lousie; la mauvaise foi. On dispute tout haut à ceux dont on regarde l'élévation avec des yeux d'envie, des talents et des qualités louables, qu'on est forcé de leur accorder en secret: on trouve à leurs vertus mêmes un mauvais côté, quand on ne peut les travestir en vices: la même jalousie nous éclaire sur ce qu'ils ont d'estimable, et nous le fait mépriser: on est ravi de mettre le public contre eux, tandis que notre conscience mieux instruite les justifie; ainsi le plaisir qu'on a de tromper les autres à leur égard, n'est jamais parfait, parce qu'on ne sauroit réussir à se tromper soi-même. Secondement, la bassesse. Ils cherchent euxmêmes en secret un faux témoignage contre JésusChrist, et ils n'en sauroient trouver: Et quærebant falsum testimonium contra Jesum, et non invenerunt (MATTH., XXVI, 59, 60). S'ils en eussent cherché de véritable, ah! tout eût répondu en faveur de l'innocent: le peuple se fût écrié, Que Dieu n'avoit jamais donné une telle puissance aux hommes (MATTH., IX, 8). Tant de morts ressuscités, tant de malades guéris auroient protesté, Qu'il est la résurrection et la vie (JEAN, XI, 25). Tant de pécheresses converties auroient publié qu'on ne peut résister aux paroles de grâce et de salut qui sortent de sa bouche (LUC, IV, 22). Les pierres elles-mêmes du temple auroient crié à leur manière, Que le zèle de la maison de son Père le dévore (JEAN, II, 17). Que de lumière, s'ils avoient voulu voir! et sur combien de vérités faut-il s'aveugler, et à combien de bassesses est-on réduit à se livrer, quand on s'est une fois livré à cette passion injuste! Et c'en est le second caractère. Les voies que prend la jalousie pour nuire, sont toujours secrètes, parce qu'elles sont toujours basses et rampantes. On se glorifie des autres passions: un ambitieux se fait honneur de ses prétentions et de ses espérances; un vindicatif met sa gloire à faire éclater son ressentiment; un voluptueux se vante de ses excès et de ses débauches. Mais il y a je ne sais quoi de bas dans la jalousie, qui fait qu'on se la cache à soi-même : c'est la passion des ames laches; c'est un aveu secret qu'on se fait à soiinême de sa propre médiocrité; c'est un aveuglement, qui nous ferme les yeux sur tout ce qu'il y a de plus bas et de plus indigne : on est capable de tout, dès qu'on peut être ennemi du mérite et de l'innocence. Troisièmement, la dureté. Ces juges corrompus, livrent le Sauveur à l'insolence et à la fureur de leurs serviteurs et de leurs ministres; et la jalousie, toujours cruelle, leur fait voir avec un plaisir inhumain les opprobres et les crachats dont on le couvre le sanctuaire même de la justice, et la majesté du tribunal sur lequel ils sont assis, ne peut servir d'asile à un innocent, contre les indignités et les outrages. Ah! l'arche d'Israël fut en sûreté dans le temple même de Dagon; et l'idole ellemême respecta, en tombant à ses pieds, la majesté et la gloire de celui qui résidoit en elle : et Jésus-Christ, l'arche du Nouveau-Testament, est aujourd'hui outragé au milieu même de son sanctuaire et de ses ministres; et si l'on tombe à ses pieds, en se prosternant devant lui, ce sont des hommages de dérision, qui insultent à ses douleurs et à ses ignominies. Qu'il reste peu de sentiment d'humanité dans un cœur, lequel après avoir regardé d'un œil d'envie et de tristesse, la prospérité de son frère, voit ses malheurs d'un œil d'allégresse et de complaisance! troisième caractère de cette injuste passion; la dureté, Elle endurcit le cœur, et-le ferme à tous sentiments de piété et de tendresse : on voit avec une joie secrète les malheurs et la décadence de ses frères; on ne peut être heureux que par leur infortune. Un