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CHAPITRE XXXVIII

· DU PRINCIPE D'INDIVIDUATION

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662. Difficulté et place de cette question; son objet précis. Nous allons traiter brièvement d'une question fort subtile, que Bossuet a regardée comme insoluble, mais que nous ne pourrions omettre sans être incomplet. Elle fut vivement agitée au moyen âge, sous le nom de principe d'individuation, et aussi sous le nom d'hæccéité (hæc, cette chose) ou d'eccéité (ecce, la chose que voici). Il s'agissait de savoir ce qui, en définitive, rend une substance individuelle, c'est-à-dire ce qui la rend celle-ci et non pas une autre, ce qui fait qu'elle est une en soi, sans division, et ce qui la distingue numériquement de toutes les autres de même espèce ou plus ou moins semblables à elle, en un mot ce qui fait que son être lui est propre et incommunicable. Car l'individualité comprend tous ces caractères.

Cette question pouvait être étudiée en ontologie, après le traité de la substance; car l'individualité appartient d'abord à la substance. Elle se présente ici mieux encore, car le principe d'individuation ne fait l'objet d'un doute, comme nous le verrons, que pour les êtres composés de matière et de forme. Sans pré

tendre établir aucune thèse, nous discuterons les principales opinions.

Limitons d'abord le champ du débat. Il s'agit uniquement des substances composées de matière et de forme. Pour les substances spirituelles, qui sont des formes substantielles indépendantes de la matière, il ne peut y avoir désaccord. Tous conviennent que les esprits sont individualisés par leur forme même, puisqu'ils n'ont pas de matière. Mais il ne faudrait pas conclure de là que les substances matérielles sont également individualisées par leur forme; car le principe d'individuation peut changer, quand il s'agit de sujets totalement différents, comme le sont les esprits et les corps. Jourdain n'est donc pas fondé à faire un reproche à saint Thomas pour avoir assigné aux substances matérielles un autre principe d'individuation qu'aux substances spirituelles. Il faut aborder sans préjugé la question présente. De ce que les esprits sont individualisés par leur forme, il ne s'ensuit pas que les corps doivent l'être aussi par leur forme. Peut-être le sont-ils par leur matière ou de quelque autre façon. Voici, à ce sujet, les principales opinions.

663. Première opinion. Critique. - D'après les nominalistes, et, après eux, Suarez, Leibniz, Fénelon, Rosmini, Huet, Jourdain, chaque chose est individualisée par son entité propre, par son être même. Il n'y a de réel, disent-ils, que les individus, les substances déterminées, particulières; d'où il suit que l'individualité est donnée en même temps que la réalité et que toute chose est individuelle par là même qu'elle est réelle. En d'autres termes, l'être est un et individuel par là même qu'il est, qu'il a été créé. Il faut donc chercher le principe efficient d'individualité en

Dieu et le principe intrinsèque dans la réalité de la créature; et si la créature est composée de matière et de forme, il faut chercher le principe d'individuation dans la matière et la forme réunies. Les auteurs qui soutiennent cette opinion nient généralement la distinction réelle de l'essence et de l'existence; d'où il suit qu'ils cherchent le principe d'individuation dans l'existence même.

Critique. Mais cette première opinion paraît insuffisante. Elle ne résout pas la question proposée. Il est incontestable que l'être est un et individuel par là même qu'il est. Mais comment se fait-il qu'il soit tel et non pas un autre, et, puisqu'il s'agit d'être matériel, comment se fait-il qu'il se distingue de tous ceux de son espèce? Dire qu'il se distingue par là même qu'il existe, c'est ne rien dire, c'est refuser de pousser plus avant l'analyse, c'est éviter toute solution du problème. Que les partisans de cette opinion prétendent que la question est fort subtile, qu'elle est inutile et insoluble, on le conçoit; mais qu'ils ne se flattent pas d'avoir apporté une solution.

