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III

On sait par quel coup hardi riposta Philippe le Bel aux attaques de Boniface. A la bulle Ausculta fili il substitua une fausse bulle (Scire te volumus) où les principes du pontife étaient exagérés, en même temps que présentés sous la forme la plus brutale et la plus injurieuse pour le ror; et, quand il eut, par cette fraude, éprouvé l'opinion, il fit brûler publiquement, le 11 février 1302, la véritable bulle1. Il

1. Il est douteux que la réponse de Philippe à la fausse bulle, réponse commençant par ces mots : Sciat tua maxima fatuitas, ait été mise en circulation. D'une part, en n'imitant pas la forme injurieuse de la fausse bulle, le roi se donnait l'apparence de laisser tous les torts au pape; d'une autre part, il n'était point dans ses habitudes de réserve de prendre ouvertement et pour lui seul la responsabilité d'une lettre de ce genre. Enfin Boniface, qui se plaignit de la fausse bulle, n'a jamais rien dit de la réponse. Il est vrai que, selon Baillet (p. 190, in fine), le pape, au consistoire d'août 1302, aurait, au contraire, parlé de cette réponse; mais Baillet a été ici traducteur infidèle ou inexact des documents. Il convient donc de classer cette prétendue lettre parmi les nombreux écrits que le zèle inspirait aux légistes du roi, et dont celui-ci prenait connaissance sans toujours y donner suite. Quant au mémoire où Du Bois (Dupuy, p. 45-47) établit que, en raison de la bulle Scire te volumus, Boniface peut être déclaré hérétique, il demeura

alla plus loin; le pape avait convoqué les évêques français à Rome pour le 1er novembre de cette année; le roi convoqua les États des trois ordres pour le 10 avril. Pierre Flotte, à qui l'on attribue la ré- | daction de la fausse bulle, porta la parole devant l'assemblée. Il lui fut facile d'émouvoir la fierté des nobles, en imputant au pontife le dessein téméraire de faire du royaume de France un fief de la cour de Rome. Il obtint qu'ils missent leurs sceaux à une lettre de protestation, qui vraisemblablement avait été rédigée d'avance, car elle est datée du jour même où s'assemblèrent les États'. Une lettre analogue fut présentée à l'adhésion des bourgeois. L'une et l'autre étaient adressées, non au pape, mais aux cardinaux. C'était là sans aucun doute une habileté

de même sans résultat, soit que Philippe ne voulût encore aller aussi loin, soit qu'il n'osât risquer un coup d'éclat sur un faux qu'il n'était point impossible de démasquer. A cette occasion, M. Renan, dans une étude intitulée : Un Publiciste du temps de Philippe le Bel (Revue des Deux Mondes, 15 février et 1er mars 1871), émet l'opinion que Du Bois devait être instruit de la fraude. Nous croyons que l'opinion contraire peut être également soutenue. Philippe avait recours à la dissimulation avec les hommes même les plus dévoués à sa personne, et se servait d'eux sans les mettre toujours dans la confidence de leurs mutuelles opérations. Voy. dans Clément V, Philippe le Bel et les Templiers, p. 61-77, une pièce publiée par M. Boutaric, d'où il résulte qu'en 1309 Philippe avait envoyé au pape trois ambassadeurs (Guillaume de Nogaret, Geoffroy du Plessis, évêque de Bayeux, et l'abbé de Saint-Médard), lesquels, présents à la fois à la cour de Clément V, agissaient chacun de leur côté en toute indépendance, souvent à l'insu les uns des autres, et même en un sens opposé.

1. Dupuy, p. 60-62.

de Philippe, qui espérait isoler, par ce moyen, le pape des cardinaux ou tout au moins introduire la division dans le sacré collège. Il se trompa dans ses prévisions. Soit que les cardinaux cédassent en cette circonstance, comme en quelques autres, à l'ascendant de Boniface, soit plutôt que les intérêts de la curie leur parussent se confondre cette fois avec ceux du pontife, ils se montrèrent, dans leur réponse, en plein accord avec lui'. Il ressort même des documents que la bulle Ausculta fili, avant d'être expédiée, avait été, à diverses reprises, apportée en consistoire, lue, relue, et soumise à un examen minutieux'.