air de jubilation et de réjouissance étoit répandu dans la maison d'Aman, au seul spectacle des malheurs et du supplice de Mardochée. C'est la passion d'un mauvais cœur; et c'est pourtant ce qui se passe tous les jours à nos yeux, et la passion dominante des cours cette passion cruelle fait de la société un théâtre affreux, où les hommes ne semblent paroître ensemble que pour se dévorer et se détruire, et où la décadence des uns fait toujours le triomphe et la victoire des autres. Quel aveuglement pour des chrétiens, qui doivent se regarder comme frères, et comme héritiers des mêmes biens et des mêmes promesses! Quatrièmement enfin, le sacrifice des intérêts de la patrie. Nous n'avons point d'autre roi que César, s'écrient-ils: Nos regem non habemus nisi Cæsarem (JOAN., XIX, 15); eux qui se vantoient auparavant de n'avoir jamais été sujets ni esclaves de personne: Nemini servivimus unquàm (Ibid., VIII, 33); qui détestoient le joug des incirconcis; qui avoient l'avantage d'être le peuple de Dieu, et de n'avoir que le Seigneur pour roi et pour père eux qui regardoient le sceptre des nations comme une tyrannie, et qui croyoient que tous les rois et tous les peuples deviendroient tributaires de Jérusalem, ils sacrifient cette gloire, ces avantages qui les distinguoient de tous les autres peuples de la terre, au plaisir affreux de voir périr celui, avec la réputation duquel, une secrète jalousie les rendoit irréconciliables: Nos regem non habemus, nisi Cæsarem; ils renoncent à la gloire d'être le royaume du Seigneur, à l'espérance d'Israël, et aux promesses faites à leurs pères, pourvu que l'innocent périsse. O passion détestable, comment êtes-vous née dans le cœur de l'homme et faut-il que la ruine du peuple et de la patrie vous touche moins, que le plaisir affreux de vous satisfaire ? Oui, mes Frères, c'est ici son dernier caractère. On sacrifie tout, la religion, l'état, les intérêts publics, la gloire de la patrie, à la bassesse de son ressentiment: tout ce qui favorise les personnes que la jalousie nous rend odieuses, nous devient odieux s'ils proposent des avis utiles aux peuples et à l'état, nous les rejetons; s'ils en rejettent d'injustes et de pernicieux, nous les approuvons. Cette passion aveugle se glisse jusque dans le sanctuaire des rois et dans le conseil des princes; divise ceux que l'intérêt commun, le bien public, l'amour du prince et de la patrie devroient réunir: on cherche à se détruire aux dépens des affaires et des nécessités publiques : les malheurs publics ont pris mille fois leur source dans les jalousies particulières: on oublie tout ce qu'on doit à la patrie et à soi-même, et il n'est plus rien de sacré pour un cœur que la jalousie aigrit et infecte. Telle est l'opposition que la jalousie des prêtres met dans leur cœur aux promesses et à la vérité des Ecritures. En troisième lieu, l'ingratitude poussée jusqu'à la fureur, met dans le peuple une opposition insensée à la vérité des miracles du Sauveur. Témoins de tant de prodiges qu'il avoit opérés à leurs yeux, ils paroissoient en foule à sa suite avec ses disciples; ils l'avoient même accompagné depuis peu dans son entrée triomphante à Jérusalem, faisant retentir les airs d'acclamations et de louanges; et couvrant le chemin de branches d'olivier, comme pour en faire un trophée au roi pacifique, qui venoit porter la paix et le salut dans Sion: cependant ce même peuple en furie se déclare aujourd'hui contre Jésus-Christ, le suit comme un séditieux, et demande sa mort à Pilate. Qu'il soit crucifié, s'écrient-ils: Nous ne voulons pas que celui-ci règne sur nous (Luc, XIX, 14). Quelle ingratitude! ils vouloient l'établir roi sur eux dans le