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d'elle-même, ou que si elle peut quelque chose, c'est si peu, qu'à peine peut-elle croire d'avoir prêté son consentement à cette extrême faveur qu'elle a reçue; parce qu'il semble que Dieu le lui ait arraché comme par force, qu'il ait fermé malgré elle la porte à ses sens, afin de la faire jouir du bonheur de sa présence; elle ne voit rien, elle n'entend rien, à moins qu'on ne lui fasse une grande violence; il n'y a presque rien qui lui puisse plaire ; sa vie passée et les grandes miséricordes que Dieu lui a faites se représentent à elle dans un plein jour, et son entendement n'a pas besoin d'agir pour en discerner distinctement les plus petites circonstances, parce qu'il les envisage toutes d'un seul regard: ainsi l'âme voit que Dieu, au lieu de la châtier par les peines de l'enfer qu'elle avait si justement méritées, la rend participante de sa gloire; elle se répand alors dans les louanges de Dieu, et je voudrais, à l'heure que je parle, pouvoir m'anéantir pour ne subsister plus qu'en lui seul. « Soyez béni, mon « Sauveur, de ce que, me trouvant telle qu'une eau toute corrompue « et pleine de bourbe, vous daignez la purifier de telle sorte, qu'elle « ne soit pas indigne d'être servie à votre divine table. Et soyez aussi « béni à jamais de ce que, faisant, comme vous faites, toute la félicité « des anges, vous voulez bien élever à un état si heureux un vermis« seau tel que je suis. »>

L'âme voit donc clairement qu'elle n'a contribué en rien à produire ce fruit si délicieux; elle s'en nourrit, et, après avoir fait connaître par diverses marques qu'elle conserve au dedans de soi ce trésor du ciel, elle commence d'en faire part aux autres, pour les enrichir comme elle en est enrichie, et demande à Dieu qu'elle ne soit pas seule à le posséder. Elle profite ensuite beaucoup à son prochain, sans presque s'en apercevoir, ni rien faire en cela d'elle-même, et les autres le connaissent mieux qu'elle, parce que ses bonnes œuvres sont comme autant de fleurs, dont l'excellente odeur, qui va toujours en augmentant, les attire; ils admirent ses vertus, et en estiment tant le fruit, qu'ils désireraient de pouvoir comme elle s'en nourrir. Quand l'âme, qui est comme la terre qui porte ses heureuses plantes et ses excellents fruits, est cultivée par les persécutions, par les maladies, et par tant d'autres souffrances, sans lesquelles il arrive rarement qu'elle parvienne à un état si heureux, et qu'elle est arrosée par le détachement de ses propres intérêts, cette eau céleste la pénètre de telle sorte, que l'on ne voit guère qu'elle se sèche. Mais si l'âme ne s'éloigne de toutes les occasions du péché, si elle manque de reconnaître les obligations qu'elle a à Dieu, et qu'ainsi cette terre se remplisse d'épines, comme j'en étais au commencement, elle redevint bientôt si aride, que pour peu que le jardinier néglige de travailler, et que Notre-Seigneur ne recommence, par un effet de son infinie bonté, à donner de la pluie, le jardin peut se compter pour perdu, ainsi que cela m'est quelquefois arrivé, et je ne pourrais jamais le croire. Je l'écris pour la consolation des âmes faibles comme la mienne, afin qu'elles ne perdent point courage, mais se con

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fient toujours à la miséricorde de Dieu, quoiqu'elles soient tombées par leur faute d'un état aussi sublime que celui où il lui avait plu de les élever; car il n'y a rien que l'on n'obtienne par les larmes qu'un saint repentir fait répandre, et une eau en attire une autre.

C'est par cette raison qu'étant telle que je suis, et ne faisant qu'offenser Dieu, au lieu de lui témoigner, par mes services, ma reconnaissance de tant de grâces, je me suis portée à obéir au commandement que j'ai reçu d'écrire ma vie. C'est aussi ce qui me ferait souhaiter de pouvoir parler d'une telle manière, que l'on fût obligé de me croire, et me fait demander à Dieu de me la donner. Je répète donc encore que ceux qui ont commencé de s'exercer à l'oraison ne doivent jamais perdre courage, sous prétexte que, s'ils retombaient dans le péché, ils ne pourraient la continuer sans devenir encore pires. Cela serait vrai, si d'un côté l'on discontinuait ce saint exercice, et que de l'autre on ne se corrigeât point de ses défauts; mais, pourvu que l'on persévère dans l'oraison, on doit être persuadé que l'on arrivera enfin au port.

