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Je supplie sa divine majesté de m'assister pour bien faire entendre ceci. Il y a plusieurs âmes qui arrivent à cet état d'oraison, mais peu qui passent outre; je ne sais à quoi en attribuer la faute, étant certaine qu'elle ne vient point de Dieu; car peut-on croire qu'après qu'il lui a plu d'accorder à une âme une aussi grande grâce que celle d'arriver jusqu'à un tel degré de bonheur, il ne lui en fasse pas de plus grande si elle ne s'en rend point indigne? Il lui importe donc extrêmement de connaître combien elle lui est obligée, et le mépris qu'elle doit faire de toutes les choses de la terre, lorsqu'il la met en état de s'élever ainsi vers le ciel. Que si cette âme est si malheureuse que de retourner en arrière, comme j'ai fait et aurais continué de faire, si la miséricorde de Dieu ne m'eût ramenée à lui, je ne doute point que l'on n'en doive principalement attribuer la cause à de grands péchés, et l'on ne saurait passerd'un tel bonheur à un si extrême malheur sans un étrange aveuglement. C'est pourquoi je conjure, au nom de Dieu, ceux à qui il a fait une si grande faveur que de leur donner l'oraison de quiétude, de considérer quel en est le prix, afin de l'estimer autant qu'elle le mérite, et de croire fermement, par une humble et sainte confiance en sa bonté, qu'ils ne seront point touchés du désir de retourner goûter des viandes d'Égypte; mais si par leur lâcheté cette tentation les ébranlait, ainsi qu'il m'est arrivé, qu'ils se remettent toujours devant les yeux quel est le bien qu'ils ont perdu, et qu'ils marchent avec crainte. Que s'ils ne rentrent pas dans l'exercice de l'oraison, leur mal ira toujours en augmen- ' tant, et ils tomberont enfin tout-à-fait; car n'est-ce pas une véritable chute que de ne pouvoir se résoudre à rentrer dans un chemin par lequel on était arrivé à un tel bonheur?

Lorsque je parle de la sorte, je ne prétends pas dire que ces personnes doivent être impeccables, quoiqu'après avoir reçu de si grandes faveurs de Dieu, il n'y a rien qu'elles ne soient obligées de faire pour tâcher de ne point l'offenser; mais je n'ignore pas combien grande est notre misère. Je les exhorte seulement et je les conjure de ne point cesser de faire oraison, puisque c'est le moyen de reconnaître leur faute, de s'en repentir, et d'obtenir de la bonté de Dieu la force nécessaire pour se relever; au lieu qu'autrement je ne sais si, en parlant de la sorte, je ne me trompe point, en ce que, comme je l'ai dit, je juge des autres par moi-même.

Cette oraison de quiétude ou de recueillement est comme une étincelle par laquelle Dieu commence à embraser l'âme de son amour, et à lui faire connaître avec plaisir quel est cet amour. Il est impossible que ceux qui ont l'expérience de cette manière d'oraison ne reconnaissent bientôt si cette étincelle est un effet de la grâce de Dieu, ou une illusion du démon, ou une tromperie qui vient d'eux-mêmes, parce que, si elle est véritable, on ne saurait l'acquérir, mais il faut nécessairement qu'elle soit donnée de Dieu. Car, encore que nous soyons naturellement si portés à désirer des choses agréables et délicieuses, qu'il n'y a rien que nous

