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'de se représenter que tout finit, qu'il y a un ciel et un enfer et autres choses semblables.

Mais, pour revenir à ce que je disais, c'est un excellent moyen pour se garantir des artifices du démon, et des fausses douceurs qu'il nous fait trouver dans l'oraison, que de ne point les désirer, et de se résoudre aú contraire à la commencer toujours par une forte résolution de ne jamais cesser de marcher dans ce chemin de croix, que Jésus-Christ lui-même nous a montré et obligé de suivre par ces paroles: Prenez votre croix et me suivez. Il est notre règle et notre modèle: ceux qui pratiquent ses conseils et ne pensent qu'à lui plaire n'ont rien à craindre, et leur avancement dans la vertu leur fera connaître que c'est par son esprit qu'ils agissent, et non par celui du démon. Que s'il arrive quelquefois qu'ils tombent, la promptitude avec laquelle ils se relèveront et d'autres choses que je vais dire, leur seront des marques que Notre-Seigneur ne les a pas abandonnés.

Quand c'est par l'esprit de Dieu que nous agissons, nous n'avons pas besoin de chercher des considérations pour nous humilier et pour nous confondre; Notre-Seigneur lui-même nous en met devant les yeux de beaucoup plus fortes que celles que nous pourrions nous imaginer, et que l'on peut dire n'être rien en comparaison de la véritable humilité qu'il nous donne et de la lumière dont il l'accompagne. Ces considérations nous mettent dans une telle confusion qu'elles nous anéantissent, parce que leur lumière est si grande qu'elle nous fait clairement connaître que nous ne pouvons rien de nous-mêmes, et plus Dieu nous favorise de ses grâces, plus elle augmente. Elle nous donne aussi un grand désir de nous avancer encore dans l'oraison, avec une ferme résolution de ne jamais la discontinuer, quelque peine qui s'y rencontre; elle nous met dans une ferme cónfiance, mais une confiance mêlée d'humilité et de crainte pour notre salut; elle chasse ensuite cette crainte servilé pour mettre à sa place une crainte filiale beaucoup plus forte; elle commence à faire entrer l'âme dans un amour de Dieu entièrement désintéressé, et à rechercher la solitude pour jouir avec plus de repos du bonheur de ne s'occuper que de lui seul; et enfin, pour n'en pas dire davantage, c'est comme une source dont l'âme sent couler en elle toutes sortes de biens, et qui lui fait connaître évidemment qu'il ne lui manque presque plus rien pour faire épanouir ces fleurs, dont les boutons étaient déjà si préparés à s'ouvrir. Quand une âme est dans cet état ellé ne saurait point croire que Dieu est avec elle jusqu'à ce qu'elle retombé dans ses imperfections; mais alors tout lui fait peur, et cette crainte lui est avantageuse, quoiqu'il y ait des âmes à qui la persuasion que Dieu est avec elles sert plus que ne feraient toutes les appréhensions et les terreurs que l'on pourrait leur donner, principalement si elles ont beaucoup d'amour et de désir de lui plaire; car, cela étant, le souvenir des faveurs qu'il leur a faites est plus capable de les ramener à lui que la vue de toutes les peines de l'enfer ainsi que je l'ai éprouvé, toute me thante que je suis.

Je remets à parler ailleurs plus particulièrement des marques qui nous font connaître ce qui vient de l'esprit de Dieu; et j'espère qu'il me fera la grâce d'en dire quelque chose d'assez à propos, par l'expérience que m'en donnent tant de peines que j'ai souffertes, avant que d'en avoir connaissance, et parce que j'en ai appris par des personnes si savantes et si saintes, que ceux que Dieu permet qui souffrent en cela autant que j'ai fait, ne doivent point faire difficulté d'ajouter foi à leurs sentiments et de profiter des instructions qu'ils peuvent tirer de leurs lumières.

CHAPITRE XVI.

De l'oraison d'union, qui est la troisième sorte d'oraison que la Sinte compare à la troisième manièce d'arroser un jardin par des rigoles d'une eau vive, tirée d'un ruisseau ou d'une fontaine.

