Obrazy na stronie
PDF
ePub

rapports égoïstes et passagers; ce sont les rapports d'intelligence å intelligence qui portent les plus grands fruits. Ce sont les grandes idées, surtout l'idée religieuse, remuées par les livres, qui ont activé la passion des découvertes et en ont fait une œuvre auguste et bénie du ciel. Chose étrange, c'étaient les dangers mêmes de ces expéditions, les peintures des mœurs sauvages qui fascinaient l'Europe et attiraient les voyageurs.

Indépendamment des livres nombreux qui font aujourd'hui les délices des bibliophiles, les grands recueils de De Bray en Allemagne, de Hakcuyt en Angleterre, de Ramusio en Italie étaient comme autant de gazettes coloniales qui attiraient l'attention des gouvernements et des peuples, réveillaient et stimulaient la curiosité et l'ambition, et faisaient encore plus souvent appel à des sentiments plus généreux.

Eh bien, si l'on en eût été encore aux lettres copiées et passées de mains en mains, il est possible, après tout, que les décou vertes de Christophe Colomb, de Jacques-Cartier, de Hudson, de Champlain, déjà environnées d'un certain mystère par la jalousie mutuelle des gouvernements, eussent été soustraites à l'attention des nations, et sans oser dire qu'elles fussent, comme celles des Danois et des Islandais, demeurées sans résultat, le mouvement des peuples vers l'Amérique eût été certainement beaucoup plus lent et moins universel.

Mais ces bienfaits de l'imprimerie, personne ne saurait les nier; ce qu'on lui reproche est tout différent: c'est sa puissanse même, sa puissance pour le mal; c'est le désordre qu'ont causé et que causent encore les folliculaires et les pamphlétaires; c'est, ajoute-t-on aussi, l'abaissement du niveau littéraire par la multiplicité des publications, par la hâte avec laquelle on se voit forcé de travailler, par la substitution du métier à l'art; enfin c'est l'industrialisme littéraire, éclos de nos jours, et qui toujours augmentant enlève à la littérature quelque chose de sa grandeur et de sa dignité.

On oublie le bon côté de ces stimulants pour la production. On ne s'apperçoit pas que si beaucoup d'œuvres qui ne le méritent point voient le jour, beaucoup qui méritent de vivre resteraient souvent dans l'obscurité et, pour bien dire, dans le néant.

Et cette immense activité intellectuelle dont on est tenté de se plaindre, elle n'est point cependant tout à fait sans contrôle. Je ne dirai rien de celui des gouvernements et des lois, qui est

devenu, il faut l'avouer, presqu'impuissant; je ne parlerai point de celui de l'autorité religieuse, qui, dans les religions qui ont conservé quelque discipline, est loin d'être sans valeur ; je parlerai seulement du contrôle de la critique littéraire.

L'auteur travaille aujourd'hui sous les yeux de la presse quotidienne et de la presse périodique, Argus, à qui rien n'échappe; il est entouré, de plus, de nombreux rivaux, de concurrents jaloux et intéressés. S'il a du génie ou simplement du talent, il a mille raisons pour une de s'élever et de se rendre aussi parfait que possible; car le succès le portera plus sûrement et plus promptement qu'autrefois aux honneurs et à la fortune.

J'admets que ces mobiles eux-mêmes ont leurs dangers, que l'auteur est plus porté à flatter les goûts et les passions de ce grand tyran des temps modernes qui s'appelle le public. Mais là ne sont pas, même au point de vue humain, les succès véritables et durables. Ces passions sont éphémères, ce sont plus encore des caprices que des passions. Que noble est le rôle de l'écrivain, qui au lieu de s'en faire l'esclave, s'en rend maître, qui dompte ce public dont il dépend, qui lui impose sa raison au lieu de subir son vertige, qui prend le parti de la justice contre celui de la passion, celui des minorités opprimées contre les majorités triomphantes, de la religion outragée contre ses insulteurs !

Aux époques les plus tourmentées et les plus difficiles, il y a toujours de ces âmes généreuses qui font appel aux meilleurs sentiments de l'humanité. Il suffit alors d'un bon volume qui fait tranquillement son chemin, au milieu des mauvais, d'une belle page répétée de journal en journal, pour prévenir ou réparer bien des malheurs, pour porter la paix là où étaient entrées la haine et la désolation, pour relever les courages abattus, raviver la foi qui allait s'éteindre, réchauffer la charité attiédie, et faire descendre les rayons de la douce espérance à travers les ombres du désespoir le plus sombre et le plus farouche.

Dans un livre écrit sur la bibliophilię, cette passion aussi vieille que l'art d'écrire et qui, plus commune que jamais de nos jours, prouve qu'en se multiplant le livre n'a rien perdu de son prestige, je trouve une histoire charmante, qui mieux que tout ce que je pourrais dire rendra ma pensée (1).

(1) Fertiault Les amoureux du livre.

Une pauvre veuve à qui son mari, malheureux bibliomane, avait laissé ses livres pour toute fortune, avait porté un à un chez le bouquiniste les précieux volumes, dont elle se séparait avec d'autant plus de regret, qu'elle savait de quel amour ou plutôt de quel culte ils avaient été l'objet. Un seul lui restait. Une note manuscrite lui recommandait de ne s'en défaire qu'à la dernière extrémité; il était, lui disait-on, d'une très grande valeur et le prix qu'elle pourrait en trouver lui serait d'une précieuse ressource.

Par une froide journée d'hiver où le feu et la nourriture allaient lui manquer, elle prend le vénérable in-folio et lui fait suivre le chemin de tous les autres. Le marchand lui dit que ce livre était d'une trop grande valeur, qu'il ne fait point d'affaires de ce genre; mais il la prie de lui en laisser copier le titre, au cas où quelqu'une de ses pratiques serait disposée à en faire l'emplette. La pauvre veuve reprend tristement la route de sa mansarde, remportant le volume, bien chagrine de ne pas l'avoir vendu, fière cependant de ne pas l'avoir sacrifié.