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ne fassions pour nous les procurer, et qu'ainsi nous employons tous nos efforts pour tâcher d'allumer un feu dont la chaleur est si douce, il se trouve qu'au lieu de réussir dans notre dessein nous ne faisons que jeter de l'eau dessus, qui l'éteindrait s'il était allumé. Mais lorsque cette étincelle vient de Dieu, quelque petite qu'elle soit, pourvu que l'âme ne l'éteigne point par sa faute, elle allume bientôt un grand feu qui, ainsi que je le dirai en son lieu, jette des flammes de ce violent amour pour Dieu, dont il favorise et embrase les âmes parfaites. Cette étincelle est une marque et un gage qu'il donne à l'âme du choix qu'il a fait d'elle pour lui accorder de grandes grâces, si elle se prépare à les recevoir avec le soin qu'elle doit cette faveur est telle, qu'elle va infiniment au-delà de tout ce que j'en pourrais rapporter; c'est pourquoi, comme je l'ai déjà dit, je ne saurais voir sans douleur que, plusieurs âmes arrivant jusque-là, il y en ait si peu qui passent outre, que j'aurais honte de dire combien le nombre est petit. Celui des autres, dont j'ai eu connaissance, est assez grand, et je pense devoir les exhorter à ne pas cacher dans la terre le talent qu'elles ont reçu, puisqu'il y a sujet de croire que Dieu les a choisies pour profiter à plusieurs autres, particulièrement en ce temps où il a besoin de serviteurs forts et courageux pour soutenir les faibles et les lâches. Ceux qui se sentent avoir du cœur doivent croire que Dieu leur fait la grâce d'être des premiers, et s'efforcer de s'en rendre dignes, en faisant au moins, pour le service de leur bienfaiteur, ce que dans le monde les lois de l'amitié portent les amis à faire les uns pour les autres. Ils ne peuvent y manquer, comme je l'ai dit, sans avoir sujet de trembler, puisque leur ingratitude serait capable de les faire tomber dans le précipice, et Dieu veuille, si cela arrive, qu'ils n'en entraînent pas d'autres avec eux!

L'âme n'a autre chose à faire dans cette oraison de quiétude que de demeurer en repos et sans faire de bruit. J'appelle bruit, de chercher avec l'entendement plusieurs paroles et plusieurs considérations pour remercier Dieu de la faveur qu'il lui fait, et faire une exacte revue de ses fautes et de ses péchés, pour reconnaître qu'elle ne la mérite pas; car c'est ce que veut faire l'entendement et à quoi travaille la mémoire. J'avoue que ces deux puissances me donnent souvent beaucoup de peine, particulièrement la mémoire que je ne saurais alors arrêter, quoique j'en aie si peu dans les autres temps. Quand cela arrive, la volonté doit demeurer en repos, et reconnaître que ce n'est pas de la sorte qu'on doit traiter avec Dieu, mais que c'est comme jeter sans discrétion sur une étincelle de grosses bûches qui l'éteignent; il faut qu'elle lui dise avec une profonde humilité : « Que puis-je faire, mon Dieu! quelle proportion « y a-t-il entre la servante et son seigneur? entre la terre et le ciel ? » ou autres paroles semblables que son amour lui inspirera, et qui seront conformes à ses sentiments, sans s'arrêter aux importunités de son entendement qui voudrait qu'il lui fit part de sa joie, ni sans vouloir l'obliger à se recueillir quand il s'égare, comme il fait souvent lorsqu'elle

est dans le repos et dans l'union avec Dieu, car elle travaillerait en vain; et il vaut beaucoup mieux que sans le suivre elle le laisse aller, pour continuer à jouir en paix de la faveur qu'elle reçoit, et qu'elle se retire en elle-même, comme les prudentes abeilles se retirent dans leurs cellules pour faire le miel, qu'elles ne feraient jamais, si, au lieu d'y travailler, elles s'amusaient à courir les unes après les autres.

Cet avis est si important que l'âme ne saurait, sans perdre beaucoup, manquer à le suivre, principalement si elle a l'entendement subtil, parce qu'il ne commencera pas plus tôt d'agir qu'il s'engagera dans de grands raisonnements, et croira faire beaucoup s'ils sont éloquents; au lieu qu'alors tout ce que l'on doit faire est d'être très-persuadé que c'est de Dieu que nous tenons cette faveur, sans que nulle autre raison que sa seule bonté le porte à nous l'accorder; c'est de reconnaître que nous sommes auprès de lui; c'est de lui demander son assistance et de le prier pour l'Église, pour les âmes du purgatoire et pour les personnes qui se recommandent à nos prières. Mais tout cela doit se faire sans y employer beaucoup de paroles et avec un grand désir qu'il lui plaise de nous écouter.

