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VERCINGETORIX

NOUVELLE HISTORIQUE DEVANT SERVIR D'INTRODUCTION A L'HISTOIRE ROMANTIQUE DES FRANÇAIS

PAR

ALFRED DE VERVINS

III

FIANÇAILLES

-Ainsi, tu doutais de moi ? lui disait Octavia, dont les grands yeux exprimaient en même temps un amour profond, un reproche tendre et une nuance de malicieuse coquetterie.

-Non, répondit simplement Vercingétorix, et il retomba dans le silence étrange qui étonnait son amie depuis qu'elle l'avait rejoint, et auquel elle cherchait vainement à l'arracher depuis le départ des colliers-d'or.

- Pourquoi, alors, me taire ton nom illustre? Pourquoi ces vêtements humbles? Pourquoi me parler de la pauvreté et de l'infimité de ta condition?......

-Je le devais.

-Ah! reprit-elle avec un redoublement de grâce coquette, tu as voulu remporter une plus grande victoire sur César.

-Octavia interrompit en ce moment Vercingétorix, qui parut prendre soudain une résolution héroïque car, tandis que ses traits exprimaient la décision, deux larmes coulaient lentement sur ses joues- Octavia! interrompit-il, m'aimes-tu assez pour renoncer à ta patrie, renoncer à ta famille, renoncer à tout ce que tu as chéri jusqu'à ce jour, et me suivre ? Réfléchis avant de me répondre, car dans quelques jours je ne serai peut-être qu'un proscrit fugitif, plus pauvre que tu ne m'as jamais supposé ; je n'aurai peut-être pas d'autre asile pour celle que j'aime, que les cratères des volcans, les profondeurs

ténébreuses des cavernes de la montagne, ou le couvert desforêts......

-Je t'y suivrai, répondit-elle sans hésiter, mais sans spontanéité, comme s'expriment un serment sincère, une résolution immuable.

-Oh! merci! s'écria Vercingétorix, tombant à genoux devant elle et couvrant ses mains de baisers.

Et si je t'avais dit non? articula-t-elle tout bas, le front penché et appuyé au front du Gaulois.

Il la prit dans ses bras, la pressa contre sa poitrine et murmura à son oreille: Je t'aurais tuée!

La noble fille sourit : -Je t'avais deviné! lui dit-elle.

Hier, sur un signe de toi, je serais mort!

- Mais aujourd'hui, si je ne partageais ta fortune, tu devrais m'immoler à la sûreté de tes frères et à l'indépendance de ton pays; car je connais vos secrets et vos projets !

-Tu es digne d'être Gauloise, fit-il avec exaltation. Puis, s'asseyant sur un tertre de gazon et l'attirant doucement auprès de lui:

Maintenant, dit-il, convenons de ce que nous devons faire. N'est-ce pas convenu déjà? fit-elle avec une naïveté d'enfant; tu vas partir et je vais t'accompagner.

Vercingétorix, profondément ému de cette confiance aveugle, de cet abandon absolu qui prouvait tant d'amour chez une femme comme Octavia, lui pressa les mains avec effusion et lui dit :

Non, amie, pour ta gloire il doit en être autrement. Ecoute ce que j'ai résolu demain, à la première heure, tu te rendras à Narbonne, au palais du proconsul; peu de temps après toi je m'y rendrai moi-même. Je dirai alors à Apollonius que je t'aime et que je lui demande......

- Mais, s'écria Octavia, ta démarche est aussi inutile qu'elle est' téméraire La colère de mon père sera terrible; sa réponse sera certainement négative, peut-être... même... injurieuse; car il a rêvé l'alliance de César, et... ton nom, que moi je trouve si beau, ton nom est odieux à tous les Romains, qui te redoutent et t'accusent d'ingratitude!... Puis, dans le palais, au milieu des gardes, dans la capitale de la Province (1)!.....