Le piége que le démon me tendit, en me faisant croire qu'étant aussi mauvaise que je l'étais, je ne pouvais, sans témérité, continuer à faire oraison, fut cause que je la quittais durant dix-huit mois, ou au moins durant un an, car je ne me souviens pas bien du temps, et cela seul aurait suffi pour me précipiter dans l'enfer, sans que les démons s'en mêlassent. Quel aveuglement peut être plus grand! et que cet ennemi mortel des hommes sait bien ce qu'il fait lorsqu'il s'efforce de nous pousser ainsi dans le précipice! Il n'ignore pas, le traître qu'il est, qu'une âme qui continue dans l'oraison est perdue pour lui, et que les fautes dans lesquelles il la fait tomber, au lieu de lui nuire, lui servent, par l'assistance de Dieu, à s'avancer dans son service.

«< O Jésus-Christ, mon Sauveur, lorsqu'une âme, qui était si heu« reuse que de s'occuper à l'oraison, tombe dans quelque péché, et que, « par un effet de votre bonté, vous lui donnez la main pour la relever, quel mouvement n'excite point en elle la connaissance de sa misère et << de votre miséricorde! Elle se perd alors dans la vue de votre suprême « grandeur; elle n'ose lever les yeux vers le ciel, et ne les ouvre que << pour connaître ce qu'elle vous doit; elle implore le secours de la reine «< des anges, votre mère, pour apaiser votre colère; elle invoque les << saints qui vous ont offensé, après avoir été appelés par vous à votre « service, afin qu'ils l'assistent par leur intercession, et se reconnaît << indigne que la terre la soutienne; elle admire la libéralité qui vous a <«< porté à lui faire tant de grâces; elle a recours aux sacrements, et " comprend, avec une vive foi, la merveilleuse vertu que vous y avez «< renfermée; elle vous donne mille louanges d'avoir préparé de tels « remèdes pour ses plaies, que, quelque grandes qu'elles soient, ils sont «< capables de les guérir parfaitement; elle s'en étonne, elle admire; et qui pourrait, mon Sauveur, n'être point épouvanté de voir d'un côté « les bienfaits dont vous nous comblez, et de l'autre l'excès de notre

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«< ingratitude et de notre perfidie! Je ne sais comment mon cœur ne se «fend point de douleur de me trouver si méchante, qu'en écrivant ceci il me semble qu'avec ce peu de larmes qu'il vous plaît de me faire « répandre, celles qui viennent de moi, ne partant que d'une source « corrompue, je puisse réparer tant d'offenses que je commets sans cesse « contre vous, comme si j'avais dessein de rendre inutiles, par mes pé**chés, les grâces et les faveurs que vous m'avez faites. Quant à ces lar« mes qui viennent de moi, éclaircissez, Seigneur, une eau si trouble; << donnez-leur du prix et de la valeur par votre assistance, afin qu'au « moins elles ne soient pas un sujet de tentation à d'autres, pour oser «former des jugements téméraires, comme j'ai fait lorsque je disais en « moi-même : D'où vient, mon Dieu, qu'encore que je ne sois religieuse « que de nom, vous me faites des faveurs que vous n'accordez qu'à des « personnes si saintes, élevées dès leur enfance dans la religion, qui « vous ont toujours si fidèlement servi, et que l'on peut dire être de véritables religieuses? Je comprends bien maintenant, mon Sauveur, que « vous connaissez ma faiblesse, vous voyez que j'ai besoin de votre se« cours; et qu'au contraire ces personnes étant fermes et courageuses, « vous leur réservez les récompenses qu'elles méritent pour leur don«ner tout à la fois au sortir de cette vie, au lieu de ne les leur donner que peu à peu. Vous savez néanmoins, mon Dieu, que j'ai souvent ex« cusé en votre présence ceux qui murmuraient contre moi, parce que « je trouvais qu'ils n'en avaient que trop de sujets, mais cela n'arriva que « depuis que vous me retintes par votre bonté pour m'empêcher de vous a tant offenser, et que je m'éloignais de tout ce que je croyais qui vous & pût déplaire; car ce fut alors que vous commençâtes d'ouvrir les tré« sors de vos grâces à votre servante. Il semblait que vous attendiez que « je fasse préparée à les recevoir, puisque vous commençâtes aussitôt << non seulement à me les donner, mais à me faire connaître que vous « me les donniez avec libéralité.