Cette manière d'oraison est fort puissante, et l'on obtient plus par elle que par tous les discours de l'entendement. La volonté, considérant l'avantage qu'elle en reçoit, se représente les raisons qu'elle a de s'enflammer de plus en plus dans l'amour de Dieu, et doit alors faire quelques actes de cet amour, tels que ceux de penser à ce quelle fera pour reconnaître, envers sa divine majesté, tant d'obligations, sans écouter, je le répète encore, ce que l'entendement voudrait lui représenter pour la faire entrer dans des pensées fort élevées. De petites pailles, et moins encore que des pailles s'il était possible, que nous jetterons avec humilité dans ce feu de l'amour de Dieu, l'allumeront beaucoup mieux que si nous y mettions quantité de bois par de grands raisonnements, qui, quelque beaux qu'ils nous parussent, l'éteindraient presque à l'heure même au lieu de l'allumer davantage. Cela n'est bon que pour les savants, tels que ceux qui me commandent d'écrire ceci; car, par la miséricorde de Dieu, les savants aussi bien que les ignorants, et les ignorants aussi bien que les savants, peuvent être favorisés du don de cette oraison. Ainsi il pourra arriver que les premiers se trouveront alors dans la liberté de faire réflexion sur quelque passage de l'Écriture; mais quelque avantage que la science leur donne avant et après l'oraison, je crois que pendant le temps qu'elle dure elle leur est peu nécessaire, et ne fait au contraire que refroidir la volonté, parce que l'entendement se trouvant si près de la lumière divine, est tellement éclairé que je ne me connais plus alors moi-même; je me trouve une tout autre personne; et, quoique je n'entende presque rien de toutes les prières latines, il m'est arrivé quelquefois dans cette oraison de quiétude, non-seulement d'entendre ce que signifient en ma langue quelques versets des Psaumes, mais d'avoir la joie de vofr que j'en comprenais le sens. J'excepte,

dans ce que je viens de dire, ceux qui sont obligés de prêcher et d'en seigner; car ils peuvent alors se servir de l'avantage qu'ils tirent de l'oraison pour instruire les ignorants comme moi, n'y ayant rien de plus louable que d'exercer la charité, et de servir les âmes en la seule vue de Dieu.

Dans cette heureuse quiétude les plus savants même doivent laisser jouir l'âme du repos où elle se trouve, sans se servir de leur science. Un temps viendra qu'elle leur sera fort utile, et qu'ils ne voudraient, pour quoi que ce fût, ne pas l'avoir, à cause du moyen qu'elle leur donne de servir Dieu, qui est le seul usage que l'on en doit faire; mais je les prie de croire que, quand on est en la présence de la sagesse éternelle, le moindre acte d'humilité vaut mieux que toute la science du monde; ce n'est pas alors le temps de raisonner, mais de reconnaître sincèrement ce que nous sommes et de nous présenter en cet état devant Dieu, qui, s'abaissant jusqu'à vouloir bien nous souffrir en sa présence, veut que nous entrions sincèrement dans la vue de notre néant. Que l'entende-ment s'occupe tant qu'il lui plaira à choisir des termes élégants pour rendre des actions de grâces à Dieu; la volonté doit demeurer en repos sans oser, non plus que le publicain, lever les yeux vers le ciel; et cette manière de remercier Dieu lui est infiniment plus agréable que toute la rhétorique dont se sert l'entendement.

Quelque excellente que soit cette oraison de quiétude, je ne prétends pas qu'il faille abandonner entièrement la mentale, ni cesser même d'user de quelques prières vocales, si on le peut. Je dis, si on le peut, parce que, si la quiétude est grande, on ne saurait parler qu'avec grande peine. Il me semble que l'on peut connaître quand c'est l'esprit de Dieu qui nous porte à cette oraison, ou quand, par un sentiment de dévotion qu'il nous donne, nous nous y portons nous-mêmes par le désir de jouir des douceurs qui s'y rencontrent; auquel cas elle ne produit aucun effet, et l'on retombe aussitôt dans la sécheresse. Que si c'est le démon qui nous y pousse, une âme exercée pourra la connaître, parce qu'elle demeurera dans l'inquiétude avec peu d'humilité, peu de disposition à pratiquer cb que Dieu veut, peu de lumière dans l'entendement et nulle fermeté pour la vérité.

