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23. Fev.

#719.

REMER CIMENT

De M. l'Evêque de Clermont à l'Académie Françoife, prononcé le jour qu'il y fut reçu à la place de M. l'Abbé de Louvois.

MESSIE

I

ESSIEURS,

L faut l'amitié ait fur le cœur des que droits plus vifs & plus intéreffans que la gloire même; puifque l'honneur que vous me faites aujourd'hui, me laiffe encore fenfible au chagrin de ne le devoir qu'à la perte d'un ami, & d'un de vos plus illuftres confrères.

Vous ne me ferez pas un crime de cet aveu la vanité eft affés flattée de votre choix; tout annonce ici ma reconnoiffance, & ma douleur même la rend plus digne de vous.

Au fortir prefque de l'enfance, & dès que M. l'Abbé de Louvois fut en état de se choifir des amis, il me fit l'honneur de me mettre de ce nombre. Dès-lors il laif

foit déja voir tout ce qui lui attira depuis l'eftime publique & les fuffrages de la Compagnie: une probité au-deffus de fon âge, & digne d'un meilleur fiécle; un goût & un amour pour les Lettres né avec lui, & qu'une excellente éducation avoit cultivé; des talens aufquels il n'a manqué que des places; une fidélité dans le commerce, encore plus eftimable que les talens; des mœurs douces, le fruit de fa raison & de fes réflexions, & où l'on pouvoit dire que le tempérament n'en avoit pas tout l'honneur; une maturité d'efprit, capable de remplacer les grands hommes que fa famille avoit donnés à l'Etat : il les vit paffer devant lui comme des fonges, & ne furvécut à tant de pertes, que pour s'affurer par fes qualités perfonnelles, ces égards publics, qui ne furvivent guères à la faveur. Sa modeftie m'élevé à une place, que le choix du Prince lui avoit d'abord 'deftinée : * je ne m'attendois pas que fa mort me préparât celle que fon mérite lui avoit acquis depuis long-tems parmi vous. Mais je fens que je paffe les bornes; l'amitié n'en connoît point: je ne pense qu'à rendre un hommage d'eftime & de tendreffe à fa mémoire; & c'est un remerciment que je vous dois.

Vous m'affociez aujourd'hui, Meffieurs, à tout ce que notre fiécle a vu & voit en* Il avoit été nommé à l'Evêché de Clermont qu'il refufa.

Conf. Tom. II.

Pp

core de plus illuftre & de plus respectable: je difparois au milieu de tous ces grands noms: il n'eft que la reconnoiffance, qui puiffe m'y faire remarquer ; & vous fouffrez que je la mette ici à la place du mérite.

Vous avez eu égard, en me choififfant, à quelques fuffrages publics, que mon miniftère m'avoit attirés ; & vous n'avez pas voulu faire attention, que cette forte de réputation, nous la devons moins à l'éloquence de nos difcours, qu'à la piété de ceux qui nous écoutent.

J'augure trop favorablement des régnes futurs de la Monarchie, pour foupçonner même qu'ils fe refroidiffent jamais fur l'utilité de votre établissement : ce Tribunal élevé pour en perpétuer parmi nous le goût & la politeffe, eft un fecours qui avoit manqué aux fiécles les plus polis de Rome & d'Athènes ; auffi ne fe fauvèrent-ils pas long-tems de la fauffe éloquence & du mauvais goût, & on les vit bientôt retomber prefque dans la même barbarie d'où tant d'ouvrages fameux les avoient tirés.

Mais le Cardinal de Richelieu, à qui il étoit donné de penfer au-deffus des autres hommes,fut ménager à fon fiécle un fecours fi néceffaire: il comprit que l'inconftance de la nation avoit befoin d'un frein ; & que le goût n'auroit pas chés nous une destinée plus invariable que les ufages, s'il n'établiffoit des Juges pour le fixer.

Repaffez fur les régnes qui précédèrent

la naiffance de l'Académie: la naïveté du langage fuppléoit, je l'avoue, dans un petit nombre d'Auteurs, à la pureté du ityle, au choix & à l'arrangement des matières; & toutes les beautés dont notre Langue s'eft depuis enrichie, n'ont pu encore effacer les graces de leur ancienne fimplicité.

Mais en général, quel faux goût d'éloquence! les aftres en fourniffoient toujours les traits les plus hardis & les plus lumineux; & l'Orateur croyoit ramper, fi du premier pas, il ne fe perdoit dans les nues; une érudition entaffée fans choix, décidoit de la beauté & du mérite des éloges; & pour louer fon héros avec fuccès, il falloit prefque avoir trouvé le fecret de ne point parler de lui.

La Chaire fembloit difputer, ou de bouffonnerie avec le théâtre, ou de féchereffe avec l'école ; & le Prédicateur croyoit avoir rempli le ministère le plus férieux de la Religion, quand il avoit deshonoré la majesté de la Parole fainte, en y mêlant, ou des termes barbares qu'on n'entendoit pas, ou des plaifanteries qu'on n'auroit pas dû en

tendre.

Le Barreau n'étoit prefque plus qu'un étalage de citations étrangères à la Caufe; & les Plaidoyers finis, les Juges étoient bien plus inftruits & plus en état de prononcer fur le mérite des Orateurs, que fur le droit des Parties.

Le goût manquoit par-tout: la poéfie elle même, malgré fes Marots & fes Regniers, marchoit encore fans régles & au hazard les graces de ces deux Auteurs appartiennent à la nature, qui eft de tous les fiécles, plutôt qu'au leur; & le cahos, où Ronfard, qui ne put imiter l'un, ni devenir le modèle de l'autre, la replongea, montre que leurs ouvrages ne furent que comme d'heureux intervalles, qui échappèrent à un fiécle malade, & généralement gâté.

Je ne parle pas du grand Malherbe : il avoit vécu avec vos premiers Fondateurs ; il vous appartenoit d'avance; c'étoit l'aurore qui annonçoit le jour.

Ce jour, cet heureux jour s'éleva enfin : l'Académie parut ; le cahos fe débrouilla; la nature étala toutes fes beautés, & tout prit une nouvelle forme.

La France ne vit plus rien qu'elle dut envier aux meilleurs fiécles de l'antiquité : le théâtre, la fatyre, la poéfie lyrique, la fable, l'hiftoire, l'éloquence, la philofophie, le ftyle épiftolaire, les traités de piété jufques-là informes, les traductions mobles & hardies eurent parmi vous leurs héros : da ns tous les genres, on vit fortir de votre fein des hommes uniques, dont Rome & la Gréce fe feroient fait honneur.

La Chaire elle-même rougit de ce comique indécent, ou de ces ornemens bizarres & pompeux, dont elle s'étoit jus

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