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de Jésus-Christ est déplacé dans le monde; c'est pour cela même qu'il n'y sauroit paroître souvent sans être obligé, ou d'applaudir aux égarements des mondains par son silence, ou sans se rendre importun et ridicule en les reprenant; c'est pour cela que nous ne devons nous y produire que lorsque nos fonctions nous y appellent et nous autorisent alors à remplir notre ministère, à ne pas rougir de la vérité, et annoncer des paroles de salut. Nous devenons inutiles au monde en le fréquentant; et par cela seul, il doit nous être interdit. Nous perdons le droit et l'autorité, que nous donne notre caractère, de le reprendre: nous lui rendons la vérité méprisable dans notre bouche: des suites si tristes, si humiliantes pour nous, si déshonorantes pour notre caractère, pourroient-elles devenir notre excuse? Pouvons-nous alléguer l'inutilité de nos remontrances au milieu des mondains, sans nous dire à nous-mêmes que ce n'est pas là notre place? et devons-nous conclure de là qu'on peut être le spectateur continuel et innocent de leurs désordres, sans les en avertir, de peur de se rendre odieux et importun; ou qu'il faut les fuir, parce que le seul moyen de leur être utile et de les reprendre avec succès, est de les voir rarement ? Lorsque l'envoyé d'un prince paroît revêtu de l'autorité du souverain qui l'envoie, et qu'il fait les fonctions de sa légation, on l'écoute avec respect; on traite sérieusement avec lui; on n'est point blessé de l'entendre annoncer les ordres et les volontés de son maître: son caractère met sa personne en sûreté au milieu même de ses ennemis. Mais dès qu'il en est dépouillé, et qu'il ne paroît plus que comme un homme ordinaire, tout change de face: il parle sans autorité; on ne l'écoute plus, ou on l'écoute sans attention: il n'est plus en droit de traiter d'affaires sérieuses; sa personne même et sa vie ne sont plus en sûreté: voilà notre destinée. Nous sommes, dit l'Apôtre, les ambassadeurs de JésusChrist: Pro Christo legatione fungimur (2. Cor., v, 20.) Tant que nous paroissons au milieu du monde, revêtus de ce caractère auguste, et que nous en remplissons les fonctions saintes, le monde nous écoute avec respect: nous lui parlons avec autorité; nous sommes en droit de lui annoncer les vérités du maître qui nous envoie; et quoique nous soyons exposés aux piéges et aux embûches d'un monde ennemi de Jésus-Christ, notre ame y est en sureté. Mais dès que nous nous dépouillons de ce caractère respectable et sacré; que nous n'en faisons plus les fonctions, et que nous paroissons au milieu du monde comme des hommes ordinaires, nous perdons toute notre autorité: nous n'avons plus droit de parler au nom du maître qui

ne nous envoie plus; on ne daigne plus nous écouter; il n'y a plus rien en nous qui nous attire des attentions et du respect; et plus rien même qui nous mette en sûreté contre les périls qui nous environnent. Et comment y serions-nous en sûreté? nous marchons parmi les écueils, et le Seigneur ne nous envoie pas; et il ne nous suit pas; et il ne nous soutient pas; et il ne veille pas sur nous. Que sommes-nous alors? un navire qui marche sans pilote et sans gouvernail, dit saint Jude, sur une mer orageuse et toute semée d'écueils; un enfant qui peut à peine marcher, et qui court sans soutien sur le bord d'un précipice; un oiseau encore foible, dit un Prophète, qui veut sortir du nid et voler seul dans les airs, avant que ses ailes se soient fortifiées, et qui va devenir la proie du passant.