(1) La Province, dont on a fait la Provence actuelle, était la portion des Gaules conquise à cette époque par les Romains et qui avait déjà adopté les lois et les mœurs des Latins; la capitale en était Narbonne.

- Mon honneur et le tien réclament cette démarche, interrompit-il à son tour; l'épouse de Vercingétorix ne peut pas être une fille fugitive, qu'il dérobe clandestinement, la nuit, à son père et à son peuple! Je pense, comme toi, qu'Apollonius accueillera par des violences ou par un refus offensant la demande que je lui ferai......

-Alors ?......

- Alors, je me tournerai vers toi et je te tendrai la main; tu mettras ta main dans la mienne et nous sortirons du palais.

- Il en sera ainsi, puisque tu l'as décidé; mais je crains que nous ne puissions sortir ni du palais, ni de Narbonne; car mon père jettera, s'il le faut, une légion entière sur notre route, pour nous arrêter.

- Avant que sa légion soit réunie nous aurons quitté la cité depuis longtemps, et s'il nous fait poursuivre par dix mille légionnaires, je leur opposerai cent mille guerriers. En quit. tant Narbonne, nous prendrons la via Domitia, qui nous conduira en cinq ou six jours à Gergovia, où je te confierai à ma mère jusqu'à ce que tu deviennes ma femme. D'ici là, tu passeras tes nuits et tes jours au milieu de mes compagnons, mais ces compagnons sont mes dévoués (1), et quand je leur aurai dit: Cellelà est ma fiancée, il n'en est pas un qui ne regarde comme un honneur et comme un devoir de mourir pour te protéger; ce sont des natures naïves, des âmes d'enfants avec des cœurs de lions! Tu les jugeras demain.

— Ils ne m'effraient pas, malgré leur air terrible, et je les aime déjà, puisqu'ils sont tes dévoués, répondit Octavia.

Après un silence, Vercingétorix reprit:- Tu m'as dit tout à l'heure que les tiens m'accusaient d'ingratitude. Ecoute mon histoire et juge-moi, non pas avec ton cœur, qui pourrait être partial, mais avec ton esprit dégagé de tout sentiment affectueux et de tous préjugés de race ou de nationalité.

Tu sais par la renommée que je suis fils de Celtill - Keltillle grand-brenn des Gaules, que les Arvernes condamnèrent au feu et qu'ils firent mourir parce qu'il s'était fait proclamer roi. II n'avait point voulu s'asseoir sur le trône pour satisfaire son

(1) Dévoués n'est pas ici un adjectif, mais bien un substantif; car ce nom désigne l'association formée par des hommes qui s'attachaient à un chef ou à un héros, et juraient de mourir avec lui. On les voyait souvent s'entre-tuer . quand leur chef était mort. Nous en reparlerons plus loin.

ambition, mais pour sauver les Gaules, menacées dès ce temps par les Romains et par les Germains. Orgétorix, le grand chef des Helvètes, eut la même pensée et n'échappa au même supplice qu'en s'ôtant la vie. J'ai recueilli la succession de ces deux hommes illustres, dont l'un fut mon père. Si je dois tomber comme eux, puissé-je au moins ne mourir qu'après avoir numilié Rome et sauvé mon pays!... Il courba son front, son front si beau, si jeune, et déjà si plein de pensées! et pendant plusieurs minutes, il s'absorba dans les douloureux souvenirs que le regard qu'il venait de jeter au passé avait évoqués dans son âme. Respectant son émotion, qu'elle comprenait si bien, Octavia attendit en silence qu'il continuât.

Bientôt il poursuivit :-J'étais enfant alors, j'avais dix ans. Sous prétexte de me soustraire à la fureur de ma nation, fureur qu'ils avaient soulevée et qu'ils apaisèrent facilement après l'accomplissement de leur crime, mes oncles m'arrachèrent des bras de ma mère et me confièrent à Rome, à l'implacable ennemie que mon valeureux père avait toujours combattue, et qui avait acheté sa mort par les grâces dont elle comblait ceux qui devaient immoler notre indépendance et nos libertés, sur le bûcher qui consuma le grand-brenn des Gaules.

