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AVIS DE L'EDITEUR.

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'Ai crû rendre fervice aux amateurs des belles lettres, de publier une tragédie du Fanatifme, fi défigurée en France par deux éditions fubreptices. Je fais très - certainement qu'elle fut compofée par l'auteur en 1736. & que dès lors il en envoya une copie au Prince Royal, depuis Roi de Pruffe, qui cultivait les lettres avec des fuccès furprenans, & quien fait encor fon délaffement principal.

J'étais à Lille en 1741. quand Monfieur de Voltaire y vint paffer quelques jours; il y avait la meilleure troupe d'acteurs qui ait jamais été en province. Elle représenta cet ouvrage d'une manière qui fatisfit beaucoup une très nombreuse affemblée; le Gouverneur de la province & l'Intendant y affiftèrent plufieurs fois. On trouva que cette pièce était d'un goût fi nouveau, & ce fujet fi délicat parut traité avec tant de fageffe, que plufieurs Prélats voulurent en voir une représentation par les mêmes acteurs dans une maison particulière. Ils en jugèrent comme le public.

L'auteur fut encor affez heureux pour faire parvenir fon manufcrit entre les mains d'un des premiers hommes de l'Europe & de l'Eglife a), qui foutenait le poids des affaires avec fermeté, & qui jugeait des ouvrages d'efprit avec un goût très-fûr, dans un âge où les hommes parviennent rarement, & où l'on conferve encor plus rarement fon efprit & fa délicateffe. Il dit que la pièce était écrite avec toute la circonfpection convenable & qu'on ne pouvait éviter plus fagement les écueils du fujet; mais que pour ce qui regardait la poëfie, il y avait encor des chofes à corriger. Je fais en effet, que l'auteur les a retouchées avec beaucoup de foin. Ce fut auffi le fentiment d'un homme qui tient le même rang, & qui n'a pas moins de lumières.

Enfin, l'ouvrage approuvé d'ailleurs felon toutes les formes ordinaires, fut repréfenté à Paris le 9. d'Août 1744. Il y #) Le Cardinal de Fleury.

avait une loge entière remplie des premiers Magiftrats de cette ville; des Miniftres y furent préfens. Ils penfèrent tous comme les hommes éclairés que j'ai déja cités.

Il se trouva b) à cette première représentation quelques perfonnes qui ne furent pas de ce fentiment unanime. Soit que dans la rapidité de la repréfentation ils n'euffent pas fuivi affez le fil de l'ouvrage, foit qu'ils fuffent peu accoûtumés au théâtre, ils furent bleffés que Mahomet ordonnât un meurtre, & fe fervit de fa Religion pour encourager à l'affaffinat un jeune homme qu'il fait l'inftrument de fon crime. Ces perfonnes, frappées de cette atrocité, ne firent pas affez réflexion, qu'elle eft donnée dans la pièce comme le plus horrible de tous les crimes, & même il est moralement impoffible qu'elle puiffe être donnée autrement. En un mot, ils ne virent qu'un côté; ce qui eft la manière la plus ordinaire de fe tromper. Ils avaient raifon affûrément d'être fcandalifés, en ne confidérant que ce côté qui les rés voltait. Un peu plus d'attention les aurait aifément ramenés. Mais dans la première chaleur de leur zèle ils dirent, piéce était un ouvrage très - dangereux, fait pour former des Ravaillacs & des Jacques Cléments.

que

, que la

On eft bien furpris d'un tel jugement: & ces Meffieurs l'ont defavoué fans doute. Ce ferait dire, qu'Hermione enfeigne à af faffiner un Roi, qu'Electre apprend à tuer fa mère, que Cléo patre & Médée montrent à tuer leurs enfans. Ce ferait dire qu'Harpagon forme des avares, le Joueur des joueurs, Tartuffe des hypocrites. L'injustice même contre Mahomet ferait bien plus grande que contre toutes ces piéces ; car le crime du faux prophéte y eft mis dans un jour beaucoup plus odieux que ne l'eft aucun des vices & des déréglemens que toutes ces piéces repréfentent. C'est précisément contre les Ravaillacs & les Jacques Cléments que la pièce eft compofée; ce qui a fait dire à un homme de beaucoup d'efprit, que fi Mahomet avait été écrit du tems de Henri III. & de Henri IV. cet ouvrage leur aurait

b) Le fait eft que l'Abbé des Fontaines, & quelques hommes auffi méchans que lui, dénoncèrent cet ouvrage comme fcandaleux & impie; & cela fit tant de bruit, que

le Cardinal de Fleury premier Miniftre, qui avait lu & approuvé la piéce, fut obligé de confeiller à l'auteur de la retirer.