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« Ainsi, au lieu qu'auparavant on avait mauvaise opinion de moi, « quoique non pas telle qu'on aurait dû l'avoir, parce que l'on ne con« naissait pas tous mes défauts, bien qu'ils fussent assez visibles, on « commença de l'avoir bonne; mais cela changea dans la suite, et passa jusqu'à murmurer contre moi et même à me persécuter. Au lieu de me « plaindre et d'en vouloir du mal à quelqu'un, je vous suppliais, mon « Dieu, de considérer qu'ils avaient raison d'en user ainsi, et vous, de « permettre qu'ils découvrissent toutes mes imperfections. Les religieuses <«< disaient donc, et d'autres aussi, que je voulais passer pour sainte; et que, bien qu'il s'en fallût beaucoup que j'eusse encore accompli « toute ma règle, et que je n'eusse pas la vertu des saintes religieuses qu'il y avait dans notre monastère, ainsi qu'il est vrai que je ne l'ai ni << ne l'aurai jamais, si Dieu ne fait tout de sa part pour me la donner, « je m'efforçais d'introduire de nouvelles coutumes, et que j'étais toute propre à faire du mal.

« Cela m'étant quelquefois un sujet de tentation, un jour qu'en disant « mon office j'arrivai à ce verset du psaume: Justus es, Domine, et re« ctum judicium tuum: Vous êtes juste, Seigneur, et vos jugements sont « équitables; je considérai en moi-même combien ces paroles étaient « vraies; car le démon n'a jamais eu le pouvoir de me tenter en ce qui « regarde la foi ; j'ai toujours, Seigneur, été très-fortement persuadée que « vous êtes la source de tous les biens; et plus les choses sont élevées « au-dessus de la nature, plus je les crois fermement, parce que je sais « que votre pouvoir n'a point de bornes, et que votre grandeur est infi<< nie. Pensant donc alors en moi-même comment il se pouvait faire qu'é«< tant aussi juste que vous êtes, et moi aussi mauvaise que je suis, vous « me fissiez des grâces et des faveurs que vous n'accordiez pas à ces « bonnes religieuses qui vous servent, comme je l'ai dit, avec tant de « fidélité, vous me répondites: Contentez-vous de me servir, et ne vous « mettez pas en peine du reste. Ce furent là, mon Dieu, les premières pa« roles que je vous ai entendu me dire. » Elles me remplirent d'un merveilleux étonnement; mais je remets à expliquer en un autre lieu de quelle sorte ces merveilleuses paroles se font entendre, parce que ce serait sortir de mon sujet dont je ne me suis déjà que trop éloignée, puisque je ne sais presque plus où j'en suis. Votre révérence, mon père, me doit pardonner ces digressions, puisqu'il n'est pas étrange que je perde la suite de mon discours, lorsque je me représente avec quelle patience il a plu à Dieu de me souffrir, et l'état où il me met par sa grâce.

