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tinct, quand nous voyons que celui-ci est invariable, tandis que le langage s'est diversifié et multiplié au delà de tout ce qu'on peut imaginer?

Ces premières critiques, il est vrai, tombent bien vite, si, à la place d'un instinct naturel, on suppose chez le premier homme l'inspiration divine et une sorte de révélation intérieure. Cette opinion rentre alors dans l'opinion traditionnelle que nous proposerons tout à l'heure. Ainsi modifiée, cette opinion peut s'appuyer sur les considérations philologiques suivantes. Il est constant que les langues anciennes, au moins dans la famille indo-européenne, sont plus riches, plus savantes, plus compliquées au point de vue grammatical, que les langues dérivées, comme en témoignent les grammaires latine, grecque et surtout sanscrite comparées aux grammaires italienne, française et anglaise. L'anglais surtout est devenu remarquablement analytique et rappelle sensiblement les langues monosyllabiques, alors cependant qu'il est né d'une langue éminemment synthétique. Une loi se dégage de l'examen des langues indo européennes, qui forment le groupe le plus remarquable et le mieux connu les langues ont évolué de la synthèse à l'analyse ; jamais il n'y a eu de retour. Le vieux latin par exemple a plus de cas et d'autres formes que le latin postérieur ; celui-ci perd une grande partie de sa grammaire en passant dans les langues romanes ; le français qui en est issu ne ressemble plus au latin au point de vue grammatical : de là l'extrême difficulté pour l'élève de se l'assimiler suffisamment, comme aussi l'un des fruits particuliers de l'étude de la langue latine. Instruits par ces faits, quelques-uns se demandent déjà si les langues monosyllabiques, comme le chinois,

qui avaient été regardées comme des langues primitives arrêtées dans leur développement, ne seraient pas, au contraire, des langues vieillies avant le temps et comme pulvérisées par l'analyse.

Quoi qu'il en soit, et pour nous en tenir aux langues indo-européennes, nous ne voyons jamais les langues synthétiques naître d'une langue analytique. On a donc le droit de supposer que l'esprit humain a débuté par une langue synthétique et que par conséquent le langage n'est pas le fruit d'une évolution lente et progressive. Celle-ci n'aurait prise que sur les formes, les mots, les expressions déjà données; elle déciderait de la destinée du langage, mais non de son existence même.

996. L'origine dite naturelle du langage. - Telle n'est pas cependant l'opinion des évolutionnistes. D'après eux, le langage serait le résultat d'une évolution lente et graduelle; il se serait formé peu à peu et de toutes pièces, comme la raison elle-même, qui se serait dégagée en même temps de la sensibilité. L'homme aurait commencé à parler, comme le feraient les animaux les plus rapprochés de nous, si les circonstances et leurs organes le leur permettaient. Les premiers cris arrachés par les émotions et les besoins, des onomatopées, disent les uns, des interjections et des onomatopées, disent les autres, ont été le point de départ de la parole. A ces premiers mots, dont la signification était toute matérielle, se sont joints peu à peu des signes plus compliqués et d'une plus grande portée; les mots racines se sont agglutinés, ils ont reçu des désinences; en vertu des lois de l'analogie les conjugaisons et les déclinaisons se sont formées plus ou moins régulièrement.

Cette opinion, comme on le sent déjà, est exposée de diverses manières, suivant les tendances spiritualistes ou matérialistes, religieuses ou indifférentes de ceux qui la partagent. Plusieurs l'adoptent comme une simple hypothèse, abstraction faite de toute révélation. D'ailleurs on peut soutenir l'opinion de l'origine naturelle du langage sans être évolutionniste d'une autre manière. Tout cela nous explique le grand nombre des philosophes qui paraissent se ranger à cette opinion, comme aussi leur manque d'accord sur beaucoup de points importants.

