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« lièrement incapable d'envisager les merveilles de vos œuvres ? J'avoue « qu'un tel excès de bonté surpasse tellement tout ce que j'en saurais « comprendre, que je me perds dans cette considération, sans pouvoir «< passer outre; car où pourrais-je aller sans reculer au lieu d'avan« cer, puisque nulles paroles ne sont capables d'exprimer les remercîaments que je vous dois de tant de grâces? Quelquefois, pour me soula«ger, je vous dis des extravagances, non pas durant cette sublime union, « étant alors incapable d'agir, mais au commencement ou à la fin de <«< mon oraison, et je vous parle en cette sorte: Prenez garde, Seigneur, « à ce que vous faites; et bien qu'en me pardonnant tant de péchés, vous « ayez voulu les oublier, souvenez-vous-en, je vous prie, afin de mo« dérer les faveurs dont vous me comblez: ne mettez pas, ô mon créa<«<teur, une liqueur si précieuse dans un vase à demi cassé, puisque vous « avez vu si souvent qu'elle ne peut demeurer sans se répandre; n'enfer<<< mez pas un tel trésor dans une âme qui est incapable de le conserver, «< parce qu'elle n'a pas encore entièrement renoncé aux consolations de la « vie présente ne confiez pas une place à une personne si lâche, qu'elle <«<en ouvrirait les portes aux premiers efforts des ennemis ; que l'excès de « votre amour ne vous fasse pas, ô mon roi, en hasardant des pierreries « de si grand prix, donner sujet de croire que vous n'en tenez pas grand «< compte, puisque vous les laisseriez en garde à une créature si faible « et si misérable, que, quelque soin qu'elle prît pour tâcher, avec votre <«< assistance, d'en bien user, elle ne pourrait en profiter pour personne; « et enfin, pour dire tout en un mot, entre les mains d'une femme aussi «< méchante que je suis, et qui, au lieu de faire valoir ses talents, ne se <«< contente pas de les laisser inutiles, mais les enterre. Vous ne faites « d'ordinaire, mon Dieu, de si grandes grâces, qu'afin que l'on ait plus le « moyen de servir les autres, et vous savez que c'est de tout mon cœur « que je vous ai dit autrefois que je m'estimerais heureuse, si vous me << priviez du plus grand bien que l'on puisse posséder sur la terre, afin «< de l'accorder à un autre qui en ferait un meilleur usage pour votre << gloire. >>

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Il m'est, comme je l'ai dit souvent, arrivé de tenir de semblables discours à Dieu, et je m'apercevais ensuite de mon ignorance, puisque je ne connaissais pas qu'il savait mieux que moi ce qui m'était propre; et de mon peu d'humilité, de ne pas voir que j'étais incapable de travailler à mon salut, s'il ne m'en eût donné la force par d'aussi grandes faveurs que celles qu'il me faisait.

J'ai maintenant à parler des grâces et des effets que produit cette oraison, et à dire si l'âme peut, ou ne peut pas, contribuer à quelque chose pour s'élever à un état si sublime. Il arrive souvent, dans l'union dont j'ai parlé, que cette élévation et cette union d'esprit viennent avec l'amour céleste; mais selon ce que je puis comprendre, il y a de la différence dans cette union entre l'élévation de l'esprit et l'union. Ceux qui ne l'ont pas éprouvé seront persuadés du contraire; mais pour moi, il me

semble qu'encore que cette union et cette élévation ou transport d'esprit soient la même chose, Dieu opère l'un et l'autre en diverses manières, et que plus l'âme se détache des créatures, plus l'esprit prend son vol vers le ciel. Ainsi je connus clairement que ce sont des grâces différentes, quoique, comme je l'ai dit, elles ne paraissent être que la même chose; de même qu'un petit feu est un feu aussi bien qu'un grand, encore qu'il y ait de la différence entre l'un et l'autre, car il faut beaucoup de temps pour faire qu'un petit morceau de fer devienne tout rouge dans un petit feu; au lieu qu'il n'en faut guère pour faire qu'un gros morceau de fer devienne si ardent dans un grand feu, qu'il ne lui reste plus aucune apparence de ce qu'il était auparavant; et ainsi j'ai sujet de croire que ce sont deux grâces différentes que Dieu accorde dans cette sorte d'oraison. Je suis assurée que ceux qui auront eu des ravissements n'auront pas de peine à le comprendre; mais ceux qui n'en ont point eu le considéreront comme une folie, et ce pourrait bien en être une, qu'une personne comme moi ose se mêler de parler d'une chose qu'il paraît impossible d'expliquer, et de trouver seulement des termes qui puissent la faire comprendre grossièrement.

