vous souffrez que nous parlions humainement des lois divines de votre Eglise: la force des usages a si fort prévalu contre les règles, que nous n'osons presque plus les proposer dans toute leur sévérité : il y faut des adoucissements et des palliations, pour s'accommoder au relâchement de nos mœurs et à l'autorité des exemples. Mais, o mon Dieu, le torrent des générations et des âges coule devant votre divine immutabilité; et en demeurant toujours le même, vous voyez le changement des siècles et la vicissitude des temps et des mœurs. Si vous n'étiez que le Dieu du siècle présent, nous pourrions peut-être nous flatter que vous nous jugeriez par ses mœurs et par ses usages; mais vous êtes le Roi immortel de tous les siècles, et le Dieu de l'éternité et de la vérité qui demeure toujours: vous ne nous jugerez que par elle; et malheur à ceux que l'usage seul, et non la vérité, justifiera et délivrera au jour terrible de vos vengeances! Ce seroit ici le lieu d'expliquer la troisième partie de ce discours, que j'ai appelée l'erreur des précautions: mais les règles que nous avons établies jusques ici suffisent pour la combattre. J'ajouterai seulement que le plus monstrueux de tous les vices dans les clercs, et cependant le plus ordinaire, est sous prétexte des besoins à venir, d'amasser toujours, et de ne rien répandre; qu'il y a de l'inhumanité de préférer les frayeurs chimériques d'une cupidité insatiable, aux misères réelles et présentes des membres de Jésus-Christ; qu'il semble que c'est une malédiction sur les prêtres, que ce desir d'amasser et cette avarice sordide qui ne croit jamais en avoir assez : le monde lui-même nous couvre de cet opprobre; et l'avarice d'un prêtre est un de ces traits satiriques qui ont passé chez lui en proverbe. Mais, mes Frères, s'il falloit de nouveaux motifs pour vous inspirer toute l'horreur que mérite un vice si honteux, il suffiroit de vous dire que c'est le vice le plus indigne d'un ministre de l'Eglise, et le plus opposé à l'esprit et aux fonctions nobles et sublimes du saint ministère. Un prêtre avare, dur aux pauvres et à lui-même, voyant croître tous les jours sa soif insatiable et ses desirs avec ses trésors, est un de ces scandales que les sages et les libertins, le monde et la piété, regardent avec une égale indignation : rien ne rend notre caractère plus méprisable. Déja vous pensez à un avenir dont personne ne peut vous répondre : vous amassez, et d'autres recueilleront pour vous; et des parents avides se partageront votre dépouille sacrée; et ils insulteront même à votre avarice, dans le temps qu'ils en découvriront, et qu'ils en engloutiront les fruits criminels et monstrueux. Mais que leur serviront, dit l'Esprit saint, ces trésors d'iniquité et d'inhumanité? ils porteront la malédiction dans leur famille jusques à la quatrième génération : c'est le sang des pauvres qu'ils ont mis sur leur tête, et qui ne cessera de crier vengeance contre eux : c'est un levain funeste qu'ils ont mêlé avec leurs héritages, et qui peu à peu en aigrira et corrompra enfin toute la masse : c'est un feu caché et dévorant, qu'ils ont porté indiscrètement dans leur maison, et qui tôt ou tard la réduira à un triste amas de cendres: c'est une vérité confirmée par l'expérience de tous les siècles. Ce sont les aumônes et les largesses faites autrefois à nos temples, qui ont conservé les noms et la descendance des maisons les plus illustres: les titres les plus anciens qui nous restent de leur noblesse et de leur grandeur, ne se trouvent plus que dans les monuments sacrés des églises que leurs ancêtres, ou dotèrent, ou enrichirent : sans ces pieuses fondations, la gloire de leur ancienneté seroit presque inconnue, et tous leurs plus beaux droits, ou contestés, ou suspects : les biens donnés à l'Eglise ont donc conservé les maisons et toute la grandeur de leurs titres. Mais il est encore plus vrai que ce sont ces mêmes biens usurpés, laissés aux parents par des bénéficiers avares, appliqués à soutenir la vanité et l'ambition des familles, qui ont été la première source de leur décadence: on voit sécher la racine de ces maisons superbes et parées des richesses de l'autel; l'usurpation des biens sacrés est le ver secret qui les a frappées de stérilité, et