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II

Les contemporains ont reproché, non sans raison, à Innocent III d'avoir sacrifié, dans ses préférences pour Otton, la paix de l'Allemagne aux intérêts du SaintSiège. Sans l'intervention du pape, la lutte finissait. A la vérité, il ne croyait susciter qu'un trouble passager; il était persuadé que les injonctions de la cour de Rome auraient assez de force pour triompher des partis et rallier les suffrages En attribuant cet ascendant au Saint-Siège, Innocent III se trompait. Ce pape, avec d'éminentes qualités, eut une intelligence médiocre des besoins et des tendances de son époque. Durant un pontificat de plus de dix-huit années, il s'épuisa en vains efforts pour ranimer la vivacité des premières croisades, sans se rendre compte que les imaginations désabusées cherchaient d'autres objets. Dans les nouveautés religieuses qui amenèrent le drame terrible de la guerre des Albigeois, il n'aperçut qu'une hérésie ordinaire, au lieu d'y voir un mouvement de réforme dont celui du XVI° siècle ne fut, à quelques égards, que le développement. Il se trompa de même dans les évènements d'Allemagne; il crut avoir à lutter unique

ment contre des passions; il ne vit pas, dans la résistance opposée à ses desseins, les symptômes d'une révolution qui se produisait contre les idées théocratiques et qui tendait à détacher de toutes parts les gouvernements temporels du joug trop prolongé des pouvoirs spirituels.

En tout cas, c'était s'aventurer beaucoup que de ranimer la lutte sur le seul espoir que donnaient au SaintSiège les témoignages de piété et les promesses réitérées d'Otton. Le pape eut peut-être le sentiment de cette situation. Dans la lettre qu'il avait adressée à ce prince, il disait : » Que Dieu, qui tient en sa main le cœur des rois, daigne éloigner du vôtre l'ingratitude et l'oubli, et qu'il vous inspire de consacrer votre vie à la gloire de son Église, qui ne vous a point délaissé dans l'infortune et vous a relevé au moment que vous succombiez'. » Les légats envoyés en Allemagne n'emportèrent pas seulement, avec cette lettre, la bulle collective destinée aux princes de l'empire; le pape leur remit en outre plus de cent lettres particulières adressées aux archevêques, évêques, ducs, margraves, comtes, nobles, à tous ceux enfin, ecclésiastiques ou laïques, qui, à un titre quelconque, pouvaient exercer quelque influence sur les affaires de l'Allemagne. Dans chacune de ces

1. « Inspiret cordi tuo is qui corda principum habet in manu sua,... ut ea quæ acta sunt hactenus et aguntur et adhuc per nos circa te agentur in posterum fideliter in tuo corde reponas et ita memoriæ recommendas ut nec obliviosus videri valeas vel ingratus, sed ad apostolicae sedis exaltationem potenter intendas, et ejus benevolentiam recognoscas, quæ, cum defecissent fere penitus vires tuæ, non te deseruit in adversis... >> Ep. 32.

2. Ep. 30 à 46. A la fin de presque chacune de ces lettres, il est

lettres, il avait glissé les réflexions qui lui paraissaient le plus propres à persuader ou séduire celui auquel elle était destinée. A l'archevêque de Cologne il faisait sentir combien il était honorable pour lui de voir le SaintSiège approuver un choix dont il avait pris l'initiative1. Au duc de Bohême il mandait que Philippe n'avait pas eu qualité pour lui conférer le titre de roi, mais que, s'il le demandait à Otton, ce prince ne manquerait pas de le lui concéder et que la cour de Rome s'empresserait de le ratifier 2. Auprès des partisans de Philippe, il insistait sur le préjudice qu'apporterait à leurs libertés l'hérédité introduite de fait dans la transmission de la couronne. A tous il promettait de solliciter de la libéralité d'Otton les faveurs et les privilèges qu'ils pourraient souhaiter3. Il écrivit également aux rois de France et d'Angleterre. A celui-ci il faisait valoir l'éclat qui rejaillissait sur sa personne de l'élévation de son neveu; à celui-là il disait d'avoir toute confiance dans les sentiments d'Otton, et se portait garant des bonnes dispositions de ce prince envers le royaume de France.

