pénitence, cette sainte ivresse qu'on avoit trouvée autrefois dans les plaisirs injustes; hélas! les plus légers sacrifices que nous faisons à Dieu, nous coûtent tant; nous nous les disputons si long-temps à nous-mêmes: nous y portons tant de répugnance et d'éloignement; nous payons de si mauvaise grâce, si j'ose parler ainsi, que la manière languissante dont nous apaisons la justice de Dieu sur nos crimes passés, devient souvent un nouveau crime elle-même. Tout ce que nous faisons pour Dieu, nous lasse et nous dégoûte: les plus justes mêmes dans le cours de leur pénitence, sentent si souvent leur cœur prendre les intérêts de la chair contre ceux de l'esprit; leur componction, s'affoiblir; l'horreur des crimes passés, s'effacer presque; le souvenir des bienfaits de Dieu, ne réveiller plus que foiblement leur reconnoissance : rien n'est si commun que les langueurs et les affoiblissements de la foi dans les œuvres laborieuses de la piété. Les commencements de la pénitence sont vifs d'ordinaire: mais insensiblement ces mouvements de grâce s' affoiblissent; les objets des sens qui nous environnent, émoussent la force de ces impressions de salut: nos misères passées nous trouvent moins sensibles; l'esprit même naturellement incapable de fixer long-temps son attention sur ce qui l'attriste et lui déplaît, s'en éloigne comme malgré nous : et alors n'étant plus soutenus par une componction vive, par une reconnoissance sensible, par les transports d'un cœur touché, et à qui rien ne coûte; nous nous traînons dans les voies de la pénitence; nous murmurons comme les Israélites, d'avoir à marcher si long-temps dans les voies arides et désagréables du désert; nous nous plaignons de l'insipidité du don de Dieu; nous regrettons peut-être en secret les viandes de l'Egypte. Or, tous ces découragements secrets, tous ces affoiblissements invisibles de foi et de grâce, si inévitables à la piété même la plus fidèle, diminuent devant Dieu le prix et le mérite de notre pénitence. Il rabat des satisfactions que nous lui offrons, tout ce que nous rabattons nous-mêmes de la ferveur et de l'amour avec lequel nous les devrions offrir: car il ne regarde pas les dons, il ne regarde que le cœur; il ne nous tient compte qu'à demi des travaux dont nous retranchons le zèle de la pénitence, qui seule les lui rend agréables. Mais comme ces défauts sont presque inséparables de la nature foible et corrompue, le Seigneur toujours riche en miséricorde, et qui ne veut pas la perte de sa créature, mais son salut, a laissé à son Eglise des ressources et des remèdes contre les langeurs de la piété et de la pénitence même : il veut qu'elle accepte l'imperfection de nos sacrifices; qu'elle ferme les yeux aux infidélités que nous y avons mêlées; qu'elle ait plus d'égard à la sincérité de nos intentions, qu'à la médiocrité de nos œuvres; à la foiblesse de notre nature, qu'à celle de notre foi; et qu'elle nous admette au nombre de ces pénitents heureux qui ont terminé la carrière qu'elle leur avoit marquée; qu'elle nous rende la participation des autels et des mystères saints, dont nous nous étions privés par nos crimes; qu'elle nous rétablisse dans tous les droits dont le péché nous avoit fait déchoir; et qu'elle répande les mérites et les trésors dont elle est dépositaire, et sur les souillures de nos crimes, et sur les langueurs mêmes de notre pénitence. Enfin, une troisième sorte d'imperfection que nous mêlons presque toujours à nos pénitences, se prend du côté de l'intention. Nous ne sommes pas, à la vérité, du nombre de ces hypocrites, qui ne font leurs œuvres que pour s'attirer les regards et les louanges publiques; qui sonnent de la trompette, pour ne pas perdre devant les hommes le mérite de leur vertu; qui n'aiment de la piété que la réputation et le spectacle, et qui ne sont que les pénitents du monde et de la vanité. Cependant quelque sincères que puissent être d'ailleurs nos intentions, il entre dans nos œuvres laborieuses de pénitence et de miséricorde, tant de complaisances humaines: nous n'agissons pas pour être vus des hommes, mais nous ne sommes pas fâchés que les hommes nous voient agir: nous ne nous proposons pas les applaudissements publics comme la récompense de notre piété; mais nous ne trouvons pas mauvais qu'elle soit applaudie: nous ne voulons plaire qu'à Dieu seul; mais nous ne laissons pas de compter pour beaucoup de plaire encore au monde: nos premiers regards sont pour le ciel; mais hélas! que nous en jetons encore sur la terre! que de retours intéressés sur nous-mêmes! que de préférences secrètes des œuvres qui nous font admirer, à celles qui ne feroient que nous purifier! que de recherches imperceptibles de notre propre gloire! que d'attentions cachées sur les jugements humains! que de singularités de vertu, où nous ne trouvons rien de plus agréable que la singularité elle-même, qui nous fait remarquer et qui nous distingue! Nous croyons souvent que c'est l'amour du Seigneur qui nous soutient dans la retraite, dans la séparation des plaisirs et des sociétés