La règle inviolable est donc d'examiner devant Dieu, toutes les fois que nous allons nous mêler parmi les hommes, si c'est leur utilité qui nous y appelle: nous demander à nous-mêmes : Dieu en sera-t-il glorifié? est-ce son œuvre que je vais faire ? sont-ce mes devoirs que je me propose ? est-ce la charité qui va consoler les affligés; fortifier les foibles; s'édifier avec les Justes; travailler à ramener les pécheurs ? est-ce le zèle qui va cultiver en secret les fruits d'un travail public; soutenir une conversion naissante par de saints entretiens; calmer des dissensions domestiques par des avis de douceur et de sagesse; réconcilier les pères avec les enfants; rendre aux épouses le cœur de leurs époux, et porter la paix de Jésus-Christ dans les familles ? est-ce la vigilance et la sollicitude sacerdotale, qui entre dans toutes les œuvres de miséricorde et de piété; qui va prendre des mesures pour remédier à la licence, pour réformer des abus publics; qui va mettre l'innocence exроsée à couvert, ou cacher le scandale de sa chute aux yeux des peuples ? est-ce la prudence chrétienne qui va honorer les puissances pour les rendre utiles aux desseins de Dieu; qui cultive les grands pour en faire les protecteurs de la vérité, ou du moins afin qu'ils ne favorisent pas l'erreur, et qu'ils ne s'opposent pas à l'œuvre de l'Evangile; qui rend à ses frères les devoirs indispensables de la société, pour ne pas blesser leur orgueil, pour s'insinuer dans leurs cœurs par d'innocents artifices; pour ne pas se rendre inutiles, en se rendant odieux? Il ne s'agit ici que d'éviter l'illusion; de ne pas couvrir nos propres penchants sous les dehors de la piété; et de ne point prendre les suites d'un naturel inquiet, curieux, immortifié, ennemi de la retraite et de la prière, pour les démarches du zèle et de la charité. Il s'agit de ne pas confondre l'envie de se produire, le desir de plaire, de s'attirer la confiance et l'estime, avec la charité qui ne cherche qu'à édifier; de ne pas confondre la présomption, qui entreprend tout; l'ostentation, qui veut paroître se mêler de tout; la complaisance, qui veut avoir l'honneur des bonnes œuvres; l'inquiétude, qui ne cherche qu'à se montrer, avec le zèle, qui ne veut que se rendre utile: de ne pas confondre la prudence chrétienne, qui nous fait ménager les grands, afin qu'ils favorisent l'Eglise, avec l'ambition secrète qui ne veut que se les rendre favorables à soimême : enfin de ne pas confondre les devoirs que nous rendons aux mondains, pour ne pas blesser leur orgueil, et ne pas les éloigner de nous, avec ceux que nous leur rendons pour l'augmenter par de vaines adulations, et nous les concilier par nos ménagements et nos bassesses. Il est si ordinaire de se faire là-dessus illusion à soi-même; de confondre nos intérêts avec les intérêts de la piété ; et de nous persuader que nous cherchons Dieu, tandis que nous ne cherchons que nous-mêmes.

Et de là, mes Frères, le peu de succès de nos fonctions. Notre zèle, loin de ramener les pécheurs, leur fournit contre nous des dérisions et des censures: notre charité leur paroît plutôt un desir de leur plaire, que de leur être utiles: notre vivacité à tout entreprendre, une inquiétude de tempérament, une horreur du repos, plutôt qu'un amour du bien: les devoirs de bienséance que nous leur rendons, les importunent et nous rendent méprisables. Ce n'est pas que le monde ne forme quelquefois les mêmes jugements des ministres les plus fidèles, et n'use envers eux de la mème injustice; mais ce sont les défauts que je viens de blâmer, et dont il a été souvent témoin, qui l'ont accoutumé à la témérité de ces soupçons : il impute à tous les foiblesses de quelques-uns: et parce qu'il a vu souvent des zèlés déplacés, il ne lui en faut pas davantage pour conclure qu'il n'en est point de solide et de véritable. Ainsi, mes Frères, ne confirmons pas le monde dans les préjugés injustes qu'il a contre nous: forçons-le d'avouer, par la sagesse et la sainteté de notre conduite, que le desir tout seul de son salut nous anime et nous fait agir; que notre gloire n'est pas celle qui vient des hommes, mais celle que les hommes rendent à Dieu; que la seule récompense de nos travaux est dans le fruit que nos frères en retirent, et non dans les vaines louanges qu'ils leur donnent; que nos vues sont aussi élevées et aussi saintes que nos fonctions; et que si nous paroissons parmi eux, ce n'est que pour combattre leurs passions, et non pour y porter les nôtres. Voilà les motifs qui doivent nous conduire dans le

monde: voici les règles qui doivent nous y accompagner lorsque nous y sommes.

DEUXIÈME RÉFLEXION.

Quoique la pureté des motifs décide presque toujours de toute la suite de nos actions; et que lorsque l'œil est simple et éclairé, il répande la lumière sur tout le corps de la conduite; néanmoins comme on peut se séduire soi-même dans les vues qui nous font agir; et que d'ailleurs par la foiblesse et la mutabilité seule du cœur humain, les plus saintes intentions se démentent souvent dans la pratique, et se laissent, ou affoiblir, ou surprendre par des événements et des piéges qu'on n'avoit pu prévoir, il importe d'exposer ici les précautions dont il faut toujours accompagner les plus saints motifs qui nous produisent dans le monde, et établir quelques règles sur les attentions que nous devons apporter dans les commerces que nos fonctions nous obligent d'avoir avec les hommes.