DE L'ORAISON D'UNION.

Il faut maintenant parler de la troisième manière d'arroser ce jardin spirituel, par le moyen d'une eau courante, tirée d'une fontaine ou d'un ruisseau; ce qui ne donne pas grande peine, parce qu'il n'y a qu'à la conduire, car Dieu soulage tellement le jardinier, que l'on peut dire en quelque sorte que lui-même est le jardinier, puisque c'est lui qui fait presque tout.

Cette troisième sorte d'oraison est comme un sommeil de ces trois puissances, l'entendement, la mémoire et la volonté, dans lequel, encore qu'elles ne soient pas entièrement assoupies, elles ne savent comment elles opèrent. Le plaisir que l'on y reçoit est incomparablement plus grand que celui que l'on goûtait dans l'oraison de quiétude; et l'âme est alors tellement inondée et comme assiégée de l'eau de la grâce, qu'elle ne saurait passer outre, ni ne voudrait pas, quand elle le pourrait, retourner en arrière, tant elle se trouve heureuse de jouir d'une grande gloire; c'est comme une personne agonisante, qui, avec le cierge bénit qu'elle tient en sa main, est prête à rendre l'esprit pour mourir de la mort qu'elle souhaite; car, dans une oraison si sublime, l'âme ressent une joie qui va au-delà de toute expression; et cette joie me paraît n'être autre chose que de mourir presque entièrement à tout ce qui est dans le monde, pour ne posséder que Dieu seul; ce qui est la seule manière dont je puisse m'expliquer. L'âme ne sait alors ce qu'elle fait; elle ignore même si elle parle, ou si elle se tait; si elle rit, ou si elle pleure, c'est une heureuse extravagance; c'est une céleste folie, dans laquelle elle s'instruit de la véritable sagesse, d'une manière qui la remplit d'une consolation inconcevable.

Depuis cinq ou six ans, Dieu m'a souvent donné avec abondance cette sorte d'oraison, sans que je comprisse ce que c'était, ni que je puisse le faire comprendre aux autres. Ainsi, quand je me suis trouvée dans cet endroit de ma relation, j'avais résolu de n'en point parler, ou de n'en dire que très-peu de chose; je voyais bien que ce n'était pas une

entière union de toutes les puissances avec Dieu, et je connaissais encore plus clairement que c'était plus que ce qui se rencontre dans l'oraison de quiétude; mais je ne pouvais discerner quelle est la différence qui se trouve entre elles. Maintenant, je crois, mon Père, que l'humilité que vous avez témoignée en voulant vous servir, pour écrire sur un sujet si relevé, d'une personne aussi incapable que je le suis, a fait qu'il a plu à Dieu de me donner aujourd'hui cette troisième sorte d'oraison, lorsque je venais de communier, sans que j'aie pu m'occuper d'autre chose; de me mettre dans l'esprit ces comparaisons, de m'enseigner cette manière de les exprimer, de m'apprendre ce que l'âme doit faire alors, sans que je puisse me lasser d'admirer de quelle manière il m'avait fait, dans un moment, connaitre toutes ces choses. Je m'étais souvent vue transportée de cette sainte folie, et comme enivrée de cet amour, sans néanmoins pouvoir connaître comment cela se faisait. Je voyais bien que c'était Dieu, mais je ne pouvais comprendre de quelle manière il agissait alors en moi; parce qu'en effet, ma volonté, mon entendement et ma mémoire, étaient presque entièrement unis à lui, mais non pas tellement absorbés qu'ils n'agissent encore. J'ai une joie extrême de ce qu'il a plu à Dieu d'ouvrir ainsi les yeux de mon âme, et je le remercie de tout mon cœur de cette grâce.

