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avoir connu, je me sois éloignée de vous dans la créance de prendre un meilleur chemin, c'est ce que je ne puis maintenant comprendre. N'était-ce pas, au contraire, m'égarer entièrement; et cet égarement n'aurait-il pas toujours duré, si vous ne m'eussiez remise par votre bonté dans la bonne voie, et donné sujet de ne rien craindre en me trouvant si proche de vous, parce qu'on ne peut rien appréhender en la compagnie d'un protecteur tout-puissant, et qui est la source de tous les biens?

Il ne m'est point depuis arrivé de peines que je n'aie souffertes avec joie, me voyant en la compagnie d'un ami si généreux, qu'il ne manque jamais de nous assister, et d'un capitaine si vaillant, qu'il s'expose le premier au péril pour nous en garantir et pour nous sauver. J'ai connu clairement que, pour plaire à Dieu et obtenir de lui de grandes faveurs, il veut que nous les lui demandions et les recevions par Jésus-Christ, son fils, Dieu et homme, en qui il a dit qu'il prenait son bon plaisir. Je l'ai éprouvé diverses fois; Notre-Seigneur me l'a dit lui-même; et je vois clairement que c'est le chemin que nous devons tenir, et la porte par laquelle nous devons entrer, si nous désirons que sa suprême majesté nous révèle de grands secrets.

Aussi, mon père, quoique vous soyez arrivé au comble de la contemplation, ne prenez point, s'il vous plaît, un autre chemin; on ne s'égare jamais en le suivant. C'est par ce divin Sauveur que nous devons pratiquer toutes les vertus ; il nous en apprend les moyens, il nous en donne l'exemple dans sa vie, il en est le parfait modèle; et que pou vons-nous désirer davantage que d'avoir toujours à nos côtés un tel ami, qui ne nous abandonne jamais dans les travaux et dans les souffrances, comme font les amis de ce monde? Heureux donc celui qui l'aime véritablement et se tient toujours auprès de lui! ne voyons-nous pas que le glorieux saint Paul avait continuellement son nom dans la bouche, parce qu'il l'avait profondément gravé dans le cœur ? et depuis que j'ai connu cette vérité, et considéré avec soin la vie de quelques saints grands contemplatifs, j'ai remarqué qu'ils n'ont point tenu d'autre chemin. On le voit dans saint François, par l'amour qu'il avait pour les plaies de ce divin Sauveur; dans saint Antoine de Padoue, par son affection pour sa sacrée et divine enfance; dans saint Bernard, par le plaisir qu'il prenait à considérer sa très-sainte humanité; dans sainte Catherine de Sienne, par la dévotion qu'elle y avait, et dans plusieurs saints dont vous êtes, mon père, beaucoup mieux instruit que moi.

Je ne doute point qu'il ne soit bon de détacher sa pensée des choses corporelles, puisque tant de personnes spirituelles le disent; mais ce ne doit être que lorsque l'on est fort avancé dans l'exercice de l'oraison; car il est évident que jusque-là il faut chercher le Créateur par les créatures, selon la grâce que Notre-Seigneur fait à chacun, dont je n'entreprends point de parler. Ce que je prétends seulement dire, et que je voudrais pouvoir bien expliquer, parce que l'on ne saurait trop le

remarquer, c'est que l'on ne doit mettre en ce rang la très-sacrée humanité de Jésus-Christ.

Lorsque Dieu suspend toutes les puissances de l'âme, de la sorte que nous avons vu dans les diverses manières d'oraison dont j'ai traité, il est évident que, quand même nous ne le voudrions pas, nous perdons alors cette présence de l'humanité de Jésus-Christ; mais nous aurions tort de nous plaindre d'une si heureuse perte, puisque nous acquérons par elle un bonheur encore plus grand que celui qu'il nous paraît avoir perdu. Car l'âme s'occupe alors tout entière à aimer celui que son entendement avait travaillé à lui faire connaître ; elle aime ce qu'elle necomprenait point auparavant, et possède un bien dont elle ne pouvait jouir qu'en se perdant elle-même, comme je l'ai dit, pour gagner beaucoup plus qu'elle ne perd. Mais que nous employions tous nos efforts pour éloigner de notre vue cette très-sainte humanité de JésusChrist, c'est ce que je répète encore ne pouvoir du tout approuver, parce qu'il me semble que c'est marcher en l'air, comme l'on dit d'ordinaire, et sans appui, quoique l'on s'imagine être plein de Dieu.