Or il me semble que tout ce qu'on peut dire làdessus se réduit à ces deux points: aux personnes qu'il faut éviter; aux règles qu'il faut observer avec celles qu'on peut voir. Les personnes qu'il faut éviter sont, premièrement, celles à qui nous sommes inutiles; secondement, celles qui peuvent nous être dangereuses; troisièmement, celles à qui nous ne devons pas nos soins; quatrièmement, celles à qui nous ne pouvons les rendre sans quelque scandale. Ne me refusez pas votre attention.

Je dis premièrement, les personnes à qui nous sommes inutiles. Car si le zèle seul du salut de nos frères doit nous conduire dans le monde, il est clair que nous ne devons avoir rien de commun avec ceux avec qui nous ne voyons aucun fruit à faire. Partout où la vertu est méprisée, le langage de la piété point entendu, la seule présence d'un homme de bien odieuse ou importune, un ministre de Jésus-Christ n'a plus de raison pour y paroître: partout où il faut, ou applaudir au vice, ou dissimuler l'erreur, ou fermer les yeux au scandale, ou même le respecter; en un mot, partout où la parole du Seigneur est liée, où l'on jetteroit infailliblement des pierres précieuses devant des animaux immondes; un prêtre, c'est-à-dire, un homme de Dieu y est déplacé, et la religion même y est outragée par sa seule présence. Jésus-Christ disparoît, et se rend invisible aux yeux des habitants de Nazareth, parce qu'il étoit dans sa patrie un prophète sans honneur. Les apôtres secouoient la poussière de leurs pieds, et sortoient aussitôt des maisons et des villes, où il ne se trouvoit pas un seul enfant de la paix, et où la vérité de l'Evangile n'étoit point écoutée. Ce n'est pas, lorsqu'il s'agit des fonctions de notre ministère, qu'il faille être sûr du succès pour les remplir, et que l'inutilité présumée et même infaillible puisse devenir une raison légitime de nous en dispenser. Celui qui sème, jette la semence sainte sur la terre qui rapporte au centuple, comme sur celle qui ne renferme que des ronces et des rochers, et où la semence est étouffée et ne produit rien. Le Seigneur envoie ses prophètes et ses ministres autant pour l'instruction des uns que pour la condamnation des autres; autant pour ouvrir les yeux à ceux qui souhaitent de connoître, que pour achever d'aveugler ceux qui ne veulent pas voir; et si l'Evangile n'avoit pas trouvé des cœurs rebelles et endurcis, l'Eglise n'auroit point eu de martyrs. Les contradictions que le monde oppose à notre zèle, loin de l'abattre, elles sont dans l'ordre de Dieu; elles ont été promises à nos fonctions: l'Apôtre les regardoit comme les titres les plus glorieux et les plus authentiques de son apostolat. Il faut que les Ecritures s'accomplissent, et que la sagesse du monde soit jusques à la fin ennemie de la sagesse delacroix : il ne s'agit donc pasici des fonctions de notre ministère; il s'agit de nos sociétés et de nos commerces. Notre ministère, nous le devons à tous; aux sages comme aux insensés, à l'exemple de l'Apôtre; c'est à Dieu seul, qui donne l'accroissement, à le rendre utile à nos frères: mais la familiarité de notre présence, nous ne la devons qu'à ceux qui peuvent s'en édifier avec nous. Eh! qu'y auroit-il en effet qui pût autoriser nos liaisons avec des hommes enivrés de leurs plaisirs et de leurs passions, desquels tout ce que nous pouvons nous promettre, c'est d'augmenter le mépris qu'ils ont pour la vertu, et d'aggraver leur condamnation? Et par cette règle si juste, si raisonnable, de ne pas nous lier avec les personnes à qui nous sommes inutiles; voilà bien des commerces retranchés pour nous dans le monde.