Quant aux évêques, ils se conduisirent de la manière qu'ils avaient fait à l'occasion de la bulle Clericis laicos. Ils adressèrent à Boniface une lettre embarrassée, où, n'osant se décider ni pour le roi ni pour le pape, et reproduisant, comme malgré eux, les plaintes portées dans l'assemblée contre le SaintSiège, ils annonçaient que le roi leur avait défendu expressément de se rendre au concile de novembre et sollicitaient du pape la permission de ne point enfreindre cette défense3. Boniface, dans une lettre élo

1. Dupuy, p. 63, 64.

2. Id., p. 73-76.

3. Id., p. 67-71. Michelet (Hist. de Fr., t. III, p. 73, note) dit que cette lettre est datée de mars, et il en conclut qu'elle est antidatée. Son erreur vient de ce qu'il a confondu mardi avec mars. Il traduit en effet les mots die Martis prædicta par « le susdit jour de

mars».

quente', leur fit honte de leur faiblesse et se montra inflexible sur l'objet de leur demande. Dans un consistoire qui eut lieu au mois d'août 1302, en présence de l'évêque d'Auxerre, envoyé du roi, et des députés de l'épiscopat, il déclara que les prélats étaient tenus de venir à Rome, par quelque moyen que ce fût. Il donna, en cette occurrence, de nouvelles preuves de cette exaltation que nous avons signalée. Comme un homme infatué de sa toute-puissance : « Sans nous, se serait-il écrié, le roi de France ne conserverait pas un pied sur son trône (rex vix pedem teneret in stallo, nisi nos essemus). » Il ne serait pas impossible que, cette fois encore, il eût subi l'influence du cardinal d'Acqua-Sparta. Ce qui est certain, c'est que ce cardinal porta la parole dans le consistoire et reprit, tout en l'adoucissant, la thèse soutenue par lui le 6 janvier 1300 en l'église de Saint-Jean-deLatran. Il semble même qu'il se soit proposé de stimuler ou de soutenir la fermeté du pontife; car il s'étendit longuement sur les prérogatives du SaintSiège, sur le respect que lui devaient tous les rois, et ce ne fut qu'après qu'il eut parlé que Boniface prit à son tour la parole. Néanmoins il ne faudrait pas attacher trop d'importance à un discours dont le texte ne nous est connu que par un manuscrit du xv° siècle de l'abbaye de Saint-Victor. Il convient aussi d'observer que ce texte contient plusieurs

1. Dupuy, p. 65, 66.

inexactitudes historiques; et quant au mot célèbre sicut unum garcionem deponerem qu'aurait proféré Boniface, on doit douter d'autant plus de son authenticité, que le pape eut plus tard des raisons bien autrement puissantes pour tenir ce langage, sans que néanmoins il ait rien dit de semblable'.

Une chose qu'on n'a point assez remarquée, c'est une tentative de réconciliation qui eut lieu sur ces entrefaites. Il résulte des documents publiés par Dupuy que le duc de Bourgogne aurait écrit dans ce sens à divers cardinaux; mais ceux-ci répondirent qu'après ce qui s'était passé, après surtout le fait inouï de la mise au feu des lettres pontificales, ils ne se sentaient pas la hardiesse d'être auprès du pape les interprètes d'un tel væu, et que demander l'indulgence pour le roi avant qu'il l'eût méritée par son repentir, c'était exposer le Saint-Siège à devenir un objet de risée et d'opprobre. Cette réponse des cardinaux étant datée du 5 septembre 1302, et la défaite de Philippe à Courtray ayant eu lieu le 2 juillet de la même année, on peut croire que ce prince ne fut pas étranger à une démarche dont le mauvais état de ses affaires devait lui indiquer l'opportunité. Le jugeant affaibli par cette défaite, les prélats français osèrent enfreindre sa défense et se rendirent à Rome pour assister au con

1. Voy. ces deux discours dans Dupuy, p. 73-79. Voir aussi Boutaric, la France sous Philippe le Bel, p. 113.

2. Dupuy, p. 80-83.

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