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dance. Dans une sorte d'oraison que l'on nomme oraison de quiétude, l'âme commence à se recueillir et à éprouver quelque chose de surnaturel qu'il lui serait impossible d'acquérir par elle-même. Il est vrai qu'elle a, durant un peu de temps, de la peine à tourner la roue, et à travailler, avec l'entendement, à remplir les seaux; mais elle en a beaucoup moins qu'à tirer de l'eau du puits, parce que celle-ci est plus à fleur de terre, à cause que la grâce se fait alors connaître plus clairement. Cela se fait en recueillant au-dedans de soi toutes ses puissances, c'est-à-dire l'entendement, la mémoire et la volonté, afin de mieux goûter cette douceur toute céleste. Ces puissances ne s'endorment pas néanmoins, mais la seule volonté agit sans savoir en quelle manière elle agit: elle sait seulement qu'elle est captive, et donne son consentement avec joie à cette heureuse captivité qui l'assujettit à celui qu'elle aime. « O Jésus, mon Sauveur, c'est alors que nous éprouvons si heureuse<< ment quelle est la puissance de votre amour, puisqu'il tient le nôtre « tellement uni à lui, qu'il nous est impossible, en cet état, d'aimer au«tre chose que vous. »

L'entendement et la mémoire contribuent à rendre la volonté capable de jouir d'un si grand bien; mais il arrive quelquefois qu'ils lui nuisent au lieu de l'aider, et alors elle ne les doit point considérer, mais continuer à jouir de sa tranquillité et de sa joie, parce qu'en voulant les rappeler de leur égarement elle s'égarerait avec eux. Ils sont comme des pigeons qui, ne se contentant pas de la nourriture qu'on leur donne, vont en chercher à la campagne, d'où, après qu'ils n'ont rien trouvé, ils reviennent au colombier pour voir si on leur donnera encore à manger, et voyant qu'on ne leur en donne point, ils retournent de nouveau en chercher. C'est ainsi qu'agissent ces deux puissances à l'égard de la volonté, dans l'espérance qu'elle leur fera quelque part des faveurs qu'elle reçoit de Dieu. Elles s'imaginent sans doute de la pouvoir servir en lui représentant le bonheur dont elle jouit, et il arrive souvent, au contraire, qu'elles lui nuisent; ce qui l'oblige de se conduire envers elles de la manière que je dirai dans la suite.

Tout ce qui se passe dans cette oraison de quiétude est accompagné d'une très-grande consolation, et donne si peu de peine, que, quelque longtemps qu'elle dure, elle ne lasse point l'âme, parce que l'entendement n'y agit que par intervalles, ét tire néanmoins beaucoup plus d'eau qu'il n'en tirerait du puits, dans l'oraison mentale, avec beaucoup moins de travail. Les larmes que Dieu donne alors sont des larmes toutes de joie, et on sent qu'on les répand sans pouvoir contribuer à les faire naître.

Cette eau, si favorable et si précieuse, dont Notre-Seigneur est la source, fait incomparablement davantage croître les vertus que celle que l'on pouvait tirer de la première manière d'oraison, parce que l'âme s'élève au-dessus de sa misère, et commence déjà un peu à connaître quel est le bonheur de la gloire; ce qui la fait, comme je l'ai dit, croître

en vertu, parce qu'elle approche de Dieu, qui est le principe de toutes les vertus, et qu'il ne commence pas seulement à se communiquer à elle, mais veut qu'elle connaisse qu'il s'y communique. Ainsi l'âme ne se trouve pas plus tôt dans cet état, qu'elle perd le désir de toutes les choses d'ici-bas, et qu'elles lui paraissent méprisables, parce qu'elle voit clairement qu'il n'y a ni honneurs, ni richesses, ni plaisirs, dont la possession puisse approcher d'un seul moment du bonheur dont elle jouit alors, et qu'elle connaît certainement être véritable et solide; au lieu qu'il est difficile de comprendre sur quoi l'on se fonde pour croire qu'il puisse y avoir de véritables contentements dans cette vie, puisque ceux qui passent pour les plus grands sont toujours mêlés de dégoûts et d'amertume; qu'après les avoir possédés un peu de temps, on tombe dans la douleur de les perdre, sans espérance de pouvoir les recouvrer.