Seconde règle : éviter les personnes qui peuvent nous être dangereuses; eh! qu'il en est de ce nombre! soit par l'ascendant de leur esprit; soit par le caractère de leur cœur; soit par les suites de leur profession; soit par les piéges de leur sexe. Par l'ascendant de leur esprit: certains hommes téméraires, audacieux, qui blasphèment ce qu'ils ignorent; regardant la majesté et l'autorité de la foi comme une crédulité populaire; s'égarant dans leurs pensées; affectant d'avoir un langage à part; traitant avec dérision ce qu'il y a de plus auguste et de plus terrible dans la doctrine de Jésus-Christ; se piquant de force d'esprit et de supériorité de

raison; et ne voyant pas que la source de leur incrédulité est plus dans la corruption de leur cœur, que dans la prétendue singularité de leurs lumières: Et hos devita, écrivoit l'Apôtre à son disciple (2. Тім., III, 5). Les hommes de ce genre se sont multipliés en ces derniers temps, et avec eux les maux et les scandales de l'Eglise; et tandis que les pasteurs se divisent entre eux sur les vérités les plus abstraites de la foi, ces hommes impies se servent de ces divisions mêmes pour en attaquer le fonds, pour renverser le fondement que Jésus-Christ a posé; et leurs paroles débitées en secret, comme un venin dangereux, gagnent insensiblement, infectent tout, et répandent le blasphème et l'irréligion parmi les fidèles. Nonseulement ces hommes impies doivent être pour vous comme des anathèmes; il est encore pour vous, mes Frères, un autre geure d'hommes dans le monde, qui sont dangereux par l'ascendant de leur esprit: des mondains, qui nés avec une éloquence naturelle, et des talents supérieurs du côté de l'esprit, prennent d'abord empire sur tout ce qui les environne, ébranlent, persuadent, entraînent, abusent des dons de Dieu, et d'une malheureuse vivacité, pour tourner la vertu en ridicule, donner au vice des couleurs d'innocence, justifier les passions, affoiblir les vérités du salut, rabattre du moins de tout ce que la religion nous en apprend, taxer d'excès, de foiblesse, de devoirs impraticables, les devoirs les plus essentiels; des apologistes éternels du monde et de ses abus; des ennemis de la croix de Jésus-Christ et de sa doctrine; des hommes qui vivent dans le monde, comme si l'Evangile n'y avoit rien changé, comme si le monde étoit encore notre loi; qui donnent un air de dérision et de petitesse d'esprit à tout ce qui ne leur ressemble pas; les apôtres du siècle et du démon, et qui par l'ascendant que leur donnent la facilité et l'agrément de l'esprit, sont courus, recherchés, reçus partout avec distinction; font toute la joie et tout l'ornement des sociétés mondaines; ont un accès libre dans les palais des grands; multiplient partout leurs sectateurs, et perpétuent parmi les hommes la doctrine corrompue du monde, que l'Evangile avoit anéantie. Voilà les personnes à craindre par l'ascendant de leur esprit.

Par le caractère de leur cœur. Certains hommes efféminés, mous, voluptueux, que le plaisir seul touche; éternellement occupés d'amusements; incapables de rien de grand, de sérieux, de solide, de digne de l'homme et du chrétien; et d'autant plus à craindre, que leurs penchants sont doux, leurs mœurs faciles, leurs manières ouvertes, leur

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esprit sociable et liant, leur cœur tendre, sincère, capable d'attachement; et que leur vie molle et oiseuse est le caractère le plus propre à s'insinuer dans nos cœurs, à nous amollir, à nous corrompre par l'amour du repos, à nous rendre le travail et toute contrainte insoutenable; et par conséquent le caractère le plus fatal à l'esprit de notre ministère: tels sont les hommes à craindre pour nous par le caractère de leur cœur.

Par les suites de leur profession. Oui, mes Frères, évitez surtout ces ministres mondains et dissipés, auxquels les marques de la même profession sembleroient devoir vous lier davantage: la grâce de l'imposition des mains est éteinte en eux; vous ne la ressusciteriez pas; et vous verriez infailliblement périr et éteindre la vôtre. Ils sont dans le monde l'opprobre du saint ministère: n'augmentez pas la honte de l'Eglise, en vous associant à eux; soutenez au contraire sa gloire et sa dignité en les fuyant: n'autorisez pas leurs scandales en les fréquentant; désavouez-les plutôt par une entière séparation : montrez au monde que l'Eglise ne les avoue pas pour ses ministres; et que déshonorant leur caractère, ils ne sont pas dignes de la société de ceux qui le respectent, et qui se font honneur d'en être marqués : couvrez-les de confusion, en les éloignant de vous, afin que la honte de cet anathème et de cette séparation, les fasse rentrer en eux-mêmes, ou que du moins le monde apprenne à les mépriser; et qu'il connoisse qu'ils sont sortis, à la vérité, de parmi nous, mais qu'ils ne sont plus des nôtres : souvenez-vous que leur société a tout ce qu'il faut pour anéantir en vous tout zèle des fonctions, et tout esprit du sacerdoce. Le Prophète dont j'ai déja fait mention, conserva son innocence et toute sa dignité au milieu de la cour de Samarie: au sortir de là, le commerce d'un seul faux prophète le fit tomber. Le monde du moins conserve encore une sorte de respect pour notre consécration'; et un reste de pudeur et de bienséance nous retient devant lui, et nous oblige, pour ne nous pas rendre méprisables, de garder encore certaines mesures. Mais avec ceux que le même ministère nous unit, il n'est plus de frein qui nous arrête : l'exemple de la profanation qu'ils font de leur caractère, nous rassure: nous ne craignons plus des témoins qui deviennent nos modèles et nos complices. Le premier sentiment qu'ils nous inspirent, c'est le mépris de notre état; c'est de secouer le joug des règles, et la contrainte même que le monde nous impose; c'est de donner du ridicule à la piété, à la régularité, au zèle de leurs confrères; c'est de rappeler avec dérision les instructions re