Néanmoins, comme Notre-Seigneur sait que je n'ai d'autre intention en ceci que d'obéir et de faciliter quelques moyens aux âmes pour acquérir un si grand bien, j'espère qu'il m'aidera dans cette entreprise, et je ne dirai rien qu'une longue expérience ne m'ait fait connaître. J'ai d'autant plus de sujet de me promettre de son infinie bonté qu'il m'assistera, que, lorsque je commençai à vouloir écrire cette quatrième manière d'oraison que je compare à la quatrième sorte d'eau dont ce jardin spirituel se trouve arrosé, cela me parut aussi impossible que de parler grec; ainsi je quittai la plume et m'en allai communier. Béni soyezvous à jamais, Seigneur, qui instruisez les ignorants. O vertu de l'obéissance, que vous avez de pouvoir! Dieu éclaira mon esprit en me disant et en me représentant ce que je devais dire, et il veut maintenant, ce me semble, faire la même chose, en me mettant dans la bouche ce que je suis incapable par moi-même de comprendre et d'écrire. Comme ce que je viens de rapporter est très-véritable, il est évident que ce que je dirai de bon viendra de Dieu, et que ce que je dirai de mauvais tirera sa source de cet océan de misère qui est en moi.

Que s'il y a quelques personnes, comme il y en a sans doute plusieurs, qui soient arrivées à ces degrés d'oraison dont il a plu à notre Seigneur de me favoriser, tout indigne que je suis, et que, dans la crainte qu'elles auront de s'égarer, elles désirent de me communiquer leurs sentiments, j'espère que son adorable bonté fera la grâce à sa servante de les aider à passer plus avant sans crainte de se tromper.

Il me reste donc à parler de cette eau qui tombe du ciel en si grande abondance, qu'elle arrose entièrement le jardin ; et il est facile de juger de quel repos et de quel plaisir jouirait toujours le jardinier, si notre Seigneur ne manquait jamais de la donner lorsqu'il en serait besoin et

si l'air était toujours si tempéré que, n'y ayant point d'hiver, les plantes fussent sans cesse couvertes de fleurs et chargées de fruits; mais, parce que c'est un bonheur que l'on ne peut espérer en cette vie, il faut que ce jardinier soit dans un soin continuel de ne pas demeurer sans eau, afin que, quand l'une manque, on puisse y suppléer par une autre. Celle qui vient du ciel tombe quelquefois lorsque le jardinier y pense le moins; et il arrive presque toujours que c'est en suite d'un long exercice d'oraison mentale que notre âme, étant comme un petit oiseau que notre Seigneur, après l'avoir vu voltiger longtemps pour s'élever vers lui avec son entendement et sa volonté qui sont ses ailes, le prend de sa divine main pour le remettre dans son nid, afin d'y être en repos, et le récompenser ainsi dès cette vie. « Que cette récompense est grande, ô « mon Dieu, puisqu'un moment de joie qu'elle donne suffit pour payer «tous les travaux que nous saurions souffrir ici bas pour votre service!» Lorsque, dans cette quatrième manière d'oraison, une personne cherche ainsi son Dieu, peu s'en faut qu'elle se sente entièrement défaillir; elle est comme évanouie; à peine peut-elle respirer; toutes ses forces corporelles sont si affaiblies, qu'il lui faudrait faire un grand effort pour pouvoir seulement remuer les mains; les yeux se ferment d'eux-mêmes ; et s'ils demeurent ouverts, ils ne voient presque rien, ni ne sauraient lire quand ils le voudraient; ils connaissent bien que ce sont des lettres, mais ils ne peuvent les distinguer ni les assembler, parce que l'esprit n'agit point alors; et si l'on parlait à cette personne, elle n'entendrait rien de ce qu'on lui dirait. Ainsi ses sens non seulement lui sont inutiles, mais ne servent qu'à troubler son contentement; elle tâcherait en vain de parler, parce qu'elie ne saurait ni former ni prononcer une seule parole; toutes ses forces extérieures l'abandonnent, et celles de son âme s'augmentent pour pouvoir mieux posséder la gloire dont elle jouit; mais elle ne laisse pas d'éprouver au dehors un fort grand plaisir.