qui en a fait écrouler toute la grandeur, de sorte qu'il ne reste plus de leur élévation que de tristes ruines. Oui, mes Frères, il en est des richesses de l'arche comme de l'arche ellemême: elles portent la mort, les plaies, la désolation dans les maisons où elles entrent contre l'ordonnance de la loi. Evitons donc ces écueils, mes Frères, rendons à Dieu ce qui est à Dieu. Plus l'Eglise nous comble de ses biens, plus soyons touchés de zèle pour ses besoins et pour sa gloire: imitons du moins la reconnoissance et la générosité des enfants du siècle. Quand le prince les a honorés de ses bienfaits, et élevés à des postes brillants, ils sacrifient leur vie pour lui en marquer leur reconnoissance: ils ne comptent pour rien les fatigues et les périls des guerres et des combats: ils emploient généreusement pour la gloire et le service du prince, les biens qu'ils tiennent de sa libéralité : les récompenses deviennent pour eux des motifs honorables de zèle et de dévouement pour leurs bienfaiteurs: on les entend publier eux-mêmes que le prince les ayant faits tout ce qu'ils sont, ils ne sauroient mieux reconnoître ses bienfaits, qu'en employant tout ce qu'ils sont pour le prince: c'est un langage dont vos pères illustres dans l'état, ont souvent instruit votre enfance: vous les avez vus justifier les profusions attachées à leurs emplois, leurs fatigues, leur application continuelle, le dépérissement même de leur santé, sur les soins et la reconnoissance qu'exigeoient les postes dont la faveur du maître les avoit honorés. Et nous, mes Frères, il suffit que l'Église nous comble de ses bienfaits, pour nous rendre insensibles à sa gloire, pour autoriser notre mollesse, et notre éloignement des fonctions pénibles du ministère qu'elle nous a confié. Et pour nous, mes Frères, plus l'Eglise nous élève, plus nos soins, notre vigilance, nos travaux, nos services pour elle diminuent. Et nous, mes Frères (je le dis avec une profonde douleur), plus elle nous comble de richesses, moins nous croyons devoir en employer pour elle; plus même nous en employons contre ses intérêts et contre sa gloire: nous ne faisons usage de ses bienfaits, que pour la déshonorer: il semble que ce sont des armes qu'elle nous met entre les mains pour insulter avec plus d'éclat à son autorité, et à la modestie de ses règles. Les princes se font des serviteurs zélés par leurs récompenses: l'Eglise par ses bienfaits augmente l'infidélité, l'ingratitude, et l'oisiveté de ses ministres. Soyons du moins aussi justes et aussi reconnoissants, que les enfants du siècle : consacrons nos talents, nos veilles, nos soins, notre vie même, à la gloire de l'Église qui nous a faits tout ce que nous sommes; et qui en nous confiant ses premières places, a cru trouver en nous les défenseurs de ses lois et de sa doctrine. Elle est déja assez afiligée, assez déshonorée, par les scandales et la défection de la plupart de ses enfants: n'ajoutons pas à sa douleur et à son opprobre, le scandale et l'infidélité même de ses ministres : ne lui mettons pas dans la bouche ce reproche si touchant du prophète: Que ceux qui mangent son pain, et à qui elle fournit des viandes douces et délicieuses, sont ceux mêmes qui l'abandonnent et qui l'outragent avec plus d'éclat, avec moins de ménagement et de pudeur: Qui edebat panes meos (Ps., LX, 10)... Qui dulces mecum capiebat cibos (Ps., LIV, 15), magnificavit super me supplantationem (Ps., LX, 10). Ne nous laissons point séduire par les exemples qui nous environnent: ne rougissons point, en nous conformant aux lois de nós pères, d'une singularité que la règle, que la sainteté de notre état rendra toujours respectable: rappelons toujours le dérèglement et Et murmurabant pharisæi et scribæ, dicentes, quia hic peccatores recipit, et manducat cum illis. Les scribes et les pharisiens murmuroient, et disoient : Cet homme reçoit des gens de mauvaise vie, et mange avec eux. (Luc, xv, 2.) Si dans le plan, mes Frères, que vous avez dû vous former en ce lieu saint d'un genre de vie pour l'avenir, vous avez fait entrer l'approbation des hommes et les suffrages publics sur votre conduite, vous n'avez connu, ni le caractère du monde, ni la destinée de la vertu. La retraite et les austérités du précurseur ne