Mais pourvu que l'âme réfère à Dieu toute la douceur et le plaisir dont elle jouit dans cette oraison, et qu'elle le prenne pour objet de tous ses désirs et de toutes ses pensées, non seulement le démon ne lui pourra nuire par ce plaisir qu'il lui aura causé pour la tromper, mais Dieu permettra qu'elle en tire de l'avantage, parce que, dans la créance que c'est à Dieu qu'elle est obligée de ce plaisir, il arrivera souvent que le désir d'en jouir la portera à faire oraison avec encore plus de joie. Ainsi, si cette âme est humble, si elle n'a point de curiosité, si elle ne recherche point les consolations, quoique spirituelles, et prend au contraire plaisir à souffrir, elle ne fera point de cas de toutes ces consolations que le dé

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mon lui donnera, et ne sera touchée que de celles qui lui viendront de la part de Dieu.

Il faut surtout avoir un soin extrême, dans l'oraison et dans les consolations que l'on y reçoit, de s'humilier toujours de plus en plus, c'est le moyen de rendre inutiles tous les artifices du diable, qui ne sont que mensonge et illusion, et de l'empêcher d'oser souvent nous tenter par ces plaisirs et ces consolations qu'il nous cause, lorsqu'il verra que, ne réussissant qu'à sa confusion et à sa honte, il y perd au lieu d'y gagner. C'est pour cette raison et d'autres encore que j'ai marquées dans la première manière d'oraison, qui est mentale, par laquelle on tire de l'eau du puits pour arroser ce jardin spirituel, qu'il importe extrêmement de commencer par renoncer à toutes sortes de consolations, et, comme de braves soldats qui veulent servir leur prince à leurs dépens, n'avoir d'autre désir ni d'autre pensée que d'aider Notre-Seigneur Jésus-Christ à porter sa croix, sans prétendre de lui d'autre récompense que celle qu'ils sont assurés qu'il leur donnera dans son royaume éternel.

Il est nécessaire dans les commencements d'avoir toujours ces pensées devant les yeux; je dis dans les commencements, parce que lorsque l'on est plus avancé, on en est si persuadé, qu'au lieu d'avoir besoin de se représenter le néant du monde et des plaisirs qui s'y rencontrent, il faut en détourner sa vue pour tâcher de les oublier, afin de ne pas trouver la vie ennuyeuse. En effet, c'est si peu de chose, que ceux qui sont arrivés à une plus grande perfection auraient honte de n'avoir renoncé aux biens du monde qu'à cause qu'ils sont périssables, puisqu'ils les quitteraient avec encore plus de joie s'ils duraient toujours; et plus on augmente en vertu, plus on se confirme dans ce sentiment. L'amour de Dieu, qui est déjà grand dans ces âmes, opère en elles ces effets; mais quant à ceux qui commencent, cet avis est si important que je ne me lasse point de le répéter, et même les plus avancés dans l'oraison ont besoin de s'en servir en certains temps où Dieu, pour les éprouver, paraît les abandonner. On doit toujours se souvenir que, dans cette vie, l'âme ne croît pas comme le corps, quoique l'on dise qu'elle croisse, et qu'elle croisse en effet en une certaine manière; car, lorsqu'un enfant a pris sa croissance pour devenir homme, on ne voit plus son corps décroître ; mais il n'en est pas de même de l'âme, parce que Dieu le permet ainsi, comme je l'ai éprouvé en moi, ne sachant pas ce qui se passe dans les autres. C'est sans doute pour notre bien qu'il en use de la sorte, afin de nous humilier et de nous obliger à nous tenir sur nos gardes pendant que nous sommes dans cet exil, où ceux qui paraissent les plus avancés et les plus fermes ont le plus sujet de craindre et de se défier de leur faiblesse. Il y a des temps où ceux même dont la volonté est si unie à celle de Dieu qu'ils souffriraient plutôt toutes sortes de tourments, et même la mort, que de commettre volontairement la moindre imperfection, sont combattus par des tentations si violentes qu'ils ont besoin, pour ne point offenser Dieu, de recourir aux premières armes de l'oraison, c'est-à-dire,

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