mondaines, dans le retranchement des parures et des indécences que le monde autorise: hélas! et c'est l'amour de nousmêmes; et c'est un secret plaisir de n'être plus faits comme les autres, de réveiller l'attention des hommes par des œuvres marquées et singulières : peut-être nous plairoient-elles moins si tout le monde suivoit la même voie que nous; peut-être les trouverions-nous dégoûtantes et insupportables, si l'exemple public nous les rendoit nécessaires; si la multitude choisissant les mêmes mœurs, nous nous trouvions confondus dans la foule; si nous ne pouvions plus nous dire tout bas à nous-mêmes, que nous nous interdisons des plaisirs que les autres se permettent sans scrupule; et si ce parallèle secret ne soutenoit notre amour-propre, et ne nous dédommageoit des amertumes de la piété. Hélas, mes Frères! je le répète, l'orgueil entre si imperceptiblement dans tout ce que nous faisons; et nous nous retrouvons partout les mêmes. Or, ce peu de levain est capable d'aigrir et de corrompre toute la masse : ce fonds d'amour-propre qui entre dans toutes nos justices, les souille et les flétrit. Le Dieu saint qui pèse nos œuvres dans notre cœur même, les trouve presque tonjours infectées de ce venin secret, qui leur ôte une partie de leur poids et de leur valeur: il sépare rigoureusement ce que sa grâce y a mis de divin, d'avec ce que nous y avons mêlé d'humain nousmêmes; l'ouvrage de l'Esprit saint, d'avec l'ouvrage de l'homme; le fruit de la charité, du fruit de la cupidité; et souvent après ce discernement sévère, après que la paille est démêlée du bon grain, il ne reste presque point de froment d'un côté, tandis que de l'autre s'élèvent de grands monceaux de paille; c'est-à-dire, une multitude d'œuvres destinées à être consumées par le feu: et, sans doute, s'il nous jugeoit sans miséricorde, nos justices mêmes fourniroient la matière de notre condamnation. Voilà, mes Frères, les souillures que les grâces de l'Eglise purifient. Le sang de Jésus-Christ, répandu par sa libéralité sur nos œuvres de pénitence, les rend plus pures et plus brillantes : il guérit les restes de plaies que les remèdes même efficaces de la pénitence ordinaire avoient comme laissées encore à demi ouvertes : c'est un feu sacré qui dévore et qui consume tout ce qui s'étoit mělé d'hu main et d'étranger dans notre sacrifice; qui épure l'or de notre charité et de notre pénitence, et qui convertit en un métal précieux, la boue même de nos infirmités et de nos misères. Telle est l'utilité des grâces de l'Eglise. Si vous êtes pécheur, elles vous soutiendront dans le cours de votre pénitence; si vous êtes pénitent, elles en répareront les défauts; si vous êtes juste, elles en augmenteront le mérite; si vous êtes foible, elles seront le secours de votre foiblesse; si vous êtes fort, elles seront la sûreté de vos forces; si vous êtes découragé, elles seront le soutien et la consolation de vos peines : enfin, quoi que vous soyez, vous trouverez ici, ou le secours de vos vertus, ou la facilité d'expier vos crimes. TROISIÈME RÉFLEXION. Il est vrai qu'une douleur abondante toute seule de vos offenses, et la vivacité du repentir, obtiennent ces grâces précieuses, et qu'elles sont les récompenses de la seule componction : troisième réflexion. En effet, l'Eglise autrefois dans le cours de la longue pénitence qu'elle imposoit aux fidèles retombés depuis le baptême dans l'égarement de leurs premières mœurs, n'avoit égard en leur remettant une partie des peines canoniques, dit saint Cyprien, qu'à la grande douleur qu'ils faisoient paroître de leurs fautes. Ainsi quand elle trouvoit dans le nombre des pénitents publics, certains pécheurs plus touchés que les autres de leurs chutes; plus fervents dans les exercices laborieux de leur pénitence; plus pénétrés de la crainte dès jugements de Dieu; plus humiliés de leur foiblesse, plus ardents pour le bienfait de la réconciliation; plus contristés de leur état d'humiliation, de séparation et d'anathème : alors l'Eglise, sur les traces de l'indulgence de l'Apôtre envers l'incestueux de Corinthe, de peur qu'une tristesse trop profonde et trop abondante n'abattît et ne décourageât ces pénitents brisés de componction, abrégeoit leurs peines, se relâchoit de sa sévérité, leur avançoit la grâce de la paix et de la réconciliation, et récompensoit les larmes et la vivacité de leur douleur, en leur rendant la société des fidèles, la participation aux prières de leurs frères, la communion de l'autel et des sacrifices, et entin tous ces droits dont la grâce du baptême les avoit mis en possession. C'étoit la distinction toute seule de leur douleur et de leur repentir, qui leur attiroit cette distinction de grâce et d'indulgence: il falloit qu'en peu de jours ils eussent rempli, par l'abondance de leur componction, les longues années que leur carrière devoit durer: autrement, dit saint Cyprien, lorsque l'inconsidération des prètres, ou la trop grande facilité des martyrs, accordoit ces rélaxations et ces grâces à des fidèles qui n'avoient pas donné ces grandes