Puisque nous sommes hommes, il nous importe extrêmement, durant que nous sommes en cette vie, de nous représenter Jésus-Christ comme homme aussi bien que comme Dieu, qui est l'autre point dont j'ai à parler. Quant au premier, j'avais déjà commencé à dire que l'âme ne peut, sans quelque petit défaut d'humilité vouloir s'élever plus haut que Notre-Seigneur ne l'élève, en ne se contentant pas de prendre pour sujet de sa méditation une chose aussi précieuse qu'est l'humanité de JésusChrist, et prétendre de ressembler à Magdeleine, avant que d'avoir travaillé avec Marthe. Que s'il veut, dès le premier jour, lui accorder cette grâce, il n'y a point alors sujet de craindre; mais quant à nous, humilions-nous, comme je crois l'avoir déjà dit; car, encore que ce petit défaut d'humilité paraisse n'être presque rien, il peut nous être un grand obstacle pour nous avancer dans la contemplation.

Il faut revenir maintenant à mon second point. Comme nous ne sommes pas des anges, mais des hommes revêtus d'un corps mortel, nous ne pourrions pas, sans folie, vouloir passer pour des anges, tandis que nous sommes encore sur la terre, et aussi enfoncés que je l'étais dans les misères de cette vie. Ainsi, bien que quelquefois notre âme soit pleine de l'esprit de Dieu, que, s'élevant au-dessus d'elle-même, elle n'a pas besoin pour se recueillir de considérer aucune des choses créées, elle en a d'ordinaire besoin pour arrêter ses pensées, et particulièrement dans les peines, les travaux, les persécutions et les sécheresses qui troublent sa tranquillité et son repos. Car, nous représentant alors que Jésus-Christ a souffert en qualité d'homme les mêmes peines, nous éprouvons combien son assistance nous est nécessaire; et il nous sera facile de nous trouver ainsi proches de lui, si nous nous y accoutumons. Il arrivera néanmoins peut-être que l'on ne pourra faire ni l'un ni l'autre de ce que je viens de dire; et alors on éprouvera quel est l'avantage de

ne point rechercher des consolations spirituelles, et qu'au contraire il y en a un très-grand d'être toujours résolu, quoi qu'il arrive, d'embrasser de bon cœur la croix. Notre divin Sauveur ne s'est-il pas vu privé de toute consolation? et si ses disciples l'ont abandonné dans ses travaux, devons-nous les imiter? Il s'éloigne et s'approche de nous, et élève notre âme au-dessus delle-même, selon qu'il juge nous être le plus utile. Tous nos efforts sont vains sans son assistance, et nous n'avons qu'à le laisser faire.

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Il se plaît à voir une âme prendre avec tant d'humilité son Fils pour médiateur auprès de lui, que, lorsqu'il veut l'élever à un haut degré de contemplation, elle s'en reconnaisse si indigne, qu'elle lui dise avec saint Pierre Retirez-vous de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur. Je l'ai éprouvé, et ce fut la conduite que Dieu a tenue envers moi. D'autres prendront un autre chemin; tout ce que je puis comprendre de celui-ci, est que cet édifice de l'oraison étant fondé sur l'humilité, plus l'âme s'abaisse, plus Dieu l'élève. Je ne me souviens point qu'il m'ait jamais fait aucune de ces grâces signalées, dont je parlerai dans la suite, que quand j'étais dans une telle confusion de me voir si imparfaite et si misérable, que je ne savais que devenir; et c'était alors que, pour m'aider à me connaître moi-même, il me faisait entendre des choses que je n'eusse jamais pu m'imaginer.