Munis de toutes ces lettres, les légats avaient quitté Rome au commencement de l'année 1201. A Aix-laChapelle, ils rencontrèrent Otton, déjà instruit de l'objet

dit, dans une note, qu'une lettre analogue a été adressée (in eumdem modum scriptum est) à tels princes ou prélats dont les noms sont désignés par le scribe.

1. Ep. 39.

2 Ep. 45.

3. « Eis qui super hoc monitis, consiliis et mandatis nostris humiliter acquieverint, super honoribus, dignitatibus et possessionibus suis apud prædictum regem et suos curabimus utiliter providere. » Ep. 33.

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de leur mission, et que leur arrivée transporta de joie. Invité par eux à donner au Saint-Siège un premier gage de sa reconnaissance, il se prêta de bonne grâce à cette demande. En leur présence, il jura solennellement de maintenir intacts les droits de la papauté et de la réintégrer dans ses anciens États. Il s'engagea en outre à renouveler ce serment à Rome au jour de son couronnement. Un scribe de la chancellerie pontificale, venu en Allemagne à la suite des légats, reçut par écrit cette double déclaration, en ayant soin d'y ajouter la mention nominative des États qui devaient être restitués. L'acte, ainsi dressé, fut envoyé à Rome '. Ce n'était là que la première partie de la tâche qui incombait aux légats. Dès leur arrivée sur les terres de l'empire, ils avaient convoqué tous les princes ecclésiastiques et séculiers à une assemblée générale, où devait être lue la bulle pontificale qui leur enjoignait de reconnaître Otton comme légitime souverain. Cologne était le lieu fixé pour l'assemblée. Très peu se rendirent à cet appel. Les uns n'avaient pas reçu l'avis de convocation, les messagers envoyés vers eux ayant été tués en route; d'autres, avertis, n'osèrent venir, à cause du peu de sûreté des chemins ou par crainte du parti qui leur était hostile; beaucoup manquèrent à dessein; les évêques de Mayence, de Spire, de Worms, allèrent jusqu'à fermer leurs villes et leurs palais aux messagers des légats. Si peu nombreuse que fût l'assistance, com

1. Voir cet acte au no 77 du Registrum imperii sous ce titre : Juramentum regis illustris Ottonis in imperatorem Romanorum electi.

2. « Cum quo (Ottone) ingressi Coloniam, principes quosdam

posée presque uniquement des adhérents qu'Otton avait pu conserver encore, l'évêque de Palestrine ne laissa pas de lire la bulle pontificale, et, au nom d'Innocent III, proclama Otton empereur, avec menace d'excommunication contre tous ceux qui s'opposeraient à l'élu du Saint-Siège. Il renouvela peu après la même solennité à Corbey, sans que les princes, mandés par lui à cette seconde assemblée, eussent montré plus d'empressement à s'y rendre. Il se disposait à faire un troisième et dernier appel, résolu cette fois à frapper d'excommunication tous les absents, lorsque, sur le conseil des partisans d'Otton, il s'occupa d'une négociation dont le succès importait, d'après eux, plus que toute autre chose, aux intérêts de ce prince; c'était d'assurer son union avec la fille du duc de Brabant, lequel se montrait toujours hésitant dans ses sympathies pour Otton. Afin de produire sur l'esprit du duc une impression décisive, on prépara, dans Maëstricht, une brillante solennité où, avec plus d'appareil encore qu'on n'avait fait à Cologne et en présence d'un grand nombre de nobles mandés à dessein de divers côtés, on lut la bulle qui conférait à Otton la dignité impériale. Profitant d'un moment d'enthousiasme, le légat obtint sans peine le renouvellement des fiançailles'. Gagné par l'entraînement généibidem die ipsis præfixa recepimus. Ad quosdam enim mandatum nostrum pervenire non potuit; quidam, suscepto etiam mandato, penitus accedere nequiverunt, et quidem venire noluerunt: et hoc eos noluisse deprehendimus, quia, ne nostros reciperent nuntios, civitates et domus suas clausisse feruntur, Maguntinus præcipue, Spirensis et Wormaciensis. Quidam præterea nuntii, super eodem negotio a quibusdam principibus directi, suspendio perierunt. » Ep. 51 (Lettre de l'évêque de Palestrine au pape).

1. « Per juramenta nobilium ex utraque parte matrimonii fuit

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