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où elle puisse aborder qui ne soit également dangereux. On peut juger par là combien grande était ma peine, et j'en ai eu plusieurs autres semblables, comme je le dirai dans la suite, parce qu'encore qu'il ne paraisse pas importer beaucoup, il servira peut-être à faire connaître comment on peut éprouver si c'est par l'esprit de Dieu que l'on agit. Cette peine est assurément fort grande, et il faut user de prudence avec les personnes qui la souffrent, principalement si ce sont des femmes, à cause de leur faiblesse, et qu'on pourrait extrêmement leur nuire en leur disant clairement que ces consolations et ces douceurs qu'elles ressentent dans l'oraison sont des illusions du démon. Il faut donc marcher en cela avec grande retenue, leur faire éviter toutes les occasions qui pourraient les porter à offenser Dieu, leur recommander extrêmement le secret, et le leur garder à elles-mêmes. J'en parle, parce que je sais combien je me suis mal trouvée de ce que l'on ne me la pas gardé, lorsque ceux à qui je rendais compte de mon oraison s'en entretenaient avec d'autres, pensant bien faire, et publiaient ainsi des choses qui auraient dû demeurer secrètes. Je veux croire que leur intention était bonne, et que Dieu l'a ainsi permis pour me faire souffrir. Je n'entends pas parler en ceci de ce que je leur disais en confession, mais je dis seulement que, comme je leur rendais compte de mes peines, afin de tirer d'eux quelque lumière, et n'osais rien cacher à des personnes pour qui j'avais tant de confiance et tant de respect, il me semble qu'ils auraient dû me conserver le secret. J'estime donc que l'on doit agir avec grande discrétion dans la conduite des femmes en les encourageant et en attendant le temps que Notre-Seigneur les assiste, ainsi qu'il m'a assistée. Car étant dans la crainte où j'étais, et travaillée outre cela de grands maux de cœur, ce manque de secret m'aurait pu être préjudiciable, et je ne saurais assez m'étonner qu'il ne l'ait pas beaucoup été.

Après avoir mis ce livre entre les mains de ce gentilhomme, je lui fis une révélation si exacte de ma vie et de mes péchés, qu'encore que je ne pusse me confesser à lui parce qu'il était séculier, je ne laissai pas de lui donner une connaissance très-particulière de ma misère. Il conféra ensuite avec ce bon ecclésiastique; tous deux examinèrent avec une très-grande charité ce qui me regardait, et pendant quelques jours que cela dura, je faisais de mon côté beaucoup de prières, j'employais beaucoup de personnes pour me recommander à Dieu, et je souffrais beaucoup en attendant la réponse que l'on me rendrait. Enfin elle fut qu'ils croyaient que ce qui se passait en moi venait du démon, et qu'ils me conseillaient de faire prier quelqu'un des pères de la compagnie de Jésus, qui avaient une très-grande expérience dans les choses spirituelles, de venir me voir; de lui rendre compte dans une confession générale de toute ma vie et de mes inclinations avec le plus de clarté que je pourrais, afin d'augmenter encore sa lumière par celle que donne ce sacrement, et d'exécuter ponctuellement ce qu'il m'ordonnerait,