désert, lorsqu'il les rassasioit d'une nourriture miraculeuse; et au milieu de Jérusalem, ils ne le connoissent plus, et regardent son joug comme une indigne servitude. C'est l'ingratitude, mes Frères, qui forme toutes nos inconstances dans les voies de Dieu. Touchés quelquefois de sa grâce, et des bienfaits singuliers dont il nous a comblés en particulier, en nous ménageant mille événements heureux pour notre salut, nous avons voulu le faire régner sur notre cœur; nous l'avons suivi quelque temps; nous avons été touchés de reconnoissance sur les attentions de préférence et de bonté qu'il avoit eues pour nous. Mais le monde, mais notre foiblesse, mais des occasions pas assez évitées, ont bientôt effacé ces sentiments de notre cœur; nous avons oublié ses bienfaits et nos promesses: et comme l'ingratitude et l'abus des grâces en va toujours tarir la source dans le sein de Dieu, il nous a livrés à toute la corruption de notre cœur; nous nous sommes déclarés sans ménagement contre lui; nous n'avons plus gardé de mesure dans le désordre; et pour étouffer les restes de nos anciens sentiments de vertu, nous avons montré une nouvelle audace dans le crime. Ainsi, mes Frères, l'inconstance dans les voies du salut, est le plus grand obstacle que la grâce trouve à combattre dans nos cœurs. Nous ne sommes jamais un instant les mêmes : tantôt touchés de Dieu, tantôt enivrés du monde; tantôt formant des projets de retraite, et tantôt d'ambition; tantôt fatigués des plaisirs, tantôt sentant renaître un nouveau goût pour eux. Notre cœur nous échappe à chaque instant: rien ne l'arrête; rien ne le fixe: notre inconstance nous devient à charge à nousmêmes. Nous voudrions pouvoir fixer notre cœur, et lui faire prendre une consistance durable dans le vice ou dans la vertu; et le premier objet le saisit et l'entraîne: nous vivons dans une variation perpétuelle, sans règle, sans maxime, sans principe; ne pouvant nous répondre de nous-mêmes pour un moment; et ne prenant que dans les inégalités de l'humeur et de l'imagination les règles de notre conduite. Et voilà ce qui nous rend si peu capables de vérité et de vertu; c'est que la vertu demande une vie uniforme, et sacrifie constamment à l'ordre et au devoir, les inconstances d'une imagination légère et variable. Nous avons beau nous lasser de notre propre inconstance; nous nous lassons encore bien plus de l'uniformité de la vertu : une vie toujours la même ; toujours assujétie aux mêmes lois; toujours soumise aux mêmes règles; toujours gênée par les mêmes devoirs, nous décourage et nous rebute. Ah! s'il ne falloit pour être saint, que faire une action héroïque de vertu, un sacrifice éclatant, une démarche généreuse, il en coûteroit moins à la plupart des hommes: on trouve en soi assez de résolution pour se faire une grande violence d'un moment : toutes les forces de l'ame semblent se réunir alors; et la courte durée du combat en adoucit et en soulage la douleur. Mais ce qui lasse dans la vertu, c'est qu'un sacrifice fait, il s'en offre un autre qu'il faut faire; c'est qu'une passion vaincue renaît aussitôt, et qu'il faut encore de nouveaux efforts pour la vaincre. Pierre aujourd'hui trouve en lui assez de générosité pour tirer le glaive, et défendre son maître contre les sacriléges qui l'insultent; mais dès que la tentation recommence, il se décourage et succombe : il est aisé d'être en certains moments héroïque et généreux; ce qui coûte, c'est d'être partout constant et fidèle. Aveuglement d'ingratitude et d'inconstance dans le peuple, qui résiste à la vérité des miracles du Sauveur. En quatrième lieu, aveuglement d'ambition dans Pilate, qui résiste à la vérité de son innocence. Le