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se trouvent à moitié déracinés au bord d'un fleuve, elles ne semblent jamais faire partie du torrent de Paris, ni de sa foule jeune et active. Il est impossible de savoir si l'on a oublié de les enterrer, ou si elles se sont échappées du cercueil; elles sont arrivées à un état quasi fossile. Un de ces Melmoths parisiens était venu se mêler depuis quelques jours parmi la population sage et recueillie qui, lorsque le ciel est beau, meuble infailliblement l'espace enfermé entre la grille sud du Luxembourg et la grille nord de l'Observatoire, espace sans genre, espace neutre dans Paris. En effet, là, Paris n'est plus; et, là, Paris est encore. Ce lieu tient à la fois de la place, de la rue, du boulevard, de la fortification, du jardin, de l'avenue, de la route, de la province, de la capitale; certes, il y a de tout cela, mais ce n'est rien de tout cela c'est un désert. Autour de ce lieu sans nom, s'élèvent les Enfants trouvés, la Bourbe, l'hôpital Cochin, les Capucins, l'hospice la Rochefoucauld, les Sourds-Muets, l'hôpital du Val-de-Grâce; enfin, tous les vices et tous les malheurs de Paris ont là leur asile; et, pour que rien ne manque à cette enceinte philanthropique, la science y étudie les marées et les longitudes; M. de Chateaubriand y a mis l'infirmerie Marie-Thérèse, et les carmélites y ont fondé un couvent. Les grandes situations de la vie sont représentées par les cloches qui sonnent incessamment dans ce désert, et pour la mère qui accouche, et pour l'enfant qui naît, et pour le vice qui succombe, et pour l'ouvrier qui meurt, et pour la vierge qui prie, et pour le vieillard qui a froid, et pour le génie qui se trompe. Puis, à deux pas, est le cimetière du Mont-Parnasse, qui attire d'heure en heure les chétifs convois du faubourg Saint-Marceau. Cette esplanade, d'où l'on domine Paris, a été conquise par les joueurs de boules, vieilles figures grises, pleines de bonhomie, braves gens qui continuent nos ancêtres, et dont les physionomies ne peuvent être comparées qu'à celles de leur public, à la galerie mouvante qui les suit. L'homme devenu depuis quelques jours l'habitant de ce quartier désert assistait assidûment aux parties de boules, et pouvait certes passer pour la créature la plus saillante de ces groupes, qui, s'il était permis d'assimiler les Parisiens aux différentes classes de la zoologie, appartiendraient au genre des mollusques. Ce nouveau venu marchait sympathiquement avec le cochonnet, petite boule qui

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sert de point de mire, et constitue l'intérêt de la partie; il s'appuyait contre un arbre quand le cochonnet s'arrêtait; puis, avec la même attention qu'un chien en prête aux gestes de son maître, il regardait les boules volant dans l'air ou roulant à terre. Vous l'eussiez pris pour le génie fantastique du cochonnet. Il ne disait rien, et les joueurs de boules, les hommes les plus fanatiques qui se soient rencontrés parmi les sectaires de quelque religion que ce soit, ne lui avaient jamais demandé compte de ce silence obstiné; seulement, quelques esprits forts le croyaient sourd et muet. Dans les occasions où il fallait déterminer les différentes distances qui se trouvaient entre les boules et le cochonnet, la canne de l'inconnu devenait la mesure infaillible, les joueurs venaient alors la prendre dans les mains glacées de ce vieillard, sans la lui emprunter par un mot, sans même lui faire un signe d'amitié. Le prêt de sa canne était comme une servitude à laquelle il avait négativement consenti. Quand survenait une averse, il restait près du cochonnet, esclave des boules, gardien de la partie commencée. La pluie ne le surprenait pas plus que le beau temps, et il était, comme les joueurs, une espèce intermédiaire entre le Parisien qui a le moins d'intelligence et l'animal qui en a le plus. D'ailleurs, pâle et flétri, sans soins de lui-même, distrait, il venait souvent nu-tête, montrant ses cheveux blanchis et son crâne carré, jaune, dégarni, semblable au genou qui perce le pantalon d'un pauvre. Il était béant, sans idées dans le regard, sans appui précis dans la démarche; il ne souriait jamais, ne levait jamais les yeux au ciel et les tenait habituellement baissés vers la terre et semblait toujours y chercher quelque chose. A quatre heures, une vieille femme venait le prendre pour le ramener on ne sait où, en le traînant à la remorque par le bras, comme une jeune fille tire une chèvre capricieuse qui veut brouter encore quand il faut venir à l'étable. Ce vieillard était quelque chose d'horrible à voir.