furent pas à couvert de la censure des pharisiens; et les mœurs plus communes de Jésus-Christ ne trouvent pas aujourd'hui en eux plus d'indulgence. Prenez les voies les plus opposées: fuyez le monde, parce que la vertu n'y trouve que des écueils, et que la sainteté de votre caractère vous en éloigne; entrez dans le monde, parce que les fonctions du ministère vous y engagent souvent, et que vos frères y ont besoin de secours, et le vice de saints exemples: votre fuite trouvera des censeurs comme votre charité ; et vous ne parviendrez jamais à plaire, tandis que vous ne chercherez qu'à édifier. Cependant il nous est ordonné, à nous surtout qui sommes redevables à l'Eglise et à la religion d'une vie sans reproche aux yeux du public, il nous est ordonné de nous rendre irrépréhensibles devant les hommes; d'avoir une réputation louable parmi les peuples, et de forcer, dit saint Pierre, par la modestie de nos mœurs, leur malignité même à glorifier le Seigneur, et à bénir sa puissance et les richesses de sa miséricorde sur ses serviteurs. Ceux que la grâce de la vocation religieuse sépare du monde, pour les consacrer aux exercices de la pénitence, et au saint loisir de la solitude, ne sont plus redevables au monde: appelés à pleurer dans le secret de la face du Seigneur, ou leurs propres péchés, ou ceux de leurs frères, ils voient les choses qui sont, comme si elles n'étoient plus; et inconnus au siècle, ils vivent connus de Dieu seul : Sicut qui ignoti et cogniti (2. Cor., VI, 8). Leur destinée est, sans doute, digne d'envie : les consolations y sont plus abondantes; les prières plus pures; les vérités du salut plus vives; la paix du cœur plus égale; l'innocence moins exposée; Dieu plus sensible. Mais nous que la grâce du ministère consacre à des fonctions laborieuses; nous qui devons être mêlés parmi les peuples comme un levain de bénédiction destiné à sanctifier toute la masse, il faut que nous apprenions à vivre saintement avec eux; et la fin de notre vocation n'est pas de les fuir, mais de les sauver. Aussi vous voyez que dans notre Évangile, Jésus-Christ donne aux pécheurs un accès libre auprès de sa personne; qu'il honore leurs maisons et leurs tables mêmes de sa présence: et les calomnies des pharisiens sur sa conduite, sont en même temps, et une instruction pour ceux d'entre nous qui s'attireroient avec justice par l'indécence de leurs mœurs de semblables reproches, et une consolation pour les autres, qui sans les avoir mérités, ne laissent pas d'y être exposés. J'avoue, comme je vous le disois la dernière fois, que tout est à craindre pour nous dans le commerce des hommes; et que l'esprit de notre ministère s'éteint au milieu de leurs sociétés et de leurs vains entretiens. Néanmoins, comme nos fonctions nous mêlent nécessairement dans le monde, il ne serviroit de rien de vous avoir exhortés à le fuir, si nous ne vous intruisions sur la manière de vous y conduire, lorsque le devoir de votre ministère vous y appelle. L'importance du sujet se fait sentir d'elle-même. De la manière dont vous entrerez dans le monde, dépend le succès de vos fonctions; l'honneur de votre ministère; le fruit de toute votre éducation ecclésiastique; la décision de votre salut. Pour renfermer donc cette instruction en deux réflexions simples, il n'y a qu'à examiner d'abord quels sont les motifs qui doivent nous engager parmi les hommes, et ensuite quelles sont les règles à observer pour converser parmi eux d'une manière digne du Dieu qui nous y envoie. Exposons la première réflexion. PREMIÈRE RÉFLEXION. Je suppose d'abord que l'ordre du ciel nous appelle à un lieu: les dangers qui s'y trouvent, sont bien moindres pour nous, que pour ceux que leur propre choix y engage; et les mêmes circonstan ces, où ceux-ci verront périr infailliblement leur innocence, deviendront pour nous des occasions de mérite, et des moyens de salut. Il est digne de Dieu que sa miséricorde soutienne les choix qu'a faits sa sagesse; qu'il environne de son bouclier ceux qu'il a lui-même exposés; qu'il tende la main, comme il la tendit à Pierre, à ceux qui ne marchent sur la profondeur et l'agitation des eaux, que par son ordre; et en un mot, qu'il ne refuse pas sa protection à ceux qui ne font que son œuvre. Et sa