Sauveur du monde est traîné devant ce magistrat infidèle: tout prouve à Pilate son innocence: il avoue lui-même qu'il ne trouve pas cet homme digne de mort; mais on le menace de César: Non es amicus Cæsaris (JOAN., XIX, 12). Et voici tous les obstacles qu'une lâche ambition met dans son cœur à la vérité qu'il connoît, et qu'il ne peut se cacher à lui-même. Premièrement, un obstacle de dissimulation et de mauvaise foi. Ne pouvant s'aveugler sur l'innocence du Sauveur, à laquelle son silence, ses réponses, les accusations des Juifs, les songes mêmes de sa propre femme, tout enfin rendoit témoignage; mais d'un autre côté ne voulant pas se mettre en danger d'exciter une sédition dans Jérusalem, qui auroit pu déplaire à César et lui attirer sa disgrace; il propose des expédients pour sauver Jésus-Christ : il veut se servir de la circonstance de la pâque, où c'étoit la coutume d'accorder au peuple la vie d'un criminel; et par là il leur fait entendre, contre les lumières de sa conscience, que Jésus de Nazareth a besoin de grâce; et qu'il est digne de mort, si les suffrages du peuple ne font tomber sur lui l'indulgence toujours accordée au temps de la pâque. Premier obstacle que l'ambition met dans un cœur ; elle nous rend faux, lâches, timides, quand il faut soutenir les intérêts de la justice et de la vérité. On craint toujours de déplaire; on veut toujours tout concilier, tout accommoder; on n'est pas capable de droiture, de candeur, d'une certaine noblesse, qui inspire l'amour de l'équité, et qui seule fait les grands hommes, les bons sujets, les ministres fidèles, les magistrats illustres, les héros chrétiens: on met en parallèle Jésus et Barabbas, toujours prêt à sacrifier l'un ou l'autre, selon que le temps et les occasions peuvent le demander. Ainsi on ne sauroit compter sur un cœur en qui l'ambition domine : il n'a rien de sûr, rien de fixe, rien de grand: sans principe, sans maxime, sans sentiments; il prend toutes les formes, il se plie sans cesse au gré des passions d'autrui, il dit sans cesse, comme Pilate : Quem vultis vobis de duobus dimitti (MATTH., XXVII, 24 )? Lequel voulez-vous que je délivre ou que je perde? prêt à tout également, selon que le vent tourne, ou à soutenir l'équité, ou à prêter sa protection à l'injustice. On a beau dire que l'ambition est la passion des grandes ames; on n'est grand que par l'amour de la vérité, et lorsqu'on ne veut plaire que par elle. Secondement, un obstacle de haine pour la vérité, qui fait qu'elle nous est à charge. La préférence que les Juifs donnent à Barabbas sur Jésus-Christ, embarrasse Pilate : Que ferai-je donc de Jésus, qu'on appelle le Christ (Ibid., 22), leur disoit-il? Le Sauveur est pour lui un embarras son innocence lui pèse; il voudroit bien que les Juifs en fissent tout seuls leur affaire: Tollite eum vos, et secundum legem vestram judicate (JOAN., XVIII, 31); la cause de l'innocent lui est odieuse. Second obstacle que l'ambition met dans un cœur; elle nous rend la justice et la vérité odieuses. On est embarrassé du bon droit; on voudroit que ceux qu'il faut perdre, pour plaire, eussent toujours tort; on regarde comme un malheur d'être chargé de leur cause; on cherche les moyens de s'en débarrasser, et loin d'embrasser avec joie l'occasion de prêter son ministère à l'innocent, on fuit la gloire d'une belle action, comme on devroit fuir l'infamie d'une bassesse. Troisièmement, un obstacle d'hypocrisie, qui fait servir la vérité même aux vues de l'ambition. Pilate ayant appris que Jésus étoit Galiléen, le renvoie à Hérode, sous prétexte que la Galilée obéissant à ce prince, c'étoit à lui à juger de la cause de Jésus-Christ. Ce n'est pas le desir de conserver