parce que, dans le péril où j'étais, j'avais besoin d'un bon guide pour me conduire. Cette réponse me donna une telle crainte et me mit dans une si grande peine, que tout ce que je pouvais faire, c'était de répandre des larmes. Lorsque j'étais dans un tel accablement de douleur et que je ne savais que devenir, je trouvai dans un livre, que j'ai sujet de croire que Dieu me fit tomber entre les mains, ces paroles de saint Paul Que Dieu est fidèle, et ne permet jamais que ceux qui l'aiment soient trompés par le démon. Cela me consola beaucoup, et je travaillai ensuite à écrire ma confession avec toute l'exactitude et la clarté qu'il me fut possible, sans rien oublier, autant que je puis m'en souvenir, de tout le mal et de tout le bien que j'avais fait. Après avoir achevé, ce me fut une très-grande affliction de trouver d'un côté tant de péchés, et de l'autre presque rien de bon; et ce ne m'était pas d'ailleurs une petite peine, que l'on vît dans notre maison que je traitasse avec des personnes aussi saintes que sont ceux de cette compagnie, parce que la connaissance que j'avais de ma faiblesse me donnait de la défiance de moimême, et que je jugeais assez que cette action que je faisais m'obligeait à me corriger de mes défauts et à renoncer à mes divertissements; puisqu'autrement, au lieu de tirer de l'avantage de la conduite où je m'engageais, j'en deviendrais encore pire. Ainsi je priai la sacristine et la portière de n'en parler à personne; mais cette précaution fut inutile, parce que, lorsque l'on vint m'appeler, il se rencontra à la porte une religieuse qui le publia dans tout le couvent, ce qui fait voir que le diable ne manque jamais de traverser, autant qu'il peut, les bons desseins de ceux qui veulent s'approcher de Dicu.

Après que j'eus donné connaissance de toute ma vie et du fond de mon âme à ce bon religieux, qui était fort sage et fort éclairé, il me rassura dans mes craintes en me disant qu'il voyait manifestement que ce qui se passait en moi venait de l'esprit de Dieu, mais qu'il fallait corriger les défauts qui se rencontraient dans mon oraison, parce que je ne l'avais pas établie sur un bon fondement, n'ayant pas commencé par pratiquer la mortification, en quoi il disait si vrai, qu'à peine j'en connaissais le nom. Il ajouta que je devais bien me garder de ne jamais abandonner l'oraison, mais au contraire m'efforcer de m'y appliquer de plus en plus, puisque Dieu m'y favorisait de tant de grâces, et qu'il voulait peut-être, par mon moyen, en faire aussi à beaucoup d'autres. La suite a fait voir qu'il semblait être animé d'un esprit de prophétie, et que le Saint-Esprit parlât par sa bouche pour mon salut, de même que dans ce qu'il me dit, que je ne pourrais, sans me rendre très-coupable, manquer de répondre aux grâces que je recevais de Dieu. Plus ces paroles me faisaient d'impression, plus je me trouvais confondue d'avoir été jusqu'alors si imparfaite, et la manière dont il me conduisit me fut si avantageuse, que je paraissais entièrement changée, ce qui montre combien est importante la connaissance de ce qui se passe dans les âmes. Il me dit ensuite de prendre chague jour pour sujet de mon

oraison un mystère de la passion, de tâcher d'en profiter, de ne penser qu'à l'humanité de Jésus-Christ, et de résister autant que je le pourrais à ces goûts et à ces douceurs qui me donnaient tant de plaisir dans l'oraison, jusqu'à ce qu'il m'ordonnât de faire autre chose. Ainsi, il me laissa consolée et fortifiée, et Notre-Seigneur l'assista et moi aussi, pour lui faire connaître l'état de mon âme, et de quelle manière il devait me conduire. Je résolus de pratiquer exactement ce qu'il m'ordonnait, et je l'ai exécuté jusqu'ici. Je ne saurais trop remercier Dieu de la grâce qu'il m'a faite d'obéir, quoique imparfaitement, à mes confesseurs, ses bons serviteurs, qui ont presque toujours été de la compagnie de Jésus, et l'on verra dans le chapitre suivant le profit que je commençai à tirer de cette conduite.

CHAPITRE XXIV.

La Sainte ayant, par le conseil de son confesseur, demandé à Dieu, dans l'oraison, de l'assister pour le contenter en tout, elle tombe en extase. Dieu lui parle pour la première fois, et lui change en un moment tellement le cœur qu'elle se détache de toutes les affections qui, bien qu'elles lui parussent innocentes, lui étaient fort préjudiciables.