conduite là-dessus est si sûre, que comme son élection à la gloire n'est que la préparation des moyens pour y arriver infailliblement, on peut dire que les choix particuliers qu'il fait pour certaines entreprises, ne sont qu'une destination des secours particuliers, propres à nous en assurer le succès. Ainsi le prophète venu de Juda à Béthel, conserve toute sa fermeté devant un roi impie vers lequel Dieu l'avoit envoyé; et il ne peut se défendre des piéges d'un faux prophète auquel il ne lui étoit pas ordonné de parler. Tout est danger pour ceux qui s'exposent eux-mêmes; et le danger luimême devient une sûreté pour ceux qui ne marchent qu'avec le Seigneur. Cette vérité supposée, la première attention que nous devons faire, lorsqu'il nous arrive de nous produire parmi les hommes, c'est de nous demander à nous-mêmes, si c'est Dieu qui nous y appelle. Or l'ordre de Dieu est marqué principalement dans les vues que nous nous proposons. Ainsi pour savoir si nous sommes dans cet ordre, lorsque nous nous engageons dans le monde, il n'y a qu'à examiner si les motifs qui nous y font entrer sont dignes de Dieu et de la sainteté de notre ministère. On en peut distinguer de trois sortes: les uns sont criminels; les autres semblent être indifférents; et enfin, les derniers sont saints et religieux. Vous convenez d'abord que le monde ne sauroit être qu'un écueil funeste à ceux que des vues criminelles y conduisent; et que n'y étant entrés que par le péché, ils ne peuvent y trouver que la mort. Cette vérité n'a pas besoin de preuve : et nous nous confions dans le Seigneur, qu'elle ne regarde pas ceux qui nous écoutent. Vous n'en avez peut-être fait autrefois qu'une trop funeste expérience, lorsqu'avant d'entrer dans cette maison de retraite, vous étiez encore engagés dans le siècle: Et hæc quidam fuistis (1. Cor., VI, 11). Mais vous avez été purifiés depuis; mais vous avez été sanctifiés par le renouvellement entier de votre conscience, par la participation fréquente des mystères saints, par l'exercice journalier de la prière, et le secours des instructions: Sed abluti estis; sed justificati estis; vous avez été consacrés à Dieu et à ses autels par le choix d'un état saint: Sed sanctificati estis: et il ne s'agit plus de vous inspirer de l'horreur pour le crime et pour les désordres du monde; il faut vous fortifier dans la pratique de la vertu et des saints devoirs de votre état. Les seconds motifs qui peuvent nous produire dans le monde, sont ceux qui nous paroissent indifférents: les bienséances de la vie; les inutilités de pur commerce, dont il est si difficile de se passer; la facilité de se répandre que donne la vivacité du tempérament, et un esprit peu propre à soutenir long-temps la contention du travail et le sérieux de la retraite. Nous avons employé une instruction entière à combattre l'illusion de ces motifs; et nous avons fait sentir tout ce qu'ils avoient d'incompatible avec l'esprit de notre ministère. Vous nous direz peut-être qu'on ne peut pas toujours vaquer à des devoirs sérieux; et que plus nos fonctions sont pénibles, plus on a besoin quelquefois de s'en délasser. J'avoue qu'il est des délassements innocents et même nécessaires; que la sainteté de nos fonctions nous laissant les foiblesses de la nature, ne nous en interdit pas les remèdes; qu'une application trop soutenue nuit à l'esprit qu'elle rebute, et au corps qu'elle accable; enfin, qu'il y a des jours destinés au repos de l'esprit, qui sont, si je l'ose dire ainsi, aussi sacrés et aussi précieux, que ceux que la religion elle-même consacre au repos du corps. Mais je vous demande: Le monde est-il un lieu propre à délasser un ministre de Jésus-Christ? Comment chanterons-nous dans une terre étrangère, répondoient les Juifs captifs aux enfants de Babylone, dans un lieu où le Dieu de nos pères n'est pas connu, où son alliance est méprisée, où ses prophètes sont sans honneur, où tout fléchit le genou devant des idoles vaines, et où enfin, tout nous réveille le souvenir de notre exil et le desir de Sion, que le Seigneur nous a donnée pour héritage? Quoi, mes Frères ? ce seroit un délassement pour nous de voir la religion anéantie, les maximes de Jésus-Christ effacées; Dieu inconnu; les désordres devenus des