la vie à un innocent, qui détermine Pilate à cette démarche; c'est pour recouvrer l'amitié d'Hérode qu'il avoit perdue: il fait servir Jésus-Christ à ses fins, et le met à profit pour sa propre utilité. Troisième obstacle; un cœur ambitieux est d'autant plus éloigné de la vérité qu'il semble faire plus d'ostentation de l'aimer et de la suivre. C'est ce vice qui fait toutes les fausses vertus, et sous un règne surtout, où la vertu est devenue la route sûre des faveurs et des grâces: on se sert, comme Pilate, de Jésus-Christ pour gagner la bienveillance du prince: après avoir tenté toutes les autres voies, c'est la dernière ressource que l'ambition inspire elle emploie tout ce qu'il y a de plus saint et de plus sacré, les apparences du zèle et de la vertu. Quel malheur, quand on est assez corrompu pour tourner Jésus-Christ même à sa propre perte; pour faire de la vertu la voie des passions et l'attrait du vice; pour employer la religion à favoriser les desirs du siècle qu'elle condamne; pour changer les ressources mêmes de la piété en des motifs de cupidité; et les armes mêmes de la vérité en des instruments de duplicité et de mensonge! Qu'il reste peu d'espérance de salut à une ame qui peut abuser du don de Dieu, et ne faire point d'autre usage de Jésus-Christ, le juge et l'ennemi du monde, que de l'employer à parvenir aux honneurs et à la bienveillance du monde même ! Enfin dernier obstacle; un obstacle de fausse conscience, qui fait qu'en sacrifiant la vérité à des intérêts humains, on croit encore n'avoir rien à se reprocher, Pilate voyant que ses délais et ses tempéraments ne servent qu'à aigrir et allumer de plus en plus la fureur des Juifs, livre enfin le Sauveur à leur vengeance: Tradidit voluntati eorum (Luc., XXIII, 25); mais en même temps il lave ses mains, il consent qu'on le fasse mourir, et il déclare qu'il n'est pas coupable de la mort de ce Juste: Innocens ego sum à sanguine justi hujus (Matth., XXVII, 24). Dernier obstacle que l'ambition oppose à la vérité; où se fait une fausse conscience sur la plupart des démarches les plus opposées au devoir et à la règle on se persuade que la nécessité, les conjonctures, les intérêts publics, les raisons d'état, les bienséances du nom, le devoir des places, en rendant certaines transgressions comme inévitables, les rendent en même temps innocentes. Ainsi les complaisances qu'on a contre sa conscience et son devoir sont toujours nécessaires, dès là qu'elles nous sont utiles: elles ont toujours certains côtés, par où elles ne nous offrent que les dehors de la sagesse et de la prudence; enfin, tout ce qui sert à nos projets est bientôt innocent: Innocens ego sum. Aussi l'ambition, ce vice, qui forme tant de haines, de jalousies, de bassesses, d'injustices: ce vice, qui se glisse jusque dans nos vertus, et dont les plus justes sont à peine exempts: ce vice, qui infecte toutes les cours, et qui en est comme l'ame, et le grand ressort qui donne le mouvement à tout: ce vice, dis-je, est celui sur lequel on a le moins de remords, et qu'on ne s'avise jamais de porter au pied du tribunal de la pénitence. Les succès de l'ambition nous rassurent contre l'injustice de ses voies; et il suffit d'avoir été heureux, pour se persuader qu'on n'est pas coupable. J'ai dit en dernier lieu, un aveuglement d'im piété dans Hérode, qui tourne en risée la royauté de Jésus-Christ. Il ne peut se dissimuler à luimême qu'il ne soit usurpateur du trône de David, et étranger dans l'héritage de Sion: les frayeurs de son prédécesseur, sur la naissance du nouveau roi des Juifs, que les mages venoient adorer, n'étoient ni si anciennes, ni si oubliées, et avoient été même marquées par des