On peut juger de ces dissentiments dans un ouvrage récent sur l'origine du langage, qui emprunte aux suffrages de l'Académie une autorité particulière. L'auteur, qui se déclare partisan des théories darwiniennes, s'efforce de les appliquer à l'origine du langage et propose, à son tour, un système. Au lieu de s'arrêter devant les quelques centaines de racines et de suffixes pronominaux qui paraissent former le noyau de toutes les langues indo-européennes, et de les déclarer irréductibles entre eux, il pense que ces éléments eux-mêmes sont dérivés de quelques autres moins nombreux et finalement d'un seul, d'un premier cri, d'une première émission de voix. Les premiers signes, tout en désignant les choses extérieures et sensibles, auraient eu la signification la plus générale ; mais, à mesure qu'ils se multipliaient en se diversifiant, ils prirent des sens de plus en plus restreints, particuliers et précis. Inutile de dire comment l'auteur essaie d'expliquer l'apparition des diverses parties du discours: il part du pronom démonstratif, en fait sortir l'adjectif, puis le substantif, crée le verbe au moyen de l'adjectif réuni au pronom, forme les mots invaria

bles avec les précédents. Au cours de son étude, il combat une foule d'opinions particulières et plus ou moins accréditées parmi les philologues. Pour lui le langage n'est qu'un organisme et ne tombe par conséquent que sous les sciences naturelles. Il croit que les signes phoniques ont précédé la mimique et que les interjections n'ont pas été significativement fécon. des. Il combat la théorie de l'onomatopée. Il refuse de regarder le verbe être comme le verbe par excellence. Cependant il accorde que les premières émissions de voix exprimaient déjà un jugement, etc.

Si nous avions à faire la critique de ce système particulier, qui vient après tant d'autres, nous remarquerions que l'auteur se montre inconséquent en souscrivant aux thèses darwiniennes et en supposant néanmoins que la raison a préexisté au langage et que les noms généraux ont précédé les noms plus ou moins particuliers. Il est incontestable que, si la raison n'est qu'une sensibilité développée et si le langage humain est parti du langage naturel aux animaux, la raison n'a pas préexisté au langage et que celui-ci a débuté par des noms propres, individuels, ceux-là même et ceuxlà seuls que comprennent très bien nos animaux.

Critique. Mais c'est l'opinion même de la formation lente et progressive du langage que nous devons critiquer plutôt que tel système particulier. Que l'on songe seulement un moment à tout ce que suppose de savoir, d'expérience, d'observation, la langue la plus rudimentaire. Or il s'agit d'expliquer des langues telles que le grec d'Homère, le sanscrit des Védas, l'hébreu de Moïse. Ajoutons que l'humanité primitive, au sein de laquelle s'élaborait cet instrument merveilleux et s'amassait ce trésor de la pensée, sortait à

peine de l'animalité, d'après les évolutionnistes; elle y était encore, car on ne peut regarder comme un langage humain ces quelques sons vagues et imparfaits au moyen desquels les premiers hommes se manifestaient mutuellement leurs émotions et leurs besoins. Les tribus primitives étaient donc exposées à toutes les causes de destruction inhérentes à l'état le plus barbare guerres sanglantes, dispersion des débris échappés à la mort. Dès lors que serait devenu ce langage élémentaire qui avait servi à rapprocher les premiers hommes ou à maintenir ensemble les premières familles? Si le langage était né comme le supposent les évolutionnistes, il y aurait eu autant de langues à l'origine que de tribus sauvages, et ces langues auraient été si imparfaites que nos patois seraient des chefs-d'œuvre en comparaison d'elles.

On nous oppose que les sciences et les arts qui, à certains égards, ne sont pas moins merveilleux que le langage, sont pourtant le fruit de la nature et de la raison humaine. - Mais d'abord les sciences et les arts ne se sont développés si merveilleusement que bien longtemps après la formation des plus belles langues. D'ailleurs, à la racine des sciences et des arts, il y a des connaissances philosophiques, morales et religieuses plus admirables encore; et celles-ci ne paraissent avoir manqué à aucun peuple primitif. Pourquoi donc les premiers hommes auraient-ils manqué d'un langage complet qui est, socialement du moins, inséparable de ces connaissances?

On nous dit encore que l'esprit humain a pu amasser lentement, pendant des milliers d'années, ces connaissances philosophiques, morales et religieuses et créer parallèlement le langage qui les exprime.

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