usages; et nos frères, pour lesquels Jésus-Christ est mort, périr à nos yeux? Eh! qu'offre le monde que ce triste spectacle? David environné de tous les plaisirs de la royauté, se plaignoit que son séjour y étoit trop prolongé: un autre Prophète demandoit une fontaine de larmes, pour pleurer sur les excès de Jérusalem: Moïse vouloit être effacé du livre des vivants, pour n'être plus témoin des infidélités de son peuple: Elie veut se laisser mourir de douleur au pied de la montagne, parce que tout Israël a fléchi le genou devant Baal; et nous, ô mon Dieu! succes seurs du ministère prophétique, nous nous ferions un délassement innocent de ce qui a fait gémir vos prophètes et vos serviteurs dans tous les siècles? Non, mes Frères, je ne dis pas, si nous pouvons trouver quelque plaisir dans le monde; mais je dis, si nous pouvons seulement le voir sans douleur : ah! peut-être portons-nous encore dans le cœur les mêmes penchants, et la source des mêmes vices qui nous trouvent si indifférents, et qui n'ont rien qui nous alarme et qui nous aftlige dans les autres. Mais d'ailleurs, si nous avons besoin de délassement, est-ce une nécessité de le chercher parmi les mondains? Souffrez que je vous dise, comme dit l'Apôtre sur un autre sujet: Quoi! il vous seroit impossible de trouver parmi vos confrères et vos collègues dans le saint ministère, un homme sage, raisonnable, d'une société douce et édifiante, avec qui vous pourriez goûter le plaisir d'un saint commerce, et d'un délassement innocent? Sic non est inter vos sapiens quisquam (1. Cor., VI, 5)? vous ne pourriez goûter de joie, ni trouver d'amusement qui vous convint, que parmi les infidèles ? la société d'un ministre pieux et éclairé vous seroit à charge, et ne délasseroit pas votre ennui? Il faut donc que vous ayez bien peu de goût pour votre état, puisque vous en avez si peu pour ceux qui l'honorent. Quoi! tant de ministres respectables, consommés dans la science de l'Eglise, instruits des règles, ornés de mille connoissances utiles pour fournir aux douceurs de la société, vous paroitroient fades, insipides; et vous aimeriez mieux appeler le monde à votre secours; et vous ne trouveriez de remède à votre ennui que dans un lieu qui devroit l'augmenter, et vous le rendre insoutenable? Si la piété, la régularité, vous dégoûte si fort dans vos confrères, qu'il est à craindre qu'elle ne vous soit à charge à vous-même ! s'il vous est si ennuyeux de fréquenter des ministres fidèles, qu'il doit l'ètre infiniment plus pour vous de les imiter! et si le monde seul peut égayer et délasser votre esprit, qu'il est à présumer que lui seul aussi occupe votre cœur! Mais de plus, si les délassements ne sont innocents que lorsqu'ils sont pour nous des remèdes, et qu'ils nous facilitent l'application à nos devoirs sérieux et essentiels, je vons demande: Au sortir du monde et de ces délassements que vous appelez innocents, sentez-vous votre zèle pour le travail se rallumer, le goût de la prière et de l'étude se fortifier? êtes-vous plus en état de soutenir le sérieux de vos fonctions; de vous sacrifier avec plus de courage au salut de vos frères; d'entrer dans les œuvres les plus dégoûtantes et les plus pénibles, et d'approcher avec plus de recueillement et de ferveur de l'autel? Je vous le demande: N'est-il pas vrai que vous en reportez toujours un esprit découragé, et qui ne regarde plus le travail qu'avec horreur? un cœur amolli, et incapable de goûter désormais que ce qui le flatte? une ame remplie d'images, ou vaines, ou dangereuses, et à qui tout ce qui est sérieux commence à déplaire ? en un mot, un goût du monde, qui vous dégoûte de tout ce qui n'est pas lui ? Enfin quand tous ces inconvénients ne seroient pas aussi inévitables qu'ils le sont, peut-on chercher innocemment à se délasser au milieu des tentations et des piéges ? y a-t-il de l'innocence où il se trouve du péril? peut-on se plaire où l'on peut périr à chaque instant? a-t-on jamais vu le pilote sortir du port, et choisir la haute mer dans le temps de l'orage et de la tempête, seulement pour y faire des réjouissances, et s'y délasser des fatigues d'une longue navigation? Jonas tremble, recule, fuit quand il faut entrer dans Ninive; et malgré l'ordre du ciel qui l'y appelle, il