fauvé la vie. Eft- il poffible, qu'on ait pû faire qu'on ait pu faire un tel reproche à l'auteur de la HENRIADE; lui qui a élevé fa voix fi fouvent dans ce poëme & ailleurs, je ne dis pas feulement contre de tels attentats, mais contre toutes les maximes qui peuvent y conduire ?

J'avoue, que plus j'ai lû les ouvrages de cet écrivain, plus je les ai trouvé caractérisés par l'amour du bien public; il inSpire partout l'horreur contre les emportemens de la rébellion, de la perfécution & du fanatifme. Y a-t-il un bon citoyen qui n'adopte toutes les maximes de la Henriade? Ce poëme ne fait-il pas aimer la véritable vertu? Mahomet me parait écrit entiérement dans le même efprit, & je fuis perfuadé que fes plus grands ennemis en conviendront.

Il vit bientôt, qu'il fe formait contre lui une cabale dangereufe; les plus ardens avaient parlé à des hommes en place, qui ne pouvant voir la représentation de la piéce, devaient les en croire. L'illuftre Molière, la gloire de la France, s'était trouvé autrefois à peu près dans le même cas, lorfqu'on joua le Tartuffe ; il eut recours directement à Louis le Grand, dont il était connu & aimé. L'autorité de ce Monarque diffipa bientôt les interprétations finiftres qu'on donnait au Tartuffe. Mais les tems font différens; la protection qu'on accorde à des arts tout nouveaux, ne peut pas être toûjours la même, après que ces arts ont été longtems cultivés. D'ailleurs, tel artifte n'eft pas portée d'obtenir ce qu'un autre a eu aifément. Il eût falu des mouvemens des difcuffions, un nouvel examen. L'auteur jugea plus propos de retirer fa piéce lui-même, après la troifiéme repréfentation, attendant que le tems adoucit quelques efprits prévenus; ce qui ne peut manquer d'arriver dans une nation aussi Spirituelle & auffi éclairée que la Françaife c). On mit dans les nouvelles publiques que la tragédie de Mahomet avait été défendue par le gouvernement. Je puis affurer, qu'il n'y a rien de plus faux. Non-feulement il n'y a pas eu le moindre ordre

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e) Ce que l'éditeur femblait ef pérer en 1742. eft arrivé en 1751. La piéce fut repréfentée alors avec un prodigieux concours. Les cabales & les perfécutions cédèrent au

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cri public, d'autant plus qu'on com mençait à fentir quelque honte d'avoir forcé à quitter fa patrie un homme qui travaillait pour elle.

donné à ce sujet, mais il s'en faut beaucoup que les premières têtes de l'Etat, qui virent la représentation, ayent varié un moment fur la fageffe qui règne dans cet ouvrage.

Quelques perfonnes ayant tranfcrit à la hate plufieurs fcènes aux représentations, & ayant eu un ou deux rôles des acteurs, en ont fabriqué les éditions qu'on a faites clandeftinement. Il est aifé de voir à quel point elles diffèrent du véritable ouvrage que je donne ici. Cette tragédie eft précédée de plufieurs piéces intéreffantes, dont une des plus curieufes, à mon gré, eft la lettre que l'auteur écrivit à fa Majesté le Roi de Pruffe, lorfqu'il repaffa par la Hollande, après être allé rendre fes refpects à ce Monarque. C'est dans de telles lettres, qui ne font pas font pas d'abord deftinées à être publiques, qu'on voit les véritables fentimens des hommes. J'espère qu'elles feront aux véritables philofophes le même plaifir qu'elles m'ont fait.

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