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DISSERTATION

SUR

LA TRAGÉDIE

ANCIENNE ET MODERNE.

A SON EMINENCE

MONSEIGNEUR

LE CARDINAL QUERINI, NOBLE VENITIEN, EVÊQUE DE BRESCIA, BIBLIOTHÉCAIRE DU VATICA N.

I

MONSEIGNEUR,

L était digne d'un génie tel que le votre, & d'un homme qui est à la tête de la plus ancienne bibliothèque du monde, de vous donner tout entier aux lettres. On doit voir de tels Princes de l'Eglife fous un Pontife qui a éclairé le monde Chrétien avant de le gouverner. Mais fi tous les lettrés vous doivent de la reconnaiffance, je vous en dois plus que perfonne, après l'honneur que vous m'avez fait de traduire en fi beaux vers la Henriade & le Poëme de Fontenoy. Les deux héros vertueux que j'ai célébrés font devenus Aa

Tom. III. & du Théâtre le fecond.

les votres. Vous avez daigné m'embellir, pour rendre encor plus refpectables aux nations les noms de Henri IV. & de Louis XV. & pour étendre de plus en plus dans l'Europe le goût des arts.

Parmi les obligations que toutes les nations modernes ont aux Italiens, & furtout aux premiers Pontifes & à leurs Miniftres, il faut compter la culture des belles - lettres, par qui furent adoucies peu peu les mœurs féroces & groffières de nos peuples feptentrionaux, & auxquelles nous devons aujourd'hui notre politeffe, nos délices & notre gloire.

à

C'eft fous le grand Léon X. que le théâtre Grec renâquit, ainfi que l'éloquence. La Sophonisbe du célèbre Prélat Triffino, nonce du Pape, eft la première tragédie régulière que l'Europe ait vûe après tant de fiécles de barbarie, comme la Calandra du Cardinal Bibiena avait été auparavant la première comédie dans l'Italie moderne.

Vous fûtes les premiers qui élevâtes de grands théâtres, & qui donnâtes au monde quelque idée de cette fplendeur de l'ancienne Grèce, qui attirait les nations étrangères à ses folemnités, & qui fut le modèle des peuples en tous les genres.

Si votre nation n'a pas toûjours égalé les anciens dans le tragique, ce n'eft pas que votre langue harmonieuse, féconde & flexible, ne foit propre à tous les fujets ; mais il y a grande apparence que les progrès que vous avez faits dans la mufique, ont nui enfin à ceux de la véritable tragédie. C'est un talent qui a fait tort à un autre.

Permettez que j'entre avec votre Eminence dans une difcuffion littéraire. Quelques perfonnes, accoutumées au style des épitres dédicatoires, s'étonneronr que je me borne ici à comparer les ufages des Grecs avec les modernes, au lieu de comparer les grands hommes de l'antiquité avec ceux de votre maifon; mais je parle à un favant, à un fage, à celui dont les lumières doivent m'éclairer, & dont j'ai l'honneur d'être le confrère dans la plus ancienne académie de l'Europe, dont les membres s'occupent fouvent de femblables recherches; je parle enfin à celui qui aime mieux me donner des inftructions que de recevoir des éloges.

PREMIERE

PARTI E.

Des tragédies Grecques imitées par quelques opéra Italiens & Français.

UN

N célèbre auteur de votre nation dit, que depuis les beaux jours d'Athènes, la tragédie errante & abandonnée, cherche de contrée en contrée quelqu'un qui lui donne la main, & qui lui rende ses premiers honneurs, mais qu'elle n'a pû le trouver.

S'il entend qu'aucune nation n'a de théâtres où des chœurs occupent prefque toûjours la fcène, & chantent des ftrophes, des épodes & des antiftrophes accompagnées d'une danfe grave; qu'aucune nation ne fait paraitre fes acteurs fur des espèces d'échaffes, le vifage couvert d'un masque qui exprime la douleur d'un côté & la joie de l'autre ; que la déclamation de nos tragédies n'eft point notée & foutenue par des flûtes; il a fans doute raifon : & je ne fais fi c'est à notre defavantage. J'ignore fi la forme de nos tragédies, plus rapprochée de la nature, ne vaut pas celle des Grecs, qui avait un appareil plus impofant.