A quelques jours de là, un amateur se présente à l'auvent du bouquiniste. Il voit par hasard la note et tombe en extase. C'est un exemplaire d'un livre rarissime qu'il possède aussi; mais, lacune horrible et qui depuis longtemps faisait son désespoir, il manquait au sien le dernier feuillet.

Tous les renseignements pris, il court au logis de la veuve, parcourant à toute vitesse les rues longues et obscures qui l'en séparent, montant quatre à quatre les marches de l'interminable escalier qui conduit à la triste mansarde. Puis là, il écoute, frappe, écoute encore. Rien, pendant longtemps. Il allait se retirer le désespoir dans l'âme, lorsqu'un léger bruit se fait entendre. Il s'approche et cherche en vain à faire pénétrer ses regards dans la chambre. Tout était hermétiquement bouché avec du papier. Une si étrange précaution lui suggère l'idée d'un malheur. Mouvement soudain de charité, ou élan suprême de bibliomanie, il enfonce résolument la porte. Un réchaud que l'on venait d'allumer était au milieu de la chambre nue et froide, et tous les préparatifs d'un suicide par asphixie étaient évidents Alors le bibliophile explique à la malheureuse l'objet de sa visite; mais au lieu de la calmer, l'offre d'une somme considérable, en échange du précieux volume, augmente le désespoir de la pauvre femme. En effet, cruelle ironie du sort, le réchaud était allumé avec des feuilles de papier, et ces feuilles n'étaient au

tres que les débris de l'incunable. Dans l'exaltation de ses sentiments, dans son ignorance, dans l'horreur de la faim et de la misère, elle avait voulu que le livre que son mari lui avait laissé comme dernière ressource, lui servit au moins à aller le rejoindre.

Le bibliophile regarde cependant autour de lui. Il aperçoit le couvert du volume intact, et, prodige qui devait venir en aide à la fin à sa charité et à sa passion d'amateur, il y trouve le feuillet si longtemps désiré! Par une pensée généreuse, il double l'offre qu'il avait faite : mon exemplaire, se dit-il, n'en sera que plus certainement unique en se complétant, et il laissa à la veuve une somme assez considérable pour la mettre plus longtemps à l'abri des besoins.

Eh bien! Messieurs, vérité ou fiction, cette histoire me semble tout au moins l'équivalent d'une apologue qui nous montre ce que peuvent être pour l'âme humaine, pour la société elle-même, un seul livre, une seule page d'un seul livre. Et certes, s'il s'était agi d'un bon livre, au lieu d'un livre rare et qui méritait probablement de l'être, si la pauvre femme avait été en état de le bien lire et de le bien comprendre, l'histoire n'aurait pas eu sa raison d'être.

Que de fois, en effet, de pauvres âmes succombant, non pas aux atteintes du froid et de la faim, mais à celles plus terribles du doute et du désenchantement, ont été relevées et fortifiées par une bonne lecture! Que de fois la société elle-même, ayant comme pour bien dire perdu sa voie, se livrait au désespoir lorsqu'un bon et grand livre, comme l'Imitation de Jésus-Christ, TExposition de Bossuet, ou le Génie du Christianisme de Chateaubriand, est venu lui montrer la route qu'elle devait suivre.

Dans notre jeune pays, où l'imprimerie n'est établie que depuis un peu plus d'un siècle, mais où certainement, à proportion de notre population et de nos ressources, elle a déjà pris de grands développements, espérons que tous les beaux livres seront de bons livres, qu'ils viendront toujours au moment où les besoins de la société les réclameront, pour lui inspirer le courage dans ses épreuves, et la guider sous l'œil de Dieu dans l'accomplissement de ses grandes et glorieuses destinées.

LA VERSIFICATION

DES

ANCIENS HYMNOLOGISTES LATINS

II

Les bardes jouissaient d'une popularité méritée. Ils étaient répandus dans tous les pays. Leurs fonctions principales étaient de chanter les hymnes religieuses dans les cérémonies du culte, de propager et de maintenir la doctrine druidique au milieu du peuple. C'étaient eux aussi qui récitaient dans les assemblées publiques les traditions nationales, et, au foyer du chef, les traditions de la famille; eux qui animaient les guerriers sur le champ de bataille, célébraient leur gloire après le succès, et distribuaient à tous le blâme et l'éloge, avec une liberté que pouvait seule donner un caractère inviolable. Aussi, l'autorité de leurs paroles était grande, et l'effet de leurs vers, tout-puissant sur les âmes. Souvent on les vit dans les guerres intestines de la Gaule, désarmer, par leur seule intervention, des combattants furieux et arrêter l'effusion du sang (1).

D'après les lois de Malmud, le devoir des bardes est de répandre et de maintenir toutes les connaissances qui sont de nature à propager l'amour de la vertu et de la sagesse. Aussi se vantaient-ils souvent dans leurs poésies d'être les vrais, les uniques représentants de la science (2). Ce même code de Mol

(1) Am. Thierry.

(2) Et, pour ne parler que de la science poétique, ils étaient bien plus avancés que maint poète échevelé de nos jours. Il suffit, pour s'en convaincre, de lire leurs canons poétiques, tous divisés en trois points, comme nos grands

sermons.

Les trois premières conditions du génie poétique: - Un œil qui sache contempler la nature; un cœur qui sache la sentir; une volonté qui sache la suivre.

Les trois fins de la poésie : — le progrès du bien; le progrès de l'intelligence; le progrès du plaisir.

« PoprzedniaDalej »