traits trop publics et trop sanglants, pour qu'elles ne fussent pas venues jusqu'à lui. Mais l'impiété traite toujours la vérité de superstition et de crédulité; et voici ce qu'elle produit en Hérode. D'abord, un mouvement de curiosité : il souhaitoit de voir cet homme, dont la renommée publioit des choses si merveilleuses; il se promettoit d'en être lui-même le témoin, et de voir quelqu'un des prodiges que le Sauveur avoit opérés dans la Judée Sperabat signum aliquod videre ab eo fieri (Luc., XXIII, 8): il ne cherche pas des instructions; il ne veut qu'un spectacle. Il fait à JésusChrist mille questions inutiles sur sa doctrine et sur son ministère : Interrogabat autem eum multis sermonibus (Ibid., 9); mais ce n'est pas pour connoître la vérité, c'est pour en faire des dérisions, et se confirmer dans son incrédulité. Démarches ordinaires de l'impiété : on voudroit des miracles pour croire; on ne se rend point à la voix de tous les siècles, et de tous les peuples qui publient les prodiges éclatants, auxquels l'Eglise doit sa naissance et son progrès : on ne veut pas voir que l'Evangile reçu, et subsistant dans l'univers, est le plus grand miracle que Dieu ait pu opérer sur la terre : on veut être chrétien par les sens; et on ne peut l'être que par la foi. On souhaite de voir, comme Hérode, des hommes célèbres par la singularité de leurs lumières, et par une réputation publique de zèle et de vertu : mais ce n'est pas pour s'instruire; c'est pour proposer, comme Hérode, des doutes sans fin, et des questions vaines et frivoles: Interrogabat autem eum multis sermonibus. On se fait un bon air d'avoir des difficultés sur la croyance commune: on cherche à discourir sur la vérité, mais on ne cherche pas la vérité; on parle toujours de religion, et on n'en a point : Interrogabat autem eum multis sermonibus. Ceux qui interrogeoient Jésus-Christ pour s'instruire, se contentoient de lui demander: Maître, que faut-il faire pour mériter la vie éternelle (Luc, x, 25)? Ils en venoient d'abord aux devoirs ils couroient au remède de leurs maux les plus pressés : ils vouloient qu'il leur apprit d'abord à vaincre leurs passions, à pratiquer les préceptes de la loi, et à trouver la voie qui conduit à la vie : Quid faciendo, vitam æternam possidebo? Ils vouloient aller à la vérité par les devoirs, et non pas douter de la vérité, pour se dispenser des devoirs. Ceux-ci au contraire, ne se proposent dans leurs questions et dans leurs doutes, que de se dire à eux-mêmes, qu'au fond tout est incertain, qu'on n'a rien de satisfaisant à leur répondre; et avoir l'audace de douter de la vérité, est pour eux une preuve décisive contre elle. C'est ainsi, ô mon Dieu ! que votre justice punit l'orgueil d'une foible raison, en la livrant à ses propres ténèbres. A la curiosité Hérode mêle la dérision: n'ayant pu même tirer de Jésus-Christ une seule parole; il le méprise, et toute sa cour suit son exemple : Sprevit autem illum Herodes cum exercitu suo (Luc., xxIII, 41). Le silence du Sauveur, sa modestie, sa patience dans les humiliations dont il est couvert, son humilité qui lui fait cacher ses talents divins et ses œuvres admirables devant Hérode; tout cela, qui auroit dû être auprès de ce prince autant de preuves éclatantes de la sainteté de Jésus-Christ, ne sert qu'à le faire passer pour un homme d'un esprit foible, et d'une raison égarée on le revêt d'une robe blanche comme un insensé, et on le renvoie à Pilate: Et illusit indutum veste albá (Ibid). : Et voilà, mes Frères, comme Jésus-Christ dans ses serviteurs, est tous les jours traité dans le monde, et surtout à la cour des rois. Si les gens de bien s'y dispensent de certains plaisirs; s'ils se