Je suis persuadée que si dans cette oraison d'union l'âme veut s'efforcer d'y contribuer, quoiqu'il lui paraisse sur l'heure que cela lui sert, elle tombera bientôt, et apprendra par sa chute qu'elle avait bâti sur un mauvais fondement. J'appréhende même beaucoup pour elle qu'elle n'arrive jamais à la véritable pauvreté d'esprit, qui consiste à ne chercher aucune consolation non-seulement dans les choses de la terre, auxquelles elle doit déjà avoir renoncé, mais dans l'oraison; à ne mettre sa satisfaction qu'à souffrir pour celui qui a passé pour l'amour de nous toute sa vie dans la souffrance, et à demeurer tranquille dans ses travaux et ses sécheresses, sans s'en inquiéter, quoiqu'elle les sente, ni s'en tourmenter, ainsi que font certaines personnes qui s'imaginent que tout est perdu si leur entendement n'agit sans cesse, et si elles n'ont une dévotion sensible, comme si elles pouvaient, par leur travail, mériter un si grand bien. Je ne prétends pas néanmoins que l'on manque de faire tout ce que l'on peut pour se tenir en la présence de Dieu; je dis seulement que, quand même on n'aurait pas une seule bonne pensée, il ne faut pas pour cela se désespérer; car étant, comme nous sommes, des serviteurs inutiles, ne serait-ce pas nous flatter que de nous croire propres à quelque chose? Dieu veut, pour nous faire connaître notre impuissance, nous rendre semblables à de petits ânons, qui, encore qu'ils aient les yeux bandés, et ne sachant ce qu'ils font, lorsqu'ils tournent la roue de la machine avec laquelle on tire de l'eau, en fournissent plus que le jardinier avec toute sa peine et tout son travail.

On doit marcher sans contrainte dans ce chemin, en s'abandonnant entre les mains de Dieu. S'il veut nous élever aux principales charges de sa maison, et nous honorer de sa confiance, recevons de si grandes faveurs avec joie; sinon, servons-le avec plaisir dans les emplois les plus bas et les plus vils, sans être si hardis que de nous asseoir aux premières places, ainsi que je l'ai dit ailleurs. Il sait mieux que nous à quoi nous sommes propres ; et, après lui avoir donné notre volonté, devons-nous prétendre qu'il nous soit permis de nous conduire selon notre fantaisie? Cela nous serait moins pardonnable que dans le premier degré d'oraison, et nous nuirait bien davantage, parce que les biens dont il s'agit sont surnaturels. Un homme qui a mauvaise voix, peut-il, par les efforts qu'il fait pour chanter, la rendre bonne ? Et s'il l'a bonne naturellement, quel besoin a-t-il de se tourmenter? Nous pouvons bien prier Dieu de nous favoriser de ses grâces, mais avec soumission et confiance en sa bonté. Puisqu'il nous permet d'être aux pieds de Jésus-Christ, tâchons de n'en point partir; demeurons-y en quelque manière que ce soit, à l'imitation de la Magdeleine; et, quand notre âme sera plus forte, il la conduira dans le désert.

C'est, mon père, ce que je vous conseille de faire jusqu'à ce que vous ayez trouvé quelqu'un qui en soit plus instruit que moi et qui en ait plus d'expérience; mais, si ce sont des personnes qui ne fassent que de commencer à goûter les douceurs qui se rencontrent dans l'oraison, ne les croyez pas, parce qu'elles se persuadent qu'il leur est avantageux de contribuer quelque chose pour se les procurer. Oh ! que Dieu, quand il lui plaît, fait, sans ces petits secours, voir manifestement sa puissance! quoi que nous puissions faire, et quelque résistance que nous y apportions, il enlève notre âme comme un géant enlèverait une paille. Que s'il voulait qu'un crapaud volât, peut-on croire qu'il attendrait que cet animal prît par lui-même l'essor pour s'élever vers le ciel? et n'est-il pas encore plus difficile à notre esprit de réussir sans l'assistance de Dieu dans une chose si surnaturelle, étant comme il est tout chargé de terre et arrêté par mille et mille autres obstacles? car, bien qu'il soit par sa nature plus capable de voler que le crapaud, le péché l'a tellement enfoncé dans la fange, qu'il lui a fait perdre cet avantage.