Dans le temps dont je viens de parler, les puissances sont incapables de s'appliquer à autre chose qu'à Dieu; il semble que nulle d'elles n'osant se mouvoir, nous ne saurions, sans leur faire une grande violence, les distraire d'un tel objet; et encore je ne sais pas si, avec tous nos efforts, nous le pourrions. En cet état, on n'a dans la bouche que des paroles d'actions de grâces, sans ordre et sans suite, si ce n'est que Dieu lui-même les arrange, car l'entendement n'y a point de part; et dans cet heureux état où l'âme se trouve, elle voudrait ne faire autre chose que de louer et de bénir Dieu. C'est alors que les fleurs commencent déjà à s'épanouir et à parfumer l'air de leur odeur; c'est alors que l'âme désirerait, pour l'intérêt de la gloire de son maître, que chacun pût voir quel est le bonheur dont il lui plaît qu'elle jouisse, afin de l'aider à l'en remercier, et prendre part à sa joie, dont l'excès est tel, qu'elle en est presque suffoquée. Il me semblait que j'étais comme cette femme dont il est parlé dans une parabole de l'Évangile, qui appelait ses voisines pour se réjouir avec elle de ce qu'elle avait retrouvé la dragme qu'elle avait perdue; et que c'étaient les sentiments où devait être David, cet admirable prophète, quand il touchait sa harpe avec tant de ferveur et de zèle, pour chanter les louanges de Dieu. J'ai une grande dévotion à ce glorieux saint, et je désirerais que tout le monde y en eût, particulièrement les pécheurs.

Mon Dieu, en quel état se trouve l'âme dans un si haut degré d'oraison! elle voudrait être toute convertie en langues, pour avoir plus de moyens de vous louer, et elle dit mille saintes extravagances qui no procèdent toutes que du désir de vous plaire. Je connais une personne

qui, bien qu'elle ne sache point faire de vers, en faisait alors sur-lechamp, pleins de sentiments très-vifs et très-passionnés, pour se plaindre à Dieu de l'heureuse peine qu'un tel excès de bonheur lui faisait souffrir; son entendement n'avait point de part à ces vers: c'était une production de son amour, et non pas de son esprit; et que n'auraitelle point voulu faire, pour donner des marques de la joie dont cette peine était mêlée? il n'y a point de tourments qui ne lui eussent paru Goux, si l'occasion se fut offerte de les endurer pour témoigner à Dieu sa reconnaissance de ses faveurs, et elle voyait clairement que l'on ne devait presque rien attribuer aux martyrs, de la constance avec laquelle ils souffraient tant d'effroyables supplices, parce que toute leur force venait de lui.

Mais quelle peine n'est-ce point à une âme de se voir contrainte de sortir de cet état de bonheur et de gloire, pour se rengager dans les soins et les occupations du monde, puisque je crois n'avoir rien dit des joies que l'on ressent alors, qui ne soit au dessous de la vérité? « Que vous soyez béni à jamais, Seigneur, et que toutes les créatures ne ⚫ cessent point de vous louer ! Je vous supplie, ô mon roi, que, comme • en écrivant ceci, je me trouve encore dans cette céleste et sainte folie « de votre amour, dont votre miséricorde me favorise, vous y fassiez << entrer tous ceux à qui je m'efforcerai de la communiquer : ou permet« tez, Seigneur, que je ne converse plus avec personne, et délivrez-moi « de tous les embarras du siècle, ou faites finir mon exil sur la terre, « pour me retirer avec vous. Votre servante, mon Dieu, ne peut plus « souffrir une aussi grande peine que celle d'être éloignée de votre « présence, et, si elle a plus longtemps à vivre, elle ne saurait goûter << d'autres consolations que celles que vous lui donnerez; elle brûle du << désir d'être affranchie des liens du corps, le manger lui est insuppor<< table; le dormir l'afflige, elle voit qu'en cette vie tout le temps se << passe à satisfaire le corps, et rien ne peut la contenter que vous seul, « parce que, ne voulant vivre qu'en vous, c'est renverser l'ordre que « vivre en elle-même. O mon véritable maître de toute ma gloire! que « la croix que vous faites porter à ceux qui arrivent jusqu'à cette ma«nière d'oraison est légère et pesante tout ensemble! légère par sa << douceur; pesante parce qu'en de certains temps on la trouve insup« portable, sans que néanmoins l'âme voulût s'en décharger, si ce n'é«tait pour se voir unie à vous dans une autre vie. Mais, d'autre part, quand elle se représente qu'elle ne vous a jamais rendu de services, et qu'en demeurant dans le monde elle pourrait vous en rendre, elle « voudrait que cette croix fût encore plus pesante, et la porter jusqu'au jour du jugement, parce qu'elle ne compte pour rien tous ses a travaux, lorsqu'il s'agit de vous rendre le moindre service; ainsi elle ne sait que désirer, mais elle sait bien qu'elle ne désire que de vous « plaire. »