Je prie de tout mon cœur sa divine majesté de me rendre toujours extravagante de la sorte, et de m'ôter plutôt la vie dans ce moment que de permettre qu'il y en ait jamais un seul dans lequel je sois capable de résister aux mouvements qu'il lui plaira de me donner. Il ne faut point d'autre preuve pour faire connaître jusqu'à quel excès va sa miséricorde, que de voir combien de fois il m'a pardonné tant d'ingratitudes; il a fait cette grâce à saint Pierre, mais il ne la lui a faite qu'une fois, et il me l'a faite tant de fois, que le diable n'avait que trop de sujet de me tenter, en me représentant que je ne pouvais prétendre sans extravagance, que me déclarant ainsi ouvertement l'ennemie de Dieu, je dusse jamais être aimée de lui. Quel aveuglement pouvait être comparable au mien, et où avais-je l'esprit, ô mon Sauveur, lorsque je m'imaginais pouvoir trouver hors de vous quelque remède à mon mal! Quelle folie de fuir la lumière pour m'engager dans des ténèbres où l'on ne saurait marcher sans broncher à chaque pas; et quelle orgueilleuse humilité que celle dont le démon se servit pour me faire abandonner la colonne de l'oraison, dont l'appui aurait pu m'empêcher de faire de si grandes chutes? Je ne saurais maintenant considérer, sans être épouvantée, la grandeur du péril où me poussait cet artifice sous prétexte d'humilité; il me représentait, comme je l'ai dit, qu'étant si mauvaise et ayant reçu tant de grâces de Dieu, je ne devais pas m'appliquer à l'oraison, mais me conténter des prières vocales auxquelles j'étais obligée, et dont je m'acquit

tais si imparfaitement ; à quoi il ajoutait que je ne pouvais pretendre de faire davantage sans indiscrétion et sans témoigner que je connaissais bien peu le prix des faveurs particulières que Dieu fait aux âmes. Il est vrai que ces pensées étaient louables en elles-mêmes; mais l'effet en aurait été très-dangereux, et je ne saurais trop vous remercier, mon Sauveur, de m'avoir préservée d'un si grand mal.

Il me semble que c'est ainsi que cet esprit malheureux commença à tenter Judas, quoique non si ouvertement; et je ne doute point que si Dieu n'y eût remédié, il m'aurait fait tomber peu à peu dans le préc1pice où il me poussait. Je conjure, au nom de Notre-Seigneur, tous ceux qui veulent s'appliquer à l'oraison de bien considérer cette avis que je leur donne, et de profiter de mon exemple, en apprenant que je n'eus pas plus tôt quitté ce saint exercice, que je me trouvai encore plus imparfaite qu'auparavant ; ce qui montre quel était le venin caché dans le remède que le diable me présentait, et quelle belle humilité était celle qui ne produisait dans mon esprit que de l'inquiétude et du trouble. Mais comment mon âme aurait-elle pu être dans le calme, au même temps qu'elle se trouvait privée de ce qui faisait toute sa douceur et tout son repos, que les grâces et les faveurs qu'elle avait reçues de Dieu lui étaient présentes, et qu'elle voyait qu'il ne se rencontre que du dégoût dans tous les contentements de la terre ? Il y a plus de vingt et un ans que cela se passe en moi de la sorte, et je ne comprends pas comment j'ai pu demeurer si longtemps en cet état; mais, si je m'en souviens bien, c'était seulement dans la résolution de reprendre l'exercice de l'oraison, lorsque je serais meilleure. Jamais espérance ne fut plus mal fondée; car, si lors même que je faisais de saintes lectures qui auraient dû m'ouvrir les yeux pour connaître mes péchés, que je m'occupais à l'oraison et que je répandais des larmes en la présence de Dieu, j'étais néanmoins si mauvaise, que devais-je attendre autre chose que de me perdre malheureusement, quand étant privée de tous ces secours, je me trouvais engagée dans de vains divertissements et dans plusieurs occasions dangereuses, sans autre assistance que de ceux qui pouvaient m'aider à me précipiter dans l'abîme?

Je crois qu'un religieux de l'ordre de saint Dominique, fort savant, a beaucoup mérité devant Dieu de m'avoir réveillée d'un sommeil si périlleux. Ce bon père, comme je pense l'avoir déjà dit, me fit communier tous les quinze jours; et je commençai à revenir à moi, quoique j'offensasse encore Dieu; mais, parce que je n'étais pas hors de la bonne voie, j'y marchais et m'y avançais peu à peu, en tombant et en me relevant; car, pourvu que l'on ne cesse point d'y marcher, on arrive enfin, quoique tard, où doit nous conduire cet heureux chemin, dont on s'égare à mon avis, en abandonnant l'oraison. Dieu veuille, s'il lui plaît, par sa grâce, nous préserver d'un tel malheur !

Ce que je viens de dire est si important, que je conjure, au nom de Notre-Seigneur, ceux qui le liront, d'y faire une tres-grande attention,

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