Quant à cette seconde manière d'oraison, que l'on nomme, comme je l'ai déjà dit, oraison de quiétude, il n'y a ni prière, ni travaux, ni pénitences qui nous la puissent faire acquérir. Il faut que ce soit Dieu luimême qui nous la donne; et il veut, pour faire paraître son immensité, qui le rend présent partout, que l'âme connaisse qu'elle n'a point besoin d'entremetteurs pour traiter avec lui, mais qu'elle peut lui parler. elle-même et sans élever sa voix, parce qu'elle est si proche de lui qu'elle n'a qu'à remuer les lèvres pour se faire entendre.

Il semble qu'il soit ridicule de parler ainsi, puisque personne n'ignore que Dieu nous entend toujours; mais je prétends dire qu'il veut alors montrer à l'âme quels sont les effets de sa présence, et lui faire connaître, par cette merveilleuse satisfaction intérieure et extérieure qu'il lui donne, si différente de toute celle d'ici-bas, qu'il commence d'agir en elle d'une manière particulière, et de remplir le vide que ses péchés y avaient fait.

L'âme ressent cette satisfaction dans le plus intime d'elle-même, sans savoir d'où ni comment elle la reçoit; elle ne sait pas même souvent ce qu'elle doit faire, ni ce qu'elle doit désirer et demander, parce qu'il lui semble que rien ne lui manque, quoiqu'elle ne puisse comprendre ce que c'est qu'elle a trouvé. J'avoue ne savoir non plus comment l'expliquer; j'aurais besoin en cela, ainsi qu'en plusieurs autres choses où je puis m'être trompée, de l'aide de la science, pour apprendre, à ceux qui l'ignorent, qu'il y a deux secours que Dieu donne, l'un général, et l'autre particulier; et que, dans ce dernier, il se fait si clairement connaître à l'âme, qu'elle croit le voir de ses propres yeux. Mais j'agis sans crainte, parce que je sais que ce que j'écris sera vu par des personnes si savantes et si habiles, que, s'il s'y rencontre des erreurs, ils ne manqueront pas de les corriger. Je voudrais néanmoins pouvoir bien expliquer ceci, parce qu'une âme à qui Dieu fait de semblables faveurs, dès qu'elle commence de s'occuper à l'oraison, n'y comprend rien, ni ne sait ce qu'elle doit faire; car si Dieu la mène par le chemin de la crainte, comme il m'a menée, elle se trouvera dans une fort grande peine, à moins qu'elle

ne rencontre quelqu'un qui lui donne lumière; mais alors cette peine se changera en consolation, parce qu'elle verra clairement quel est le chemin qu'elle doit tenir, et y marchera avec assurance.

En quel état que nous soyons, c'est un si grand avantage pour s'avancer de savoir ce que l'on doit faire, que j'ai beaucoup souffert et perdu beaucoup de temps, faute d'avoir cette connaissance. C'est ce qui me donne une grande compassion des âmes qui se trouvent seules et sans assistance, lorsqu'elles arrivent à ce point-là; car, encore que j'aie lu plusieurs livres spirituels qui traitent en quelque sorte de ce sujet, c'est fort obscurément; et, quand même ils en parleraient avec beaucoup de clarté, on aurait grande peine à le comprendre, à moins que d'être fort exercé dans cette manière d'oraison.

Je désirerais de tout mon cœur que Dieu me fit la grâce de représenter si clairement ce que cette oraison de quiétude, qui commence à nous mettre dans un état surnaturel, opère en l'âme, que l'on peut connaître par ces effets si c'est l'esprit de Dieu qui agit. Quand je dis qu'on le peut connaître, j'entends comme on le peut ici-bas; car, encore que ce soit l'esprit de Dieu, il est toujours bon de marcher avec crainte et retenue, parce qu'il pourra arriver que le démon se transformera en ange de lumière sans que l'âme s'en aperçoive, à moins que d'être déjà très-exercé à l'oraison.