Je finirai ceci en disant que toutes les fois que nous pensons à JésusChrist, nous devons nous représenter quel est l'amour qui l'a porté à nous faire tant de grâces, et combien grand est celui que son Père éternel nous a témoigné, en nous donnant un tel gage qu'est celui de nous avoir donné son propre Fils; car l'amour attire l'amour. Ainsi, quoique nous ne fassions que de commencer, et soyons de grands pécheurs, nous devons nous efforcer d'avoir toujours devant les yeux ce que je viens de dire, afin de nous exciter à aimer Dieu, puisque, s'il nous fait une fois la grâce de nous imprimer cela dans le cœur, nous nous verrons bientôt en état de ne rien trouver de difficile pour son service.

Je le prie de vouloir, par l'amour qu'il a pour nous, et par celui que son glorieux Fils nous a témoigné aux dépens de sa propre vie, nous remplir de cette sainte ardeur qu'il sait nous être si nécessaire.

Je voudrais bien, mon père, vous demander d'où vient qu'après que Dieu a fait une si grande faveur à une âme, que de la mettre dans une parfaite contemplation, il ne lui donne pas aussitôt toutes les vertus, comme apparemment elle aurait sujet de l'espérer, puisqu'il semble qu'une grâce si extraordinaire qu'est celle des ravissements doit la détacher de tous les sentiments de la terre, et peut la sanctifier en un moment? J'avoue que j'en ignore la raison; mais je sais bien qu'il y a de la différence entre la force que donnent au commencement ces ravissements, lorsqu'ils ne durent qu'un clin d'œil et ne se sentent que par les effets, et entre la force que l'âme en reçoit lorsqu'ils durent beaucoup plus. J'ai souvent pensé que cette différence peut procéder de ce que l'âme ne s'abandonne entièrement à Dieu qu'à mesure qu'il l'y pousse, ainsi qu'il opéra si promptement cet effet dans la Magdeleine; qu'il agit dans les personnes conformément à la manière dont elles le laissent disposer d'elles, et que nous devons croire que, même dès cette vie, il nous récompense au centuple de ce que nous faisons par le désir de lui plaire.

Cette comparaison m'est ainsi venue dans l'esprit : que ces grâces si extraordinaires sont comme une excellente viande que Dieu donne à ceux qui s'avancent le plus dans son service; que celles qui n'en mangent qu'un peu ne conservent que durant un peu de temps le goût d'un mets si agréable; que ceux qui en mangent davantage s'en nourrissent, que ceux qui en mangent beaucoup en tirent de la vigueur et de la force; et que l'on peut tant manger de cette divine viande qui donne la vie, qu'elle fait, par l'avantage que l'on en reçoit, mépriser toutes les autres; le plaisir que l'on y trouve étant si grand, que l'on ne voudrait pour rien au monde perdre, par le mélange d'une autre nourriture, le goût d'une viande si délicieuse à l'âme. Ne voit-on pas que l'on ne profite pas tant en un jour qu'en plusieurs dans la compagnie d'un saint; mais qu'en y demeurant longtemps, on peut, avec l'assistance de Dieu, se rendre semblable à lui? Enfin tout dépend de ce souverain maître de nos cœurs; il favorise de ses grâces qui il lui plaît et quand il lui plaît; mais il importe extrêmement à ceux qui commencent à en recevoir, d'en faire l'estime qu'elles méritent, et de prendre une ferme résolution de se détacher entièrement de toutes choses.

Il me paraît aussi que Dieu, pour augmenter l'amour de ceux qui l'aiment, en se faisant voir à eux dans sa majesté et dans sa gloire, et ranimer leur espérance des faveurs qu'il leur veut faire, laquelle était comme morte, les fait jouir de cet inconcevable plaisir, et semble leur dire : Ouvrez les yeux et regardez ; ce que vous voyez n'est qu'une goutte de cet océan des biens infinis dont je suis la source. Ce qui

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