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D'après

664. Deuxième opinion. Critique. une autre opinion, celle de Scot et des réalistes, la substance serait rendue individuelle par l'hæccéité, sorte d'entité dernière en vertu de laquelle la substance particulière serait distinguée de toute autre.

Critique. Mais, sans compter que cette multiplication d'entités est bien faite pour tenir l'esprit en garde contre cette opinion, que peut bien être cette hæccéité? Est-ce simplement la réalité qui appartient en propre à la substance individuelle et qui ne permet pas de la confondre avec aucune autre? En d'autres termes, cette hæccéilé est-elle constituée par les

caractères individuants? Dans ce cas nous convenons que l'hæccéité distingue les individus, les caractérise; mais d'où vient-elle elle même ? Pourquoi tel individu a-t-il tels caractères que l'autre n'a pas? Quel est, je ne dis pas son individualité, mais le principe de son individualité? Scot ne le dit pas, il ne résout pas la question.

Maintenant faut-il entendre par cette hæccéité une entité qui se surajoute, pour ainsi dire, à la nature spécifique et rend celle-ci telle? Mais cette supposition est absurde. La nature spécifique, dépouillée de toute individualité, n'existe pas, elle n'est pas objective, et l'on ne conçoit pas qu'une entité la rende réelle en s'y ajoutant. Et puis la nature spécifique ne peut pas être individualisée ni réalisée par un accident qui s'y ajoute; elle doit être réalisée et individualisée par quelque chose qui lui soit substantiel.

665. Troisième opinion. Critique. — D'après quelques anciens scolastiques et Zabarella, qui essaie d'interpréter en sa faveur l'opinion de Scot, le principe d'individuation serait dans la forme seule; ce qui est vrai pour les substances spirituelles serait vrai également pour les substances matérielles. Voici les raisons principales de cette opinion. Les substances ne sont individuelles qu'autant qu'elles sont réelles, et elles ne sont réelles qu'autant qu'elles sont en acte, c'est-à-dire qu'elles ont leur forme, la forme c'est l'acte la forme est donc le principe de l'individuation. De plus, l'individualité c'est l'unité. Or c'est la forme qui est le principe de l'unité, tandis que la matière est le principe de la divisibilité.

Critique. Mais on fait d'abord remarquer que l'individualité ne vient pas tant de la réalité que de

l'incommunicabilité. Il y a des individus possibles, c'est-à-dire non réels, et ils sont cependant des individus, parce qu'ils ont quelque chose d'incommunicable. Mais voici une critique plus directe. La forme ne peut être dans la substance matérielle un principe d'individuation, parce que de sa nature elle peut se rencontrer dans plusieurs individus: par exemple, la forme d'or peut se trouver dans plusieurs pièces d'or; l'àme humaine peut animer tel ou tel corps. Et si les partisans de l'opinion que nous critiquons répondent que la forme qui individualise ce n'est pas la forme spécifique, abstraite, mais bien la forme particulière, concrète, par exemple cette forme d'or ou cette âme, nous répliquons à notre tour qu'il s'agit précisément de savoir ce qui rend cette forme particulière, c'està-dire individuelle, ce qui fait par exemple que cette âme est telle. Les partisans de cette opinion eux aussi tournent dans un cercle.

Ils n'en sortent pas en disant que la forme étant le principe de l'unité de l'être matériel, doit être aussi le principe de son individualité. Car il y a unité et unité la forme spécifique est le principe de l'unité spécifique; la forme individuelle est le principe de l'unité individuelle. Mais il reste à savoir comment cette forme est individuelle, quel est le principe de son individualité.

666. Quatrième opinion. Critique. Reste la quatrième opinion, celle d'Aristote, de saint Thomas, d'Albert le Grand, de la plupart des scolastiques. d'après laquelle le principe de l'individuation est dans la matière marquée par la quantité (materiam signatam quantitate). Mais que signifie cette formule et vaut elle mieux que l'hæccéité des scotistes?

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