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Il est triste de penser que cela se passe tandis que l'instruction publique fait tant de progrès, que les livres et les journaux se multiplient, que la science pousse plus loin ses découvertes, que mille écrivains, mille conférenciers la vulgarisent à l'envi, si bien que, comme l'esprit autrefois, on peut dire qu'elle court les rues !

Et cependant, malgré toute l'influence que la science pervertie par l'orgueil a pu exercer sur notre génération, il y a encore des savants, et de véritables savants, qui sont des croyants, et de fervents catholiques.

Tel était le célèbre astronome LeVerrier, que la mort vient d'enlever à la science et qui menait la vie la plus religieuse.

Le Verrier était né à Saint-Lô en 1811. Elève de l'école polytechnique, il fut d'abord attaché comme chimiste à l'adminis tration des tabacs. Il se distingua de suite par plusieurs tra vaux importants, et même par des découvertes assez remarquables dans la chimie; mais il ne tarda pas à découvrir sa véritable vocation, et se livra tout entier aux mathématiques et à l'astronomie. Il s'attaqua aux problèmes les plus ardus et les plus élevés de la mécanique céleste. Dans deux mémoires qu'il présenta à l'Académie des sciences en 1839, il poursuivit et compléta les travaux de Lagrange sur la stabilité des orbites. planétaires. Il s'appliqua ainsi successivement à décrire et déterminer l'orbite de plusieurs comètes, celui des diverses planètes connues, et ses travaux, très remarqués d'Arago et des autres savants, lui ouvrirent les portes de l'Académie des sciences, où il remplaça Cassini.

Ce fut dans l'étude de l'orbite et des perturbations périodiques d'Uranus, qu'il fit cette étonnante prédiction de la découverte d'une grande planète, inconnue jusque-là que lui-même n'a vait pas encore vue, et qu'il ne fut pas même le premier à voir. Le 1er juin 1846, il annonça hardiment à l'Académie des sciences que la planète dont il avait calculé les mouvements d'après ceux d'Uranus, serait à une place par lui indiquée au fer janvier de l'année suivante. Le 23 septembre, un astronome allemand, M. Gall, annonça qu'il avait trouvé la planète en question, et le 1er janvier elle était, moins deux degrés, à la place indiquée par l'astronome français. Ce fait étonnant, qui prouvait non-seulement le génie d'un homme, mais encore la vérité et l'exactitude d'une science, causa dans toute l'Europe un enthousiasme difficile à décrire. Les éloges, les félicitations, les déco

rations accablèrent presque LeVerrier, et durent lui faire bien des ennemis. On proposa de donner son nom au nouvel astre, ainsi qu'on avait donné pendant quelque temps à Uramus le nom du savant anglais Herschell, qui l'avait découverte en 1781; mais on finit par l'appeler Neptune. Le mérite de la découverte à priori avait été contesté par un astronome anglais du nom d'Adams, qui prétendait avoir fait en même temps les mêmes calculs et être arrivé au même résultat, tandis que le fait matériel de la découverte télescopique était réclamé par un Allemand. Neptune, armé de son trident, fut donc invité à partager le différend et à prononcer son Quos ego dans le monde scientifique... Une chaire d'astronomie fut créée en faveur de LeVerrier, et sa popularité le désigna en 1849 à la députation nationale, où avaient été envoyés pèle-mêle des savants, des littérateurs, des prédicateurs, des généraux, des artistes, en un mot tout ce que la France comptait d'illustrations dans tous les genres. Le talent oratoire qu'il avait montré comme professeur le suivit à la tribune. Ce talent, sans être de premier ordre, était remarquable, surtout par la clarté de la phrase, la justesse et l'abondance des expressions. Il s'occupa naturellement des questions scientifiques et de celles qui avaient trait à 'instruction publique. Il se montra favorable à la politique de 1'Elysée, et, après le coup d'Etat, il fut nommé sénateur.

Il ne se laissa cependant point tellement entraîner dans le tourbillon de la politique, qu'il ne sût conserver sa place dans l'orbite qui lui était propre, celui de la science. De nombreux travaux, qu'il serait trop long de mentionner ici, ont maintenu. et agrandi sa réputation, et la direction de l'Observatoire lui fut justement confiée.

Dans les derniers temps de sa vie, il avait fait placer un crucifix dans les salles de l'Observatoire. Au milieu de ses études, il quittait ses livres ou ses instruments pour aller prier aux pieds de celui qui a créé cet univers, dont il sondait si patiemment et si hardiment les lois mystérieuses. Il est mort après avoir reçu le plus publiquement possible tous les secours de la religion, et son distingué collègue de l'Observatoire, M Tresca, a pu dire sur sa tombe:

"La fin de ce savant, qui fut illustre avant l'âge, et par laquelle on n'apprendra pas sans émotion peut-être que l'étude du ciel et la foi scientifique n'avaient fait que consolider en lui la foi vive du chrétien, c'est là un exemple qui sera donné de

bien haut à la conscience publique et à la moralité de notre époque."