Après cette confession générale, je me trouvai si soumise à tout ce que l'on pouvait désirer de moi, que rien ne me paraissait difficile, et je commençai à changer en beaucoup de choses, quoique mon confesseur ne m'en pressât pas, et ne témoignât pas d'en tenir grand compte. Je m'y trouvais d'autant plus portée, que l'amour de Dieu était la voie par laquelle il me conduisait, et que, sans user de contrainte, il me faisait connaître que je ne devais point espérer de récompense, si je n'agissais en cela avec liberté, et si je ne m'en rendais digne par mon amour pour sa divine majesté. Je fis ainsi, durant plus de deux mois, tout ce que je pus pour ne point goûter la douceur des faveurs que Dieu me faisait, et comme il commençait à me donner le courage de surmonter les difficultés que les personnes qui me connaissaient, et particulièrement les religieuses de notre monastère, me croyaient, avec raison, incapable de vaincre, elles remarquaient en moi un grand changement, quoique l'habit que je portais, et la profession que j'avais embrassée m'obligeassent à faire encore davantage. Cette manière d'agir, opposée à l'amour-propre, m'obtint de Dieu une connaissance que je n'avais pas encore eue. Car, au lieu qu'auparavant il me semblait que pour recevoir de lui des faveurs dans l'oraison, il fallait que je mo retirasse en quelque lieu à l'écart, et que je n'osais presque me remuer, je vis que cela m'était fort inutile, puisque, lorsque je faisais de plus grands efforts pour résister à ces douceurs, Notre-Seigneur m'en donnait en telle abondance, et me faisait si clairement voir sa gloire, que je m'en trouvais comme tout environnée, sans que je pusse, par toute ma résistance, m'empêcher de l'être. Plus je me travaillais pour cela, et plus, durant ces deux mois, il redoublait vers moi ses faveurs, et me donnait une plus claire connaissance qu'il n'avait encore fait de

ses divines perfections, afin de m'apprendre qu'il n'était pas en mon pouvoir de lui résister.

Je recommençai à m'affectionner à la sacrée humanité de Notre-Seigneur, à établir mon oraison sur un fondement solide, et à pratiquer davantage la pénitence dont je m'étais relâchée à cause de mes grandes infirmités. Ce saint homme qui me confessait me dit qu'il y avait certaines austérités qui ne pouvaient pas nuire à ma santé, et que Dieu ne m'envoyait peut-être tant de maladies que parce que, voyant que je ne faisais point de pénitence, il voulait lui-même m'en imposer. Il m'ordonna ensuite de certaines mortifications que mon naturel ne me rendait pas fort agréables, mais je les pratiquais toutes, parce qu'il me semblait que Dieu me l'ordonnait par sa bouche, et qu'il lui faisait la grâce de me conduire d'une telle manière que je me trouvais disposée à lui obéir. Quelque petites que fussent les offenses que fe commettais alors envers Dieu, je les ressentais beaucoup, et pour peu que j'eusse quelque chose de superflu, je ne pouvais plus me recueillir. Je priais ardemment Dieu de m'assister et de ne pas permettre que, traitant avec ses serviteurs, je tournasse la tête en arrière, ce qui me paraissait un grand péché, parce qu'il serait cause que l'on aurait moins d'estime pour eux.

En ce même temps, le père François, qui, étant duc de Candie, avait tout abandonné pour entrer dans la compagnie de Jésus, arriva, et mon confesseur et ce gentilhomme dont j'ai parlé l'engagèrent à venir me voir. Il était fort éclairé, et Dicu, comme pour le récompenser dès cette vie de ce qu'il avait tout quitté pour le servir, lui faisait des grâ– ces toutes particulières. Je lui rendis compte de mon oraison, et après qu'il eut appris de ma bouche l'état de mon âme, il me dit que ce qui se passait en moi venait de l'esprit de Dieu; qu'il ne trouvait rien à redire à ce que j'avais fait jusqu'alors, mais qu'il ne croyait pas que je dusse résister davantage; qu'il fallait toujours commencer mon oraison par me représenter un mystère de la passion, et que, si Notre-Scigneur élevait mon esprit à quelque chose de plus sublime, sans que j'y contribuasse en rien, je ne résistasse pas davantage, et m'abandonnasse à sa conduite. Un conseil si salutaire fit voir quelle était sa capacité et son expérience en semblables choses, et je demeurai fort consolée. Ce bon gentilhomme ne le fut pas moins des sentiments de ce grand serviteur de Dieu, qui continuait toujours de m'assister et de me donner des avis salutaires.