çues dans ces maisons saintes; en un mot, c'est d'ajouter l'audace, l'imprudence au dérèglement, et de ne craindre plus ni Dieu ni les hommes. Leur société est d'autant plus généreuse pour nous, qu'entrant dans le monde, elle nous paroît la plus naturelle et la plus convenable; que la même profession, souvent la même éducation, et les liens contractés dès l'enfance, nous avoient déja unis; que c'est une société toute faite, que nous trouvons, qui nous dispense d'en chercher et d'en faire de nouvelles.

Mais si la conformité de l'état devient un danger pour nous, la différence n'en est pas un moindre; et parmi les personnes dont le commerce nous est dangereux par les suites de leur profession, il faut compter ceux qui par les engagements d'un état militaire, si opposé à la douceur et à la sainteté du nôtre, n'ont que des penchants tumultueux, des desirs de gloire, d'élévation, de fortune, et ne connoissent d'honneur et de mérite, que celui qui nous vient de la valeur et du courage. Ils ne voient qu'avec mépris la tranquillité du sanctuaire, la modestie, la simplicité, la mansuétude sacerdotale: tout ce qui ne respire pas le feu et le sang, et qui ne respire que la douceur et la charité de Jésus-Christ, leur paroît pusillanimité et bassesse de cœur. Le saint repos du temple et de l'autel, les cantiques divins, les louanges du Seigneur, les supplications publiques portées tous les jours aux pieds de son trône, pour implorer ses miséricordes sur les peuples et sur les rois, sur les villes et sur les armées, ne sont dans leur esprit qu'une indigne oisiveté : le partage de ceux qui se consacrent à l'Eglise, ils le regardent comme le parti des lâches et des fainéants. Ils croient que les hommes ne sont faits que pour se détruire les uns les autres; qu'il y a bien plus de gloire à désoler les provinces, qu'à les sanctifier; qu'il est bien plus honorable à l'homme de porter la mort dans le cœur de son frère, que d'y porter la vie et le salut; et que sans les guerres, il n'y auroit point de vertu, au lieu que c'est d'elles que naissent presque tous les vices et toutes les calamités de la terre. Ainsi nous formant peu à peu sur leurs mœurs, nous commençons à moins estimer notre état; il nous paroît bas et obscur: nous voudrions être encore arbitres de notre destinée pour changer la ceinture sacerdotale contre la militaire: nous croyons que nos proches nous ont déplacés, en nous destinant à l'autel; qu'ils ont plus consulté leurs intérêts, que nos inclinations et nos talents; et que pour établir la fortune d'un aîné, ils nous ont fait perdre la nôtre. Aussi, on voit tous les jours dans le monde, des ministres plus versés dans les règles et les affaires militaires, que dans les fonctions et les règles de leur état ; plus instruits des guerres qui ont troublé le monde, que des erreurs et des doctrines perverses qui ont déchiré l'Église; plus au fait de ce qui se passe dans les armées que de ce qui se passe dans le sanctuaire; et sous un habit saint, portant sur leur visage l'audace, la fierté, la dissipation de ceux qui sont engagés dans une milice profane. Voilà les personnes dont la société nous est funeste par les suites de leur profession.