Et pourquoi n'en serait-il pas ainsi, lorsque "Newton et Bossuet, ces deux grands génies, dont l'un pesait les mondes et dont l'autre nous enseignait à en mépriser la possession," s'inclinaient tous deux devant le maître suprême de l'univers ?

Puisque j'ai abordé le chapitre de la nécrologie, sur lequel, du reste, j'étais considérablement en retard, j'emprunterai au Correspondant quelques mots sur un jeune homme enlevé bien prématurément au monde des lettres et de la politique, tout en faisant mes réserves sur ce que dit M. Victor Fournel de l'ouvrage qui avait pour titre: "Huit mois en Amérique," et dans lequel le Canada et les Canadiens, on s'en souvient, n'étaient point précisément flattés.

"Lorsque M. Ernest Duvergier de Hauranne, né en 1848, débuta dans la vie, le second empire était à son apogée, et la littérature seule était ouverte à l'activité des esprits indépendants qui portaient un nom comme le sien. Il alla étudier l'Amérique, au moment où se terminait la lutte terrible qui avait failli amener la dislocation des Etats-Unis, et il en rapporta des lettres remarquées d'abord dans la Revue des deux Mondes, et qui retrouvèrent ensuite un égal succès en volumes. Même en rabattant beaucoup de l'admiration du jeune écrivain pour la grande république du Nouveau-Monde, on y reconnaissait un esprit rare, à l'indépendance et à la fermeté de ses jugements, à la sagacité de ses observations, à la précision nerveuse du style. Pendant l'invasion, le jeune homme n'hésita pas: il partit avec les mobiles du lieu, fut mis à l'ordre du jour de l'armée et revint décoré comme un vieux soldat. C'était une âme vaillante dans un corps débile. Il s'est souvenu d'avoir eu l'honneur de porter l'épaulette, et d'avoir reçu une blessure en défendant la France, le jour où à la Chambre, indigné des attaques de la gauche contre le général Changarnier, il quittait sa place et allait s'asseoir à côté du vieux capitaine en échangeant avec lui une poignée de mains. Ce mouvement généreux, qui lui valut l'honneur d'être hué par ses amis politiques, bien qu'il n'ait pas eu les suites qu'on en pouvait attendre, est peut-être ce qui honore le plus la carrière parlementaire de M. Ernest Duvergier de Hauranne. Il est mort à trente-quatre ans, et son père, entré aujourd'hui dans sa quatre-vingtième année, lui survit."

Je voudrais dire un mot en terminant de la guerre d'Orient

et de l'état général de l'Europe; mais, bien que la situation et l'influence de la France soient tout autres aujourd'hui qu'à l'époque où l'on disait avec raison qu'il ne pouvait se tirer un seul coup de canon en Europe sans sa permission, c'est encore elle qui domine l'attention du monde, et il est naturel que la plus grande partie de cette revue lui ait été consacrée. Il faut donc nécessairement remettre à la prochaine un résumé des opérations de cette désastreuse campagne, dans laquelle depuis un mois les armées Russes, malgré une valeur et une persévérance incontestables, n'ont eu en Europe que de nouveaux échecs, et ont remporté, il est vrai, en Asie des succès dont les conséquences favorables sont cependant encore douteuses.

L'état général de l'Europe est en ce moment plus sombre que jamais. La Russie épuisée par la lutte où elle s'est jetée si imprudemment; l'Autriche inquiète et agitée; l'Allemagne animée de l'esprit de persécution contre les institutions catholiques; l'Italie attirée de plus en plus dans l'orbite de l'Allemagne et se préparant, selon le mot célèbre de M. de Metternich, à étonner le monde par son ingratitude; la France divisée, affaiblie et toujours sous le coup de quelque nouvelle et terrible catastrophe; l'Angleterre hésitant, favorisant tantôt une politique, tantôt une autre, laissant venir sans s'y préparer le jour du danger tout cela forme un spectacle peu consolant, et qui deviendra encore bien plus terrible, quand sonnera l'heure, attendue si impatiemment par tant de mécréants, où le meilleur et le plus grand homme de ce siècle, Pie IX, aura cessé de vivre.

Montréal, 17 novembre 1877.

P. C.

REVUE

DE

MONTREAL

NOTRE LANGUE

C'est à force de l'écrire qu'on apprend le mieux une langue. Que vous habitiez Paris, Rome, Madrid ou Montréal, si vous avez sous la main une bibliothèque française, et si vous étudiez pour écrire, votre langue sera pure comme celle de Chateaubriand, Bernardin de St-Pierre, de Maistre, Donoso Cortès, Humboldt, et d'autres qui ont produit leurs chefs-d'œuvre en dehors de la France. Dans ces conditions, la science du français écrit est de toutes les contrées.

En est-il de même de la langue parlée? Pas tout à fait. La connaissance de la propriété des termes, l'étendue du vocabulaire, l'art d'agencer la phrase sont autant de richesses acquises par le travail, et dont l'emploi varie considérablement dans le discours, selon le centre où l'on opère. Il s'en suit que tel

Tome 1, 1le et 12e livraisons, décembre 1877.

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