taisent à certains discours; s'ils ne se conforment pas à certains usages; s'ils se font un scrupule de certains abus que l'exemple commun autorise; loin d'admirer en eux la force de la grâce, et la grandeur de la foi, qui peut résister au torrent des plaisirs et des exemples, on traite leur piété, et la magnanimité de leur vertu, de petitesse d'esprit. On les regarde comme des hommes oiseux et bornés; qui manquent d'élévation et de courage, et incapables de suivre des routes plus brillantes: on croit qu'il faut laisser un certain détail de dévotion à ceux qui, par la médiocrité de leurs talents, n'ont rien de mieux à faire : on s'applaudit de ne pas leur ressembler : on s'estime trop soi-même, pour se croire propre à remplir les devoirs sublimes de la religion: on se croit né pour de plus grandes choses, que pour servir Dieu, que pour sauver son ame, que pour mériter un royaume immortel, que pour être reçu dans cette cité éternelle, où tous les citoyens seront rois, et où toute grandeur anéantie, ils jouiront seuls de l'immortalité et de la gloire. Monde profane! vous mépriserez toujours Jésus-Christ, parce que Jésus-Christ vous condamnera toujours; sa croix vous paroîtra toujours une folie, parce qu'elle confondra toujours votre fausse sagesse. Monde réprouvé! vous rejetterez toujours Jésus-Christ, parce que Jésus-Christ vous a rejeté lui-même de son héritage : vous traiterez toujours ses disciples d'insensés, parce que leur conduite vous fait sans cesse sentir que vous l'êtes vous-même. Monde misérable! vous livrerez toujours Jésus-Christ, parce que Jésus-Christ vous incommode et vous embarrasse : vous sacrifierez toujours la conscience et le devoir à des intérêts vils et rampants, parce que vous ne connoissez pas Dieu, et que vous n'aurez jamais d'autre divinité qu'une fortune de boue, qui vous coûte beaucoup, et qui ne peut jamais réussir à remplir vos desirs et votre attente. Monde injuste! vous persécuterez toujours Jésus-Christ, parce que Jésus-Christ n'est venu que pour détruire votre empire : vous soupçonnerez toujours l'innocence, la vertu, la droiture de ses serviteurs, parce qu'il vous importera toujours de vous persuader que la vertu n'est qu'une feinte, et que les gens de bien vous ressemblent. Monde insensé! vous rougirez toujours de Jésus-Christ, vous vous cacherez toujours de la piété comme d'une foiblesse, parce que vous préférerez toujours la gloire des hommes à celle de Dieu. La vérité ne vous délivrera jamais, parce que vous la retiendrez toujours dans l'injustice; et Jésus-Christ trouvera jusqu'à la fin au milieu de vous, comme aujourd'hui à Jérusalem, un aveuglement de respect humain, qui résistera à la vérité de sa doctrine; un aveuglement de jalousie, qui résistera à la vérité des Ecritures; un aveuglement de légèreté et d'ingratitude, qui résistera à la vérité de ses miracles; un aveuglement d'ambition, qui résistera à la vérité de son innocence; enfin, un aveuglement d'impiété, qui résistera à la vérité de sa royauté. C'est ainsi que le monde fait éclater aujourd'hui toute son opposition pour la vérité, en condamnant Jésus-Christ: il faut voir comment Jésus-Christ sur la croix devient aujourd'hui le grand témoin de la vérité, pour condamner le monde par elle. DEUXIÈME PARTIE. La mort de Jésus-Christ est le grand témoignage de la vérité contre les erreurs et les préjugés des passions humaines et c'est aujourd'hui proprement que le Père a établi son Fils, comme il est dit dans Isaïe, le témoin de la vérité pour condamner le monde qui la rejette: Ecce testem populis dedi eum (ISAI., LV, 4.). Or, nous avons vu que le monde, en rejetant aujourd'hui Jésus-Christ, s'aveugle sur la vérité |