Si cet auteur veut dire qu'en général ce grand art n'est pas auffi confidéré, depuis la renaiffance des lettres, qu'il l'était autrefois; qu'il y a en Europe des nations qui ont quelquefois ufé d'ingratitude envers les fucceffeurs des Sophocles & des Euripides; que nos théâtres ne font point de ces édifices fuperbes dans lesquels les Athéniens mettaient leur gloire; que nous ne prenons pas les mêmes foins qu'eux de ces fpectacles devenus fi néceffaires dans nos villes immenfes : on doit être entiérement de fon opinion. Et fapit, & mecum facit, & Jove judicat aquo.

Où trouver un fpectacle qui nous donne une image de la fcène Grecque ? c'eft peut-être dans vos tragédies nommées opéra, que cette image fubfifte. Quoi, me dira - t-on, un

opéra Italien aurait quelque reffemblance avec le théâtre d'Athènes? Oui. Le récitatif Italien eft précisément la mélopée des anciens; c'eft cette déclamation notée & foutenue par des inftrumens de mufique. Cette mélopée, qui n'eft ennuyeufe que dans vos mauvaises tragédies opéra, eft admirable dans vos bonnes piéces. Les choeurs, que vous y avez ajoûtés depuis quelques années, & qui font liés effentiellement au fujet, approchent d'autant plus des choeurs des anciens, qu'ils font exprimés avec une mufique différente du récitatif, comme la ftrophe, l'épode & l'antiftrophe étaient chantées chez les Grecs tout autrement que la mélopée des fcènes. Ajoûtez à ces reffemblances, que dans plufieurs tragédies opera du célèbre abbé Metaftafio, l'unité de lieu, d'action & de tems font obfervées ajoûtez que ces piéces font pleines de cette poëfie d'expreffion, & de cette élégance continue, qui embelliffent le naturel fans jamais le charger, talent que depuis les Grecs le feul Racine a poffédé parmi nous, & le feul Addiffon chez les Anglais.

:

Je fais que ces tragédies fi impofantes par les charmes de la mufique, & par la magnificence du fpectacle, ont un défaut que les Grecs ont toujours évité; je fais que ce défaut a fait des monftres des piéces les plus belles, & d'ailleurs les plus régulières : Il confifte à mettre dans toutes les fcènes de ces petits airs coupés, de ces ariettes détachées, qui interrompent l'action, & qui font valoir les fredons d'une voix efféminée, mais brillante, aux dépens de l'intérêt & du bon fens. Le grand auteur que j'ai déja cité, & qui a tiré beaucoup de fes piéces de notre théâtre tragique, a remédié, à force de génie, à ce défaut qui eft devenu une néceffité. Les paroles de fes airs détachés font fouvent des embelliffemens du fujet même; elles font paffionnées; elles font quelquefois comparables aux plus beaux morceaux des odes d'Horace; j'en apporterai pour preuve cette ftrophe touchante que chante Arbace accufé & innocent.

Vo folcando un mar crudele
Senza vele

E Senza farte.

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J'y ajouterai encor cette autre ariette fublime que débite le Roi des Parthes vaincu par Adrien, quand il veut faire fervir fa défaite même à fa vengeance.

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Il y en a beaucoup de cette efpèce; mais que font des beautés hors de place? & qu'aurait-on dit dans Athènes, fi @dipe & Oreste avaient, au moment de la reconnaiffance, chanté des petits airs fredonnés, & débité des comparaisons à Jocafte & à Electre ? Il faut donc avouer que l'opéra, en féduifant les Italiens par les agrémens de la mufique, a détruit d'un côté la véritable tragédie Grecque qu'il faifait renaître de l'autre.

Notre opéra Français nous devait faire encor plus de tort; notre mélopée rentre bien moins que la vôtre dans la déclamation naturelle; elle eft plus languiffante; elle ne permet jamais que les fcènes ayent leur jufte étendue; elle exige des dialogues courts en petites maximes coupées, dont chacune produit une efpèce de chanson.

Que ceux qui font au fait de la vraie tres nations, & qui ne bornent pas leur

littérature des aufcience aux airs de

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