J'ai d'autant plus de besoin d'une assistance particulière de NotreSeigneur pour bien expliquer ceci, que j'ai très-peu de loisir, à cause qu'étant dans une maison qui ne commence que de s'établir, ainsi qu'on le verra dans la suite, les heures que je suis obligée de passer avec la communauté et tant d'autres occupations, emportent et consument tout mon temps; ce qui fait qu'au lieu d'écrire de suite je n'écris qu'à diverses reprises, quoiqu'il me fallût du repos et que je désirasse d'en avoir, parce que, lorsque l'on n'écrit que par le mouvement de Dieu, on le fait beaucoup mieux et avec plus de facilité, car alors c'est comme si l'on avait devant ses yeux un modèle que l'on n'a qu'à suivre; au lieu que quand cela manque et que l'on n'agit que par soi-même, on n'entend pas plus ce langage que si c'était de l'arabe, bien qu'on ait passé plusieurs années dans l'exercice de l'oraison. Ainsi je trouve un si grand avantage d'y être, quand je travaille à cette relation, que je vois clairement que ce n'est pas mon esprit qui conduit ma main, et qu'il a si peu de part à ce que je fais, que je ne saurais, après l'avoir écrit, dire comment je l'ai écrit: ce que j'ai éprouvé diverses fois.

Il faut revenir à notre jardin spirituel, et dire comme ces plantes commencent à pousser des boutons, pour produire ensuite des fleurs et des fruits, et de quelle sorte ces fleurs se préparent à parfumer l'air par leur odeur. Cette comparaison me donne de la joie, parce que, lorsque je commençai à servir Dieu, ainsi qu'on le verra dans la suite de ma vie, s'il est vrai qu'il m'ait fait la grâce de commencer véritablement, il m'est souvent arrivé de considérer avec un extrême plaisir que mon âme était

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comme un jardin dans lequel il se promenait. Je le priais alors de vouloir augmenter la bonne odeur de ses vertus, qui, semblables à de petites fleurs, paraissent vouloir s'ouvrir, de les faire fleurir pour sa gloire que je recherchais seule, et non la mienne; de les nourrir après les avoir fait croitre, et de couper et tailler ces plantes comme il le jugerait à propos, afin de les faire pousser avec plus de force, J'use de ce terme parce qu'il arrive des temps auxquels l'âme ne reconnaît plus ce jardin, tant il lui paraît sec et aride, sans qu'elle ait aucun moyen de l'arroser pour le faire reverdir, se trouvant elle-même si sèche et si stérile qu'elle ne se souvient point d'avoir jamais eu aucune vertu. Le pauvre jardinier souffre beaucoup en cet état, parce que Notre-Seigneur veut qu'il lui semble qu'il a perdu toute la peine qu'il a prise à arroser et cultiver ce jardin; mais c'est alors le temps le plus propre pour arracher jusqu'aux moindres racines de ce peu de mauvaises herbes qui y restent, et qui ne peuvent être arrachées que par l'humilité que nous donne la connaissance que nous ne pouvons rien de nous-mêmes, et que tous nos travaux sont inutiles si Dieu ne nous favorise de l'eau de sa grâce; mais il ne recommence pas plus tôt à nous la donner, que l'on voit ces plantes pousser et croître de nouveau.

« O mon Seigneur et mon Dieu, qui faites toute ma béatitude, je ne <«< saurais, sans répandre des larmes de joie, dire, ainsi que je puis le dire << très-véritablement, que vous prenez plaisir d'être dans nous comme « vous êtes dans l'Eucharistie, et que, si ce n'est pas notre faute, nous << pouvons jouir de cet incomparable bonheur, puisque vous avez dit «< vous-même que vous preniez plaisir d'être avec les enfants des hommes. « Quelle parole, ô mon Sauveur! Je n'ai jamais pu l'entendre sans une <«<extrême consolation, lors même que mes péchés m'avaient le plus éloi« gnée de vous. Est-il possible, mon Dieu, qu'après que vous avez fait « de si grandes faveurs à une âme, et lui avez donné de telles preuves << de votre amour, qu'il lui est impossible de douter qu'elle les ait reçues, << tant les effets les lui rendent évidentes, elle continue à vous offenser? « Oui certes, Seigneur, cela n'est que trop possible, puisqu'il ne m'est « pas seulement arrivé une fois, mais plusieurs fois, et je souhaite de «< tout mon cœur d'être la seule coupable d'une si noire ingratitude. Il a «< plu néanmoins à votre infinie bonté d'en tirer quelque bien, et de faire « voir que c'est dans les plus grands maux que vous prenez plaisir à << faire éclater la grandeur de votre miséricorde. Combien me trouvai-je « donc obligée de la publier toute ma vie! Je vous supplie, mon Dieu, << de m'accorder la grâce de ne jamais y manquer, et de faire entendre à <«< tout le monde jusqu'où va l'excès des faveurs dont je vous suis rede<«<vable. Elles sont si grandes, que ceux qui en ont connaissance ne les << peuvent considérer sans s'étonner, et qu'elles me font souvent sortir « hors de moi-même, afin de vous mieux louer que je ne le pourrais au« trement; car, si je demeurais seule sans votre assistance, ne me trou

