Obrazy na stronie
PDF
ePub

aux promenades, ou en venant t'admirer dans ton petit lit chez ta mère, pendant la nuit? est-ce le père auquel un souvenir de tes caresses d'enfant a seul donné la force de vivre, au moment où un homme d'honneur devait se tuer pour échapper à l'infamie? Est-ce MOI enfin, moi qui ne respire que par ta bouche, moi qui ne vois que par tes yeux, moi qui ne sens que par ton cœur, est-ce moi qui ne saurais pas défendre avec des ongles de lion, avec l'âme d'un père, mon seul bien, ma vie, ma fille?... Mais, depuis la mort de cet ange qui fut ta mère, je n'ai rêvé qu'à une seule chose, au bonheur de t'avouer pour ma fille, de te serrer dans mes bras à la face du ciel et de la terre, à tuer le forçat... (Il y eut là une légère pause.) A te donner un père, reprit-il, à pouvoir presser sans honte la main de ton mari, à vivre sans crainte dans vos cœurs, à dire à tout le monde en te voyant : « Voilà mon enfant! » enfin, à être père à mon aise!

O mon père, mon père !

Après bien des peines, après avoir fouillé le globe, dit Ferragus en continuant, mes amis m'ont trouvé une peau d'homme à endosser. Je vais être d'ici à quelques jours M. de Funcal, un comte portugais. Va, ma chère fille, il y a peu d'hommes qui puissent à mon âge avoir la patience d'apprendre le portugais et l'anglais, que ce diable de marin savait parfaitement.

Mon cher père!

Tout a été prévu, et, d'ici à quelques jours, Sa Majesté Jean VI, roi de Portugal, sera mon complice. Il ne te faut donc qu'un peu de patience là où ton père en a eu beaucoup. Mais, moi, c'était tout simple. Que ne ferais-je pas pour récompenser ton dévouement pendant ces trois années! Venir si religieusement consoler ton vieux père, risquer ton bonheur !

Mon père !

Et Clémence prit les mains de Ferragus et les baisa.

Allons, encore un peu de courage, ma Clémence, gardons le fatal secret jusqu'au bout. Ce n'est pas un homme ordinaire que Jules; cependant, savons-nous si son grand caractère et son extrême amour ne détermineraient pas une sorte de mésestime pour la fille d'un...

[ocr errors]

Oh! s'écria Clémence, vous avez lu dans le cœur de votre

enfant, je n'ai pas d'autre peur, ajouta-t-elle d'un ton déchirant. C'est une pensée qui me glace. Mais, mon père, songez que je lui ai promis la vérité dans deux heures.

Eh bien, ma fille, dis-lui qu'il aille à l'ambassade de Portugal, voir le comte de Funcal, ton père, j'y serai.

Et M. de Maulincour qui lui a parlé de Ferragus? Mon Dieu, mon père, tromper, tromper, quel supplice!

- A qui le dis-tu? Mais encore quelques jours, et il n'existera pas un homme qui puisse me démentir. D'ailleurs, M. de Maulincour doit être hors d'état de se souvenir... Voyons, folle, sèche tes larmes, et songe...

En ce moment, un cri terrible retentit dans la chambre où était M. Jules Desmarets:

[blocks in formation]

Cette clameur passa par la légère ouverture pratiquée au-dessus de l'armoire, et frappa de terreur Ferragus et madame Jules.

[blocks in formation]

Clémence descendit avec rapidité le petit escalier, trouva toute grande ouverte la porte de l'appartement de madame Gruget, entendit les cris qui retentissaient dans l'étage supérieur, monta l'escalier, vint, attirée par le bruit des sanglots, jusque dans la chambre fatale, où, avant d'entrer, ces mots parvinrent à son oreille :

C'est vous, monsieur, avec vos imaginations, qui êtes cause de sa mort.

- Taisez-vous, misérable, disait Jules en mettant son mouchoir sur la bouche de la veuve Gruget, qui cria:

[blocks in formation]

En ce moment, Clémence entra, vit son mari, poussa un cri et s'enfuit.

Qui sauvera ma fille? demanda la veuve Gruget après une longue pause. Vous l'avez assassinée !

- Et comment? demanda machinalement Jules, stupéfait d'avoir été reconnu par sa femme.

Lisez, monsieur, cria la vieille en fondant en larmes. Y a-t-il des rentes qui puissent consoler de cela!

« Adieu, ma mère ! je te lege tout ce que j'é. Je te demande

pardon de mes fotes et du dernié chagrin que je te donne en mettant fain à mes jours. Henry, que j'aime plus que moi-même, m'a dit que je faisai son malheure, et puisqu'il m'a repoussé de lui, et que j'ai perdu toutes mes espairances d'établiceman, je vai me noyer. J'irai au-dessous de Neuilly pour n'être point mise à la Morgue. Si Henry ne me hait plus après que je m'ai puni par la mor, prie le de faire enterrer une povre fille dont le cœur n'a battu que pour lui, et qu'il me pardonne, car j'ai eu tort de me mélair de ce qui ne me regardai pas. Panse-lui bien ses moqca. Comme il a souffert ce povre cha. Mais j'orai pour me détruir le couraje qu'il a eu pour se faire brulai. Fais porter les corsets finis chez mes pratiques. Et prie Dieu pour votre fille.

>> IDA. >>>

Portez cette lettre à M. de Funcal, celui qui est là. S'il cn est encore temps, lui seul peut sauver votre fille.