Incontinent après, on envoya ce bon religieux en un autre lieu, et cet éloignement me fut très-sensible, parce que, ne croyant pas pouvoir trouver un autre directeur semblable à lui, je craignais de retomber dans le même état où j'étais auparavant que de l'avoir connu. Mon âme se trouvait comme seule dans un désert, sans consolation, au milieu de tant d'appréhensions et de craintes, que je ne savais à quoi me résoudre. Une de mes parentes obtint de mes supérieures la permission de

me mener chez elle, et je n'y fus pas plus tôt que je tâchai d'avoir un confesseur de cette compagnie. Notre-Seigneur permit que je me liasse d'amitié avec une dame, veuve, de grande qualité et fort. exercée dans l'oraison, qui communiquait beaucoup avec ces pères. Leur maison était proche de la sienne; j'eus beaucoup de joie de la facilité que cette rencontre me donnait de traiter avec eux, ce que j'entendais dire de la sainteté de leur conduite me touchant de telle sorte, que je m'apercevais sensiblement que j'en profitais.

Cette dame me donna pour confesseur son directeur, et il commença à me conduire d'une manière plus parfaite. Il me dit qu'il n'y avait rien que je ne dusse faire pour contenter Dieu entièrement; mais il me le disait avec beaucoup de douceur, parce qu'il voyait que j'étais encore faible et d'un naturel très-tendre, particulièrement en ce qui regardait quelques amitiés dans lesquelles, bien que je n'offensasse pas Dieu, mon affection était excessive. Il me semblait que je ne pouvais les quitter sans ingratitude, et je disais à ce bon père que', puisque je ne péchais point en cela, je ne voyais pas pourquoi j'aurais dû les abandonner. Il m'ordonna de recommander la chose à Dieu durant quelques jours, et de dire pour ce sujet l'hymne Veni Creator, afin qu'il me donnât la lumière qui m'était nécessaire pour connaître ce que je devais faire.

Après avoir ensuite demeuré longtemps en oraison, et demandé à Dieu de m'assister pour le contenter en tout, je commençai cette hymne, et je me trouvai aussitôt dans un ravissement qui me tira presque hors de moi-même, sans que j'en pusse douter, tant la chose était manifeste. Ce fut la première fois que Dieu me fit une si grande faveur, et j'entendis ces paroles: Je ne veux plus que vous conversiez avec les hommes, mais seulement avec les anges. Ces paroles me furent dites dans le plus profond de mon âme, et une chose si extraordinaire, et qui m'était si nouvelle, me remplit d'un étrange étonnement et d'une merveilleuse crainte. Mais, cette crainte étant passée, j'en ressentis une fort grande consolation.

Ces divines paroles produisirent un tel effet, que je n'ai jamais depuis su faire amitié ni liaison particulière, ni trouver de la consolation qu'avec ceux que je connaissais aimer Dieu et s'efforcer de le servir; et quoiqu'ils fussent auparavant mes amis ou mes parents, je puis dire avec vérité qu'à moins que ce ne soit des personnes d'oraison, ce m'est une croix fort pénible que de converser avec eux. Notre-Seigneur me changea tellement le cœur dans ce moment (car cela ne dura pas davantage, ce me semble), et je me sentis si encouragée de renoncer à tout pour l'amour de lui, qu'il n'a plus été besoin de m'en renouveler le commandement, au lieu qu'auparavant mon confesseur me voyant si attachée à ces amitiés qui, bien qu'elles me parussent innocentes, m'étaient très-préjudiciables, il n'osait, par prudence, m'ordonner absolument de les quitter, mais il attendait que Dieu operât en moi, comme il

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