Enfin par les piéges de leur sexe; et c'est ici le plus dangereux écueil de notre ministère. Un prêtre, dit saint Jérôme, doit avoir une chasteté propre et une pudeur sacerdotale, pour ainsi dire; de sorte que non-seulement son corps soit exempt de souillure, mais que ses yeux conservent toute l'innocence nécessaire par parvenir à être les témoins et les spectateurs de ce qui se passe dans le Saint des Saints; et que son esprit attentif à ces merveilles augustes et terribles, que son ministère opère sur l'autel, soit libre de ces images même involontaires, qui pourroient en troubler la tranquillité. De plus par notre consécration, nous sommes comme Jésus-Christ, les oints et les saints du Seigneur; ainsi tout ce qui n'est pas saint, un seul regard indiscret, une seule parole moins mesurée, une seule manière moins décente, un seul mouvement de la chair négligemment étouffé, une seule complaisance sensuelle, un seul desir trop humain nous souille et nous profane. Or cette pureté angélique qui doit ètre le fruit de la retraite, de la prière, de la vigilance, des macérations; ce trésor que nous portons dans des vases si fragiles, comment le conserver au milieu des commerces et des écueils, où il fait tout les jours un si triste naufrage? si le simple fidèle y voit périr sûrement cette chasteté commune et ordinaire, commandée à chaque chrétien; le prêtre pourroit - il y sauver cette chasteté sacerdotale, privilégiée, bien plus éminente, plus aisée à flétrir et si tendre, si délicate, qu'un souffle seul est capable d'en ternir tout l'éclat et toute la beauté? Car, mes Frères, si le caractère saint, qui nous impose une si haute obligation de pureté et d'innocence, en marquant notre ame du sceau sacré, y avoit effacé le sceau funeste de corruption que la chute d'Adam y a gravé; si en devenant prêtres, nous étions moins des hommes foibles et fragiles; si l'onction sainte répandue sur nous avoit éteint ce feu profane, qui depuis le premier péché coule dans les veines de l'homme avec son sang, nous pourrions nous flatter que le privilége de notre caractère nous met en sûreté; et

que ce qui est péril pour le reste des fidèles, ne nous offre rien que nous devions craindre. Mais hélas! nous portons en nous le même fonds de foiblesse et de corruption, que le reste des hommes; que dis-je? nous portons les mêmes foiblesses, et nous ne portons pas les mêmes ressources; et notre caractère, loin de nous rassurer, doit redoubler nos alarmes, parce qu'il augmente nos dangers : l'engagement de continence, qu'il nous impose, irrite et soulève les passions de la chair: privés par la sainteté de notre état du remède qui peut leur servir de frein dans le commun des hommes, nous n'avons plus que la fuite et la prière à leur opposer: notre seul remède est dans la foi, dans la piété, dans la garde des sens et la vigilance : si nous le négligeons un moment, nous périssons; et comme nous portons aux dangers des passions plus vives, nous y trouvons infailliblement la mort et le péché. Tout est donc péril pour un prêtre auprès d'un sexe, dont les fréquentations mêmes que le monde appelle les plus innocentes, ne peuvent l'être pour lui: il périra à la seule vue d'un objet qu'un mondain auroit regardé avec indifférence: un seul discours trop libre, un seul air immodeste, une seule manière affectée et engageante le souillera: il y sera toujours sur le bord du précipice, et en sortira rarement sans y être tombé.

Vous vous rassurez peut-être sur l'horreur que vous croyez sentir pour une chute grossière; mais qui vous a dit que ce n'est pas en vous une présomption? et ignorez-vous que cette horreur, quand elle est sincère, non-seulement nous éloigne de la chute, mais de tout ce qui pourroit nous y conduire? qui vous a dit que ce n'est pas un piége du tentáteur, lequel augmente notre confiance à mesure que le péril où il nous engage, est plus inévitable ? et croyez-vous que tous ceux qui tombent, se soient attendus au malheur de la chute? le démon a plus d'une ressource; et il en attire plus dans ses filets par les fausses apparences de l'innocence, que par l'attrait même du crime. Ne suffit-il pas pour craindre, qu'on porte en soi tout ce qu'il faut pour tomber; et la témérité, qui cherche le péril, pourroit-elle devenir pour nous une sûreté contre le péril même ? Hélas! Paul fortifié de tant de grâces, instruit dans le ciel de ces secrets ineffables, que l'œil de l'homme n'a point vus, et que l'oreille n'a jamais entendus; Paul plein de l'amour de JésusChrist, jusques à défier toutes les créatures et la mort même de l'en séparer; châtiant sans cesse son corps et le réduisant en servitude; ne vivant plus de la vie des sens, mais de la vie seule

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