« verais-je pas réduite à voir sécher, dans ce jardin de mon âme, les

« fleurs spirituelles des vertus que vous y avez fait croître, et cette mi« sérable terre ne redeviendrait-elle pas aussi aride qu'elle l'était aupa«ravant? Ne le permettez pas, mon Sauveur, ne souffrez pas qu'une « âme que vous avez rachetée par tant de travaux, et que l'on peut dire << que vous avez encore rachteée diverses fois en la tirant d'entre les « griffes de ce dragon infernal, se perde misérablement. »

Pardonnez-moi, mon père, si je parais m'éloigner de mon sujet, et ne vous en étonnez point, puisque ce n'est pas en effet en sortir, et que, lorsque j'écris ceci, les extrêmes obligations que j'ai à Dieu, se représentant à mon esprit, je n'ai pas souvent peu de peine à me retenir pour ne m'étendre pas encore davantage à publier ses louanges. Je veux espérer que vous ne l'aurez pas pour désagréable, parce qu'il me semble que je puis, sur cela, chanter avec vous le même cantique, mais avec cette différence que je lui suis beaucoup plus redevable que vous, parce qu'il m'a pardonné plus de péchés, comme vous ne l'ignorez pas.

CHAPITRE XV.

La Sainte continue à traiter de l'oraison de quiétude ou de recueillement, et donne d'excellents avis sur ce sujet.

DE L'ORAISON DE QUIÉTUDE OU DE Recueillement.

Je reviens maintenant à mon sujet. Ce recueillement et cette tranquillité qui se rencontrent dans ce que l'on nomme oraison de quiétude, se fait beaucoup sentir à l'âme, par la satisfaction et par la paix qu'elle y trouve; ainsi son contentement est très-grand, et le repos dans lequel ses puissances sont alors, augmente le plaisir dont elle jouit. Comme elle n'est point encore arrivée à un grand bonheur et n'en connaît point qui le surpasse, il lui semble qu'elle n'a plus rien à souhaiter, et elle dirait volontiers, comme saint Pierre à Jésus-Christ: Seigneur, établissons ici notre demeure. Elle n'ose se remuer, et voudrait même quelquefois ne point respirer, tant elle appréhende que ce bonheur ne lui échappe, quoiqu'elle dût considérer que, n'ayant rien pu contribuer à l'attirer, elle peut encore moins le retenir plus longtemps qu'il ne plaît à Dieu qu'elle en jouisse.

J'ai déjà dit que dans cette oraison de quiétude les puissances de l'âme se trouvent si contentes d'être avec Dieu, qu'encore que, tandis qu'elle dure, la mémoire et l'entendement ne soient pas exempts de distractions, la volonté demeure toujours si unie à sa divine majesté, que non seulement elle ne perd point sa tranquillité et son repos, mais qu'elle rappelle même peu à peu ces deux autres puissances pour les obliger à se recueillir. Car, bien qu'elle ne soit pas entièrement abîmée en Dieu, elle est si occupée de lui, sans savoir en quelle manière cela se passe, que, quoi que fassent ces deux autres puissances, elles ne peuvent troubler sa joie, ni la distraire de travailler paisiblement à empêcher que cette étincelle de l'amour de Dieu, dont il lui plaît de la favoriser, ne s'éteigne.

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