n'ose exposer son innocence et la dignité de son ministère au milieu des abominations de cette ville criminelle: et nous y entrerions avec sécurité, sans ordre de la part de Dieu, et seulement pour aller chercher un délassement au milieu de ses désordres et de ses scandales ? Et ne nous dites pas que tous ceux qui vivent dans le monde ne sont pas pour cela livrés au dérèglement; qu'on y trouve des mondains sages et réglés, et qu'on peut s'y choisir des sociétés innocentes. C'est ainsi que le démon nous séduit; et que n'osant tout à coup nous proposer le crime, il nous endort, et nous attire peu à peu dans le piége par l'innocence des démarches auxquelles il nous engage. Oui, mes Frères, cette prétendue sagesse des mondains est encore plus dangereuse pour nous que leurs désordres. On est en garde contre les vices grossiers; on ne l'est pas contre les apparences de la probité et de la sagesse: on s'y livre sans scrupule: on se croit en sûreté avec les personnes du monde, où tout, à la vérité, est mondain; mais où rien ne paroît, ni déréglé, ni même indécent. Ainsi leurs seules maximes affoiblissent peu à peu en nous l'idée de nos devoirs; leur autorité nous ébranle; leur fausse sagesse nous séduit; leurs mœurs nous gagnent: nous nous faisons peu à peu un plan de vie plus conforme au leur; et à mesure que nous nous rapprochons d'eux, nous nous éloignons de la sainteté de nos devoirs et de la gravité de notre caractère. Or de là, mes Frères, vous le savez, il n'y a plus qu'un pas à faire: dès qu'on a oublié la dignité de son état, on s'oublie bientôt soi-même. Et de toutes ces raisons, concluez que les motifs qui nous produisent dans le monde, ne sauroient être innocents, s'ils ne sont saints. Oui, mes Frères, il n'y a que les motifs de cette sorte, qui puissent engager avec sûreté les ministres de Jésus-Christ dans le monde: la charité, l'utilité de nos frères, les engagements indispensables de nos fonctions. Jésus-Christ ne paroissoit dans les villes de la Judée, que pour y faire l'œu-. vre de son Père. S'il se trouve à des noces, c'est pour manifester sa puissance, et autoriser sa doctrine: s'il entre dans la maison d'un publicain, c'est pour en faire un enfant d'Abraham: s'il monte à Jérusalem un jour de fête, ce n'est pas pour se manifester au monde, et s'en attirer de vains applaudissements, selon le conseil charnel de ses proches; c'est pour y venger l'honneur de son Père outragé dans les profanations et les irrévérences du lieu saint. Lorsqu'il envoie ses apôtres, il leur ordonne de n'entrer dans les maisons que pour y porter la paix. Aussi Pierre ne va chez Corneille que pour attirer sur lui et sur les siens, les dons visibles de l'Esprit saint. Paul ne fréquente le palais du proconsul Serge, que pour le détromper des impostures et des prestiges d'Élimas et frapper ce séducteur d'aveuglement: il ne paroît dans les places publiques d'Athènes, que pour y prêcher un Dieu inconnu à ce peuple superstitieux: il ne visite les Frères répandus dans la Macédoine et dans l'Illyrie, que pour leur départir les richesses d'une grâce spirituelle, et se consoler avec eux par les communications mutuelles d'une foi sainte. Le disciple bien aimé ne se propose de voir la sainte femme Electa, que pour la confirmer dans la foi, dans la charité, dans la doctrine de Jésus-Christ: l'affermir contre les artifices des faux docteurs, et donner à sa piété une religieuse consolation. Enfin le Précurseur luimême ne séjourne dans la cour d'Hérode, que pour reprocher à ce prince ses dissolutions et son commerce incestueux, et lui dire avec une sainte fermeté: Il ne vous est pas permis: Non licet. Voilà nos modèles; voilà les seuls motifs qui doivent produire un prêtre dans le monde: nous n'y serons jamais dans l'ordre de Dieu, tandis que nous n'y serons pas comme ses ministres; et y être comme ses ministres, c'est y tenir sa place et y faire son œuvre. Mais, direz-vous, de vouloir toujours reprendre, corriger, exhorter, instruire ceux avec qui l'on vit dans le monde, ce seroit se rendre odieux et importun, donner du dégoût pour la piété même qu'on veut inspirer, et courir même risque d'attirer à son zèle un air ridicule et méprisable. Et c'est pour cela même, mes Frères, qu'un ministre |