Mon aïeul, Taliésin (1), le coïhbi (2) des Gaules, accourut du milieu-sacré (3), mais trop tard; j'étais parti pour Rome quand il arriva à Gergovia. Il retourna sous les ombrages mystérieux de la forêt sainte-Meadhon-lan (4) — mais du fond du némède (5) révéré qu'il habite, le grand-prêtre d'Hésus veilla sur son fils. En effet, on plaça près de moi, comme un esclave en qui ma mère avait une confiance particulière, un druide (6) qui déjoua

(1) Taliesin, en gaëlique, front rayonnant.

(2) Coilbi, en gaëlique, grand-druide. C'était la plus haute dignité à laquelle un Gaulois pût atteindre.

(3) Le milieu-sacré, d'abord établi à Alézia, était à cette époque transporté dans le pays des Carnutes; c'était spécialement dans les forêts de cette contrée qu'habitaient les druides.

(4) Actuellement Evreux.

(5) Temple construit de pierres brutes.

(6) Nom des prêtres de la classe la plus élevée dans la hiérarchie sacer-dotale. Nous en reparlerons note I.

les projets de Rome. J'ignorai moi-même son caractère sacré jusqu'à mon retour dans mon pays. Ce grand patriote, qui pendant onze ans se résigna aux fonctions les plus humbles pour me sauver, résumait en lui toutes les connaissances humaines. Ce fut lui qui m'enseigna tout ce que je sais et qui développa dans mon jeune cœur l'amour sacré de la patrie et la haine du nom Romain. Il me fit voir que la protection inutile dont on me couvrait, que les flatteries et les faveurs dont j'étais l'objet n'avaient qu'un but intéressé et odieux, celui de captiver mon esprit pour s'assurer mon dévouement, afin de faire servir plus tard le fils de Celtill à l'oppression de ses frères; car on me promettait le trône d'Arvernie comme on donna la souveraineté des Carnutes à l'infâme Tasgit, et celle des Sénons au traître Cavarin !

De seize ans à vingt et un ans, j'accompagnai César dans toutes les guerres qu'il fit, c'est-à-dire que j'assistai à l'anéantissement de nos libertés et à la destruction de nos nations Lors du meurtre de Dumnorix, j'avais vingt et un ans; j'étais enfin un homme ! Je ne pus contenir mon indignation et, le jour où César m'offrit le trône d'Arvernie, je le refusai avec dédain; je lui reprochai sa froide cruauté, le massacre de mes frères, la mort de mon père, le meurtre du héros des Gaules, son impiété et son ambition, et j'allai jusqu'à lui dire que je n'avais fait la guerre sous ses ordres que pour mieux apprendre à le combattre. Il est suprêmement intelligent; il fit de la magnanimité devant ses centurions, mais je le connaissais bien! et quand le soir il me fit chercher, probablement pour m'infliger le même sort qu'à Ambiorix, qui mourut pour n'avoir pas voulu l'accompagner en l'ile d'Albion, c'est-à-dire pour n'avoir pas voulu faire la guerre au dieu de ses pères (1), j'avais quitté l'armée.

Pendant les cinq années que j'avais passées près de lui, je m'étais appliqué à étudier l'art de la guerre comme le pratiquent les hommes de ta nation, car j'étais bien vite arrivé à reconnaître que le courage sans la discipline est comme un glaive sans fourreau aux mains d'un insensé. C'est une liqueur généreuse, mais tous nos désastres ne viennent que de l'ivresse

(1) Les iles d'Albion et d'Erin - les Iles Britanniques— étaient sacrées pour les Gaulois; c'était là qu'étaient leurs principaux némèdes — temples.

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