Dans l'après-midi, Jules, seul dans une calèche de voyage lestement menée par la rue de l'Est, déboucha sur l'esplanade de l'Observatoire au moment où ce vieillard, appuyé contre un arbre, se laissait prendre sa canne, au milieu des vociférations de quelques joueurs pacifiquement irrités. Jules, croyant reconnaître cette figure, voulut s'arrêter, et sa voiture s'arrêta précisément. En effet,

le postillon, serré par des charrettes, ne demanda point passage aux joueurs de boules insurgés: il avait trop de respect pour les émeutes, le postillon.

- C'est lui! dit Jules en découvrant enfin dans ce débris humain Ferragus XXIII, chef des dévorants. Comme il l'aimait! ajoutat-il après une pause. — Marchez donc, postillon! cria-t-il.

Paris, février 1833.

II

LA DUCHESSE DE LANGEAIS

A FRANTZ LISTZ

Il existe, dans une ville espagnole située sur une île de la Méditerranée, un couvent de carmélites déchaussées où la règle de l'ordre institué par sainte Thérèse s'est conservée dans la rigueur primitive de la réformation due à cette illustre femme. Ce fait est vrai, quelque extraordinaire qu'il puisse paraître. Quoique les maisons religieuses de la Péninsule et celles du continent aient été presque toutes détruites ou bouleversées par les éclats de la Révolution française et des guerres napoléoniennes, cette île ayant été constamment protégée par la marine anglaise, son riche couvent et ses paisibles habitants se trouvèrent à l'abri des troubles et des spoliations générales. Les tempêtes de tout genre qui agitèrent les quinze premières années du xixe siècle se brisèrent donc devant ce rocher, peu distant des côtes de l'Andalousie. Si le nom de l'empereur vint bruire jusque sur cette plage, il est douteux que son fantastique cortége de gloire et les flamboyantes majestés de sa vie météorique aient été compris par les saintes filles agenouillées dans ce cloître. Une rigidité conventuelle que rien n'avait altérée recommandait cet asile dans toutes les mémoires du monde catholique. Aussi, la pureté de sa règle y attira-t-elle, des points les