Et Jules disparut en se sauvant comme un homme qui aurait commis un crime. Ses jambes tremblaient. Son cœur élargi recevait des flots de sang plus chauds, plus copieux qu'en aucun moment de sa vie, et les renvoyait avec une force inaccoutumée. Les idées les plus contradictoires se combattaient dans son esprit, et cependant une pensée les dominait toutes. Il n'avait pas été loyal avec la personne qu'il aimait le plus, et il lui était impossible de transiger avec sa conscience, dont la voix, grossissant en raison du forfait, correspondait aux cris intimes de sa passion, pendant les plus cruelles heures de doute qui l'avaient agité précédemment. Il resta durant une grande partie de la journée errant dans Paris et n'osant pas rentrer chez lui. Cet homme probe tremblait de rencontrer le front irréprochable de cette femme méconnue. Les crimes sont en raison de la pureté des consciences, et le fait qui, pour tel cœur, est à peine une faute dans la vie, prend les proportions d'un crime pour certaines âmes candides. Le mot de candeur n'a-t-il pas, en effet, une céleste portée? Et la plus légère souillure empreinte au blanc vêtement d'une vierge n'en fait-elle pas quelque chose d'ignoble, autant que le sont les haillons d'un mendiant? Entre ces deux choses, la seule différence n'est que celle du malheur à la faute. Dieu ne mesure jamais le repentir, il ne le scinde pas, et il

en faut autant pour effacer une tache que pour lui faire oublier toute une vie. Ces réflexions pesaient de tout leur poids sur Jules, car les passions ne pardonnent pas plus que les lois humaines, et elles raisonnent plus juste: ne s'appuient-elles pas sur une conscience à elles, infaillible comme l'est un instinct? Désespéré, Jules rentra chez lui, pâle, écrasé sous le sentiment de ses torts, mais exprimant, malgré lui, la joie que lui causait l'innocence de sa femme. Il entra chez elle tout palpitant, il la vit couchée, elle avait la fièvre, il vint s'asseoir près du lit, lui prit la main, la baisa, la couvrit de ses larmes.

-Cher ange, lui dit-il quand ils furent seuls, c'est du repentir.

- Et de quoi? reprit-elle.

En disant cette parole, elle inclina la tête sur son oreiller, ferma les yeux et resta immobile, gardant le secret de ses souffrances pour ne pas effrayer son mari: délicatesse de mère, délicatesse d'ange. C'était toute la femme dans un mot. Le silence dura longtemps. Jules, croyant Clémence endormie, alla questionner Joséphine sur l'état de sa maîtresse.

Madame est rentrée à demi morte, monsieur. Nous sommes allés chercher M. Haudry.

- Est-il venu? qu'a-t-il dit?

Rien, monsieur. Il n'a pas paru content, a ordonné de ne laisser personne auprès de madame, excepté la garde, et il a dit qu'il reviendrait pendant la soirée.

Jules rentra doucement chez sa femme, se mit dans un fauteuil, et resta devant le lit, immobile, les yeux attachés sur les yeux de Clémence; quand elle soulevait ses paupières, elle le voyait aussitôt, et il s'échappait d'entre ses cils douloureux un regard tendre, plein de passion, exempt de reproche et d'amertume, un regard qui tombait comme un trait de feu sur le cœur de ce mari noblement absous et toujours aimé par cette créature qu'il tuait. La mort était entre eux un pressentiment qui les frappait également. Leurs regards s'unissaient dans une même angoisse, comme leurs cœurs s'unissaient jadis dans un même amour, également senti, également partagé. Point de questions, mais d'horribles certitudes. Chez la femme, générosité parfaite; chez le mari,

remords affreux; puis, dans les deux âmes, une même vision du dénoûment, un même sentiment de la fatalité.

Il y eut un moment où, croyant sa femme endormie, Jules la baisa doucement au front et dit, après l'avoir longtemps contemplée :

Mon Dieu, laisse-moi cet ange encore assez de temps pour que je m'absolve moi-même de mes torts par une longue adoration... Fille, elle est sublime; femme, quel mot pourrait la qualifier?

Clémence leva les yeux, ils étaient pleins de larmes.

Tu me fais mal, dit-elle d'un son de voix faible.

La soirée était avancée, le docteur Haudry vint, et pria le mari de se retirer pendant sa visite. Quand il sortit, Jules ne lui fit pas une seule question, il n'eut besoin que d'un geste.

Appelez en consultation ceux de mes confrères en qui vous aurez le plus de confiance, je puis avoir tort.

Mais, docteur, dites-moi la vérité. Je suis homme, je saurai l'entendre; et j'ai, d'ailleurs, le plus grand intérêt à la connaître. pour régler certains comptes...

Madame Jules est frappée à mort, répondit le médecin. Il y a une maladie morale qui a fait des progrès et qui complique sa situation physique, déjà si dangereuse, mais rendue plus grave encore par des imprudences se lever pieds nus la nuit; sortir quand je l'avais défendu, sortir hier à pied, aujourd'hui en voiture. Elle a voulu se tuer. Cependant, mon arrêt n'est pas irrévocable, il y a de la jeunesse, une force nerveuse étonnante... Il faudrait risquer le tout pour le tout par quelque réactif violent; mais je ne prendrai jamais sur moi de l'ordonner, je ne le conseillerais même pas; et, en consultation, je m'opposerais à son emploi.

Jules rentra. Pendant onze jours et onze nuits, il resta près du lit de sa femme, ne prenant de sommeil que pendant le jour, la tête appuyée sur le pied de ce lit. Jamais aucun homme ne poussa plus loin que Jules la jalousie des soins et l'ambition du dévouement. Il ne souffrait pas que l'on rendît le plus léger service à sa femme; il lui tenait toujours la main, et semblait ainsi vouloir lui communiquer de la vie. Il y eut des incertitudes, de fausses joies, de bonnes journées, un mieux, des crises, enfin les horribles nuta

« PoprzedniaDalej »