Quelque long temps que dure cette sorte d'oraison, on ne s'en trouve 'jamais mal; et je ne me souviens pas que Dieu m'en ait favorisée lorsque j'étais malade, sans que je me sois ensuite portée beaucoup mieux; car comment un si grand bien pourrait-il causer du mal? Les effets de cette sublime oraison sont si manifestes, que l'on ne saurait douter qu'elle n'augmente la vigueur de l'âme, et qu'après avoir ainsi fait perdre au corps avec plaisir toute la sienne, elle ne lui en redonne une nouvelle beaucoup plus grande.

Il est vrai, selon ce que j'en puis juger par ma propre expérience, que, dans le commencement, cette sorte d'oraison finit si promptement qu'elle ne se fait pas connaître par des marques extérieures; mais l'on voit, par les avantages que l'on en reçoit, qu'il faut que les rayons du soleil aient été bien vifs et bien ardents, pour avoir pu pénétrer l'âme de telle sorte, qu'elle l'ait comme fait fondre; et il est fort remarquable que cette suspension de toutes les puissances ne dure, à mon avis, ja mais longtemps; c'est beaucoup quand elle va jusqu'à une demi-heure

et je ne crois pas qu'elle m'ait jamais tant duré. Il est vrai qu'il est difficile d'en juger, puisque l'on a perdu tout sentiment; et j'ajoute que, même alors, il ne se passe guère de temps sans que quelqu'une des puissances se réveille. La volonté est celle qui se maintient davantage; mais l'entendement et la mémoire recommencent bientôt à l'importuner; néanmoins, comme elle demeure dans le calme, elle les ramène et les oblige à se recueillir; ainsi elles demeurent tranquilles pendant quelques moments, et se laissent emporter ensuite à de nouvelles distractions. On peut, en cette manière, passer quelques heures en oraison, et on les y passe, en effet, parce que l'entendement et la mémoire, après avoir goûté de ce vin céleste, le trouvent si délicieux, que ces facultes s'en enivrent et se perdent heureusement pour se réunir avec la volonté dans la jouissance d'un si grand bonheur; mais le temps qu'elles demeurent en cet état, incapables, ce me semble, de s'imaginer quoi que ce soit, est fort court; et lorsqu'elles commencent à revenir à elles, ce n'est pas de telle sorte qu'elles ne paraissent, durant quelques heures, comme stupides, parce que Dieu les ramène peu à peu à lui.

J'aurais maintenant à dire ce que l'âme sent intérieurement, lorsqu'elle est en cet état; mais je laisse à en parler ceux qui en sont capables, car comment pourrais-je écrire une chose que je ne saurais comprendre? Lorsqu'au sortir de cette oraison, et après avoir communié, je pensais de quelle manière je pourrais exprimer ce que l'âme fait quand elle jouit d'un si grand bonheur, notre Seigneur me dit : « Ma « fille, elle s'oublie entièrement elle-même pour se donner tout entière à « moi; ce n'est plus elle qui vit, mais c'est moi qui vis en elle; et cela est « si incompréhensible, que tout ce qu'elle peut comprendre est qu'elle << n'y comprend rien. »