marques de repentir; leur réconciliation, dit ce Père, étoit une réconciliation fausse, dangereuse à ceux qui la donnoient, et inutile à ceux qui l'avoient reçue: Periculosa dantibus, et nihil accipientibus profutura (S. CYPR.): c'étoit une grêle tombée sur un fruit pas encore mûr; et qui loin d'avancer sa maturité, la reculoit, ou l'en rendoit à jamais incapable. Or, quelles conséquences doit-on tirer de cette doctrine? La première, puisque les grâces que l'Eglise répand en ce temps sur les fidèles, ne sont que la récompense de la componction; les ames qui ne portent au tribunal aucun sentiment de pénitence véritable, ne doivent pas se flatter d'y participer: les ames, qui, après les horreurs d'une vie toute criminelle, approchent des pieds des ministres sacrés avec un cœur sec, une conscience insensible, une volonté presque toute formée de revenir à leur vomissement, sont exclues de ce bienfait. Ce sont des cœurs endurcis pour lesquels l'Eglise gémit; des enfants morts qu'elle pleure, mais qui loin d'entrer en société de ses grâces avec les autres fidèles, s'attirent une malédiction d'autant plus abondante, qu'ils choisissent pour profaner ses mystères et ses trésors, la circonstance où elle les répand avec plus de libéralité, et font de son indulgence même l'occasion de leur sacrilége et de leur ingratitude. Seconde conséquence : les ames mondaines et sensuelles, qui ne paroissent empressées de venir participer aux largesses de l'Eglise, que parce qu'elles les regardent comme des voies commodes pour arriver au ciel, comme des facilités de salut et des dispenses de pénitence; qui ne viennent pas détester leurs péchés, mais en chercher l'impunité; qui croient que tout est fait, et que le passé est oublié et n'engage plus à rien, dès qu'elles ont satisfait à certaines pratiques extérieures auxquelles l'Eglise semble attacher la participation de ses grâces; qui n'apportent au tribunal, pour toute douleur de leurs crimes, qu'une joie secrète d'y venir chercher le privilége qui les dispense de les pleurer et de les punir; des ames si peu disposées à apaiser la justice de Dieu; si éloignées de l'esprit de pénitence, qui seul peut attirer la grâce du pardon; si vides de foi et de charité; si indignes même de la grace commune de la réconciliation; que viennent-elles chercher aux pieds des autels en ces jours saints? ce sont là les asiles pieux des pénitents; et elles n'y portent pour toute marque de pénitence, qu'un desir charnel de s'en dispenser: c'est là le lieu des larmes et de la componction; et elles en font la ressource de la cupidité et de la paresse: c'est le prix accordé, ou à la longueur du travail, ou au zèle qui voudroit encore le prolonger; et elles le regardent comme le signal du repos et l'abolition des œuvres laborieuses. Quelle illusion, mes Frères! comme si des trésors, qui ont pris leur source dans le sein d'un Dieu mourant et crucifié, pouvoient devenir euxmêmes des titres de sensualité et de mollesse! comme si le fruit de la croix de Jésus-Christ ne devoit être que l'anéantissement de la croix même ! comme si le sang des martyrs et les larmes des Justes, ne devoient demeurer en dépôt entre les mains de l'Eglise, que pour former des fidèles låches et impénitents! Troisième conséquence: puisque l'Église ne prétend dans la dispensation de ses grâces, que récompenser la componction abondante des vrais pénitents; les ames qui ne se repentent que de bouche, qui après toutes leurs promesses de changement, ont toujours vu leurs passions succéder et survivre à leur pénitence; qui n'ont jamais mis qu'un léger intervalle entre les sacrements et les rechutes; qui ne portent pas à la pénitence une résolution sincère d'éloigner les occasions; de rompre les attachements funestes à l'innocence; de bannir les plaisirs incompatibles avec les devoirs; de fuir les liaisons et les sociétés qui servent d'attrait au vice; de prendre les mesures pénibles pour vaincre leurs passions et expier leurs crimes; qui ne portent au tribunal que des propos vagues, des résolutions chancelantes, un cœur inconstant et irrésolu, plus déterminé par l'approche de la solennité, à recourir au remède, que par la douleur de ses crimes; ces ames ne doivent rien prétendre aux largesses de l'Eglise : ce sont des animaux immondes revenus cent fois à leur vomissement, dont elle déplore la destinée; mais qu'elle rejette de ses autels, et devant lesquels elle ne voudroit pas avilir les choses saintes. Enfin dernière conséquence: puisque c'est ici. le prix des larmes abondantes, et d'une douleur nouvelle et singulière; ceux mêmes qui ne portent au tribunal qu'une horreur médiocre et fort commune de leurs crimes; qui ne sentent rien de vif, rien de nouveau, rien de marqué; que les largesses abondantes de l'Eglise n'excitent point à des retours plus tendres sur les miséricordes du Seigneur, à des sentiments plus douloureux sur leur propre misère; qui ne sont pas plus réveillés par tout l'appareil touchant de ce temps de grâce et de propitiation; qui ne laissent paroître dans leur re |