plus éloignés de l'Europe, de tristes femmes dont l'âme, dépouillée de tous liens humains, soupirait après ce long suicide accompli dans le sein de Dieu. Nul couvent n'était, d'ailleurs, plus favorable au détachement complet des choses d'ici-bas, exigé par la vie religieuse. Cependant, il se voit sur le continent un grand nombre de ces maisons magnifiquement bâties au gré de leur destination. Quelques-unes sont ensevelies au fond des vallées les plus solitaires; d'autres sont suspendues au-dessus des montagnes les plus escarpées, ou jetées au bord des précipices; partout l'homme a cherché les poésies de l'infini, la solennelle horreur du silence; partout il a voulu se mettre au plus près de Dieu : il l'a quêté sur les cimes, au fond des abîmes, au bord des falaises, et l'a trouvé partout. Mais nulle autre part que sur ce rocher à demi européen, africain à demi, ne pouvaient se rencontrer autant d'harmonies différentes qui toutes concourussent à si bien élever l'âme, à en égaliser les impressions les plus douloureuses, à en attiédir les plus vives, à faire aux peines de la vie un lit profond. Ce monastère a été construit à l'extrémité de l'île, au point culminant du rocher, qui, par un effet de la grande révolution du globe, est cassé net du côté de la mer, où, sur tous les points, il présente les vives arêtes de ses tables légèrement rongées à la hauteur de l'eau, mais infranchissables. Ce roc est protégé de toute atteinte par des écueils dangereux qui se prolongent au loin, et dans lesquels se joue le flot brillant de la Méditerranée. Il faut donc être en mer pour apercevoir les quatre corps du bâtiment carré, dont la forme, la hauteur, les ouvertures ont été minutieusement prescrites par les lois monastiques. Du côté de la ville, l'église masque entièrement les solides constructions du cloître, dont les toits sont couverts de larges dalles qui les rendent invulnérables aux coups de vent, aux orages et à l'action du soleil. L'église, due aux libéralités d'une famille espagnole, couronne la ville. La façade, hardie, élégante, donne une grande et belle physionomie à cette petite cité maritime. N'est-ce pas un spectacle empreint de toutes nos sublimités terrestres que l'aspect d'une ville dont les toits pressés, presque tous disposés en amphithéâtre devant un joli port, sont surmontés d'un magnifique portail à triglyphe gothique, à campaniles, à tours menues, à flèches découpées? La religion dominant

la vie, en en offrant sans cesse aux hommes la fin et les moyens, image tout espagnole d'ailleurs! Jetez ce paysage au milieu de la Méditerranée, sous un ciel brûlant; accompagnez-le de quelques palmiers, de plusieurs arbres rabougris, mais vivaces, qui mêlaient leurs vertes frondaisons agitées aux feuillages sculptés de l'architecture immobile; voyez les franges de la mer blanchissant les récifs, et s'opposant au bleu saphir des eaux; admirez les galeries, les terrasses bâties en haut de chaque maison et où les habitants viennent respirer l'air du soir parmi les fleurs, entre la cime des arbres de leurs petits jardins. Puis, dans le port, quelques voiles. Enfin, par la sérénité d'une nuit qui commence, écoutez la musique des orgues, le chant des offices, et les sons admirables des cloches en pleine mer. Partout, du bruit et du calme; mais, plus souvent, le calme partout. Intérieurement, l'église se partageait en trois nefs sombres et mystérieuses La furie des vents ayant sans doute interdit à l'architecte de construire latéralement ces arcs-boutants qui ornent presque partout les cathédrales, et entre lesquels sont pratiquées des chapelles, les murs qui flanquaient les deux petites nefs et soutenaient ce vaisseau n'y répandaient aucune lumière. Ces fortes murailles présentaient à l'extérieur l'aspect de leurs masses grisâtres, appuyées, de distance en distance, sur d'énormes contre-forts. La grande nef et ses deux petites galeries latérales étaient donc uniquement éclairées par la rose à vitraux coloriés, attachée avec un art miraculeux au-dessus du portail, dont l'exposition favorable avait permis le luxe des dentelles de pierre et des beautés particulières à l'ordre improprement nommé gothique. La plus grande portion de ces trois nefs était livrée aux habitants de la ville, qui venaient y entendre la messe et les offices. Devant le chœur se trouvait une grille derrière laquelle pendait un rideau brun à plis nombreux, légèrement entr'ouvert au milieu, de manière à ne laisser voir que l'officiant et l'autel. La grille était séparée, à intervalles égaux, par des piliers qui soutenaient une tribune intérieure et les orgues. Cette construction, en harmonie avec les ornements de l'église, figurait extérieurement, en bois sculpté, les colonnettes des galeries supportées par les piliers de la grande nef. Il eût donc été impossible à un curieux assez hardi pour monter sur l'étroite balustrade de ces galeries de voir dans le chœur

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