Mon fils, puisque votre humilité m'oblige, pour vous obéir, à vous

nommer ainsi, si, lorsque j'écris ceci par votre ordre, vous trouvez que j'excède en quelque chose, je vous prie qu'il ne soit vu que de vous, et de considérer que l'on ne doit pas prétendre que je puisse rendre raison de ce que je dis, lorsque Notre-Seigneur me tire hors de moi-même ; car je ne saurais croire que ce soit moi qui parle; depuis cette communion dont je viens de parler, tout ce qui se présente à mon esprit me paraît un songe, et je voudrais ne voir autre chose que des personnes malades de cette heureuse maladie dans laquelle je me trouve. Que nous soyons tous frappés de cette sainte folie, pour l'amour de celui qui a bien voulu, pour l'amour de nous, passer pour un insensé. Puisque vous me témoignez tant d'affection, mon Père, car, étant mon confesseur, je dois bien vous nommer ainsi, quoique, pour vous obéir, je vous ai appelé mon fils; faites-la moi paraître, s'il vous plaît, en demandant à Dieu qu'il m'accorde cette grâce qui est si rare, que je ne vois presque personne qui n'ait des soins excessifs pour ce qui le touche en particulier; et détrompez-moi, je vous prie, si je suis, comme il se peut faire, plus que nulle autre dans cette erreur, en me le disant tout franchement, avec la liberté dont l'on use si peu en semblables choses.

Je souhaiterais, mon Père, que, de même que l'on voit en ce temps des méchants s'unir pour conspirer contre Dicu, et répandre dans le monde des hérésies, ces cinq personnes que nous sommes, qui nous aimons en lui, nous nous unissions pour nous désabuser les uns les autres, en nous reprenant de nos défauts, afin de nous rendre plus capables de plaire à Dieu, nul ne se connaissant si bien soi-même qu'il connaît ceux qu'il considère avec charité, par le désir de leur profiter; mais cela doit se pratiquer en particulier, parce que c'est un langage dont on use si peu dans le monde, que même les prédicateurs prennent garde dans leur sermons de ne mécontenter personne je veux croire qu'ils ont bonne intention; ce n'est pas néanmoins le moyen de faire un grand fruit; et j'attribue ce que leurs prédications convertissent si peu de personnes, à ce qu'ils ont trop de prudence, et trop peu de ce feu de l'amour de Dieu dont brûlaient les apôtres; de ce feu qui leur faisait tellement mépriser l'honneur et la vie, qu'ils étaient toujours prêts à les perdre pour gagner tout lorsqu'il s'agissait d'annoncer et de soutenir les vérités qui regardent la gloire de Dieu. Je ne me vante pas d'être en cet état; mais je m'estimerais heureuse d'y être. Oh! que c'est bien connaître la liberté, que de considérer comme une véritable servitude la manière dont on vit et on converse dans le monde; et que ne doit point faire un esclave pour obtenir dela miséricorde de Dieu l'affranchissement de cette captivité, afin de pouvoir retourner dans sa patrie! Ainsi, puisque ce que je viens de dire en est le chemin, et que nous ne saurions arriver à un si grand bonheur qu'à la fin de notre vie, nous devons sans cesse y marcher sans nous arrêter. Je prie Dieu de tout mon cœur de nous en faire la.

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