Ceux qui l'auront éprouvé entendront quelque chose à ceci; et il ́est si obscur, que je ne saurais l'expliquer plus clairement; tout ce que je puis ajouter, c'est qu'il est impossible de douter alors que l'on ne soit proche de Dieu, et que toutes les puissances sont tellement suspendues et comme hors d'elles-mêmes, qu'elles ne savent ce qu'elles font. Si l'on pense méditer sur quelques mystères, la mémoire n'en représente non plus le souvenir que si elle n'en avait jamais entendu parler, si on lit, on ne comprend rien à ce qu'on lit; et il en arrive de même des oraisons vocales: Ainsi les ailes de ce petit papillon, auxquelles on peut comparer les distractions que donne la mémoire, se trouvant brûlées, il tombe par terre sans pouvoir se remuer: la volonté est tout occupée à aimer, sans comprendre en quelle manière elle aime, et quant à l'entendement, s'il entend, il ne comprend rien à ce qu'il entend, mais je crois qu'il n'entend rien, puisque, comme je l'ai dit, il ne s'entend pas lui-même; et je n'entends rien non plus à tout cela.

J'étais au commencement dans une si grande ignorance, que je ne sa vais pas que Dieu est dans toutes les créatures; et il me paraissait néanmoins si clairement qu'il était présent, qu'il m'était impossible d'en

douter ceux qui n'étaient point savants me disaient que ce n'était que par sa grâce; mais comme j'étais persuadée du contraire, je ne pouvais le croire, et cela me donnait de la peine. Un savant religieux, de l'ordre de saint Dominique, m'en tira, et me consola beaucoup en m'assurant que Dieu était alors présent, et qu'il se communique ainsi aux hommes. Je finirai ce chapitre en disant qu'il faut remarquer que Dieu ne fait jamais que par une grâce très-particulière tomber du ciel cette eau dont j'ai parlé, et que l'âme en reçoit toujours de très-grands avantages, ainsi qu'on le verra dans la suite.

CHAPITRE XIX.

La Sainte continue à traiter, dans ce chapitre, de l'oraison de ravissement ou d'extase, elle parle des effets qu'elle opère dans l'âme, et exhorte encore à ne discontinuer jameis, pour quelque cause que ce soit, de faire oraison.

de l'oraison de ravissement. (Suite.)

Au sortir de cette oraison, qui unit si fortement l'âme à son Créateur, elle demeure dans une si grande tendresse pour lui, qu'elle voudrait s'anéantir, afin de se perdre heureusement en lui-même: on se trouve noyé dans ses larmes, sans savoir quand ni comment elles ont commencé de couler, et l'on sent avec un plaisir inconcevable que, par un effet incompréhensible, ces heureuses larmes, en calmant l'impétuosité du feu de l'amour que l'on a pour Dieu, l'augmentent au lieu de l'éteindre. Ceci paraît obscur; mais il n'y a néanmoins rien de plus vrai.

Il m'est arrivé quelquefois, dans cette sorte d'oraison, de me trouver si hors de moi-même, qu'après qu'elle était finie, je ne savais si ce n'avait point été un songe, où si la gloire à laquelle je m'étais sentie participer était véritable; je me trouvais toute baignée des larmes qui tombaient de mes yeux, avec la même abondance qu'on voit une grande pluie tomber du ciel ; et cela me faisait connaître que ce n'avait pas été un songe; au commencement il durait peu, et je me sentais alors si encouragée à endurer pour Dieu, que pour lui en donner des preuves, j'aurais souffert avec joie que l'on eût mis mon corps en mille pièces. C'est dans cet heureux état que l'on conçoit des désirs fervents, que l'on prend des résolutions de servir Dieu d'une manière héroïque, qu'on le lui promet solennellement, et que l'on commence d'avoir le monde en horreur, par la vraie connaissance de sa vanité et de son néant. Ainsi l'on tire de beaucoup plus grands avantages de cette oraison de ravissement que des précédentes, et elle augmente l'humilité, parce que l'âme voit manifestement qu'elle est très-indigne d'une faveur qui va si fort audelà de ce qu'elle saurait prétendre et espérer, qu'elle est absolument incapable de rien faire pour l'acquérir. Et comme lorsque le soleil donne d'aplomb en quelque lieu, on y aperçoit jusqu'aux moindre filets des toiles d'araignées, cette heureuse âme connaît jusqu'à ses moindres imperfections et son extrême misère. Cette vue fait disparaître à ses yeux la vaine gloire, parce qu'elle ne saurait plus ignorer qu'elle ne peut rien 15

S.TH. I.

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