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que le démon en donnait à saint Jérôme, au milieu même du désert. Comme j'ai souffert ces peines durant plusieurs années, je sais qu'elles. sont toujours récompensées; et ainsi je considérais comme une grande. faveur que Dieu, me faisait, lorsque je pouvais tirer quelques gouttes d'eau de ce puits. Ce n'est pas que je ne demeure d'accord que ces peines sont très-grandes, et que l'on a besoin de plus de courage pour les supporter que pour supporter plusieurs grands travaux que l'on souffre dans le monde; mais j'ai reconnu clairement que Dieu les récompense avec tant de libéralité, même dès cette vie, qu'une heure de consolation qu'il m'a donnée depuis dans l'oraison m'a payée de tout ce que j'y avais souffert durant si longtemps. Il me semble que Notre-Seigneur permet que ces peines, et plusieurs autres tentations, arrivent aux uns au commencement, et aux autres dans la suite de leur exercice en l'oraison, pour éprouver leur amour pour lui, et connaître s'ils pourront se résoudre à boire son calice, et à lui aider à porter sa croix, avant qu'il ait enrichi leurs âmes par de plus grandes faveurs. Je suis persuadée que cette conduite de Dieu sur nous est pour notre bien, parce que les grâces. dont il a dessein de nous honorer dans la suite sont si grandes, qu'il veut auparavant nous faire éprouver quelle est notre misère, afin qu'il ne nous arrive pas ce qui arriva à Lucifer.

« Que faites-vous, Seigneur, qui ne soit pour le plus grand bien d'une «< âme, lorsque vous connaissez qu'elle est à vous, qu'elle s'abandonne << entièrement à votre volonté, qu'elle est résolue de vous suivre partout « jusqu'à la mort, et à la mort de la croix, de vous aider à porter cette <«< croix, et enfin de ne vous abandonner jamais? »

Ceux qui se sentent être dans cette résolution, et avoir ainsi renoncé à tous les sentiments de la terre pour n'en avoir que de spirituels, n'ont rien à craindre. Car qui peut affliger ceux qui sont déjà dans un état si élevé, que de considérer avec mépris tous les plaisirs que l'on goûte dans le monde, et de n'en rechercher point d'autres que de converser seuls avec Dieu? Le plus difficile est fait alors. Rendez-en grâces, bienheureuses ámes, à sa divine majesté; confiez-vous en sa bonté, qui n'abandonne jamais ceux qu'elle aime; et gardez-vous bien d'entrer dans cette pensée: pourquoi donne-t-il à d'autres, en si peu de jours, tant de dévotion, et ne me la donne pas en tant d'années? Croyons que c'est pour notre plus grand bien; et puisque nous ne sommes plus à nous-mêmes, mais à Dieu, laissons-nous conduire par lui comme il lui plaira. Il nous fait assez de grâces de nous permettre de travailler dans son jardin, et d'y être auprès de lai, comme nous ne saurions n'y point être, puisqu'il y est toujours. S'il veut que ces plantes et ces fleurs croissent et soient arrosées, les unes par l'eau que l'on tire de ce puits, et les autres sans cau, que nous importe?

« Faites donc, Seigneur, tout ce qu'il vous plaira, pourvu que vous << ne permettiez pas que je vous offense, et que je renonce à la vertu, si « vous m'en avez donné quelqu'une dont je ne suis redevable qu'à

vous seul. Je désire souffrir puisque vous avez souffert; je souhaite que votre volonté soit accomplie en moi, en toutes les manières que « vous l'aurez agréable; et ne permettez pas, s'il vous plaît, qu'un « trésor d'un aussi grand prix que votre amour enrichisse ceux qui ne « vous servent que pour en recevoir des consolations. »

Il est essentiel de remarquer, et l'expérience que j'en ai, fait que je ne crains point de le dire, qu'une âme qui commence à marcher dans ce chemin de l'oraison mentale avec une ferme résolution de continuer et de ne pas faire grand cas des consolations et des sécheresses qui s'y rencontrent, ne doit pas craindre, quoiqu'elle bronche quelquefois, de retourner en arrière, ni de voir renverser cet édifice spirituel qu'elle commence, parce qu'elle le bâtit sur un fondement inébranlable. Car. l'amour de Dieu ne consiste pas à répandre des larmes, ni en cette satisfaction et cette tendresse que nous désirons d'ordinaire, parce qu'elles nous consolent; mais il consiste à servir Dieu avec courage, à exercer la justice et à pratiquer l'humilité. Autrement, il me semble que ce serait vouloir toujours recevoir et ne jamais rien donner.

Pour des femmes faibles comme moi, je crois qu'il est bon que Dieu les favorise par des consolations telles que j'en reçois maintenant de sa divine majesté, afin de leur donner la force de supporter les travaux qu'il lui plaît de leur envoyer, ainsi que j'en ai eu assez; mais je ne saurais souffrir que des hommes savants, de grand esprit, et qui font profession de servir Dieu, fassent tant de cas de ces douceurs qui se trouvent dans la dévotion, et se plaignent de ne les point avoir. Je ne dis pas que, s'il plaît à Dieu de les leur donner, ils ne les reçoivent avec joie, parce que c'est une marque qu'il juge qu'elles peuvent leur être avantageuses; je dis seulement que, s'ils ne les ont pas, ils ne s'en mettent point en peine, mais qu'ils croient qu'elles ne leur sont point nécessaires, puisque Notre-Seigneur ne les leur accorde pas; qu'ils demeurent tranquilles, et qu'ils considèrent l'inquiétude et le trouble d'esprit comme une faute et une imperfection qui ne convient qu'à des âmes lâches, ainsi que je l'ai vu et éprouvé.

Je ne dis pas tant ceci pour ceux qui commencent, quoiqu'il leur importe beaucoup d'entrer dans ce chemin avec cette résolution et cette liberté d'esprit, que je le dis pour ce grand nombre d'autres qui, après avoir commencé à marcher, n'avancent point; et je crois que l'on doit principalement en attribuer la cause à ce qu'ils ne se sont pas d'abord fortement résolus d'embrasser la croix. Aussitôt que leur entendement cesse d'agir, ils s'imaginent qu'ils ne font rien et s'affligent, quoique ce soit peut-être alors que leur volonté se fortifie, sans qu'ils s'en aperçoivent. Ce qu'ils considèrent comme des manquements et des fautes n'en est point aux yeux de Dieu. Il connaît mieux qu'eux-mêmes leur misère, et se contente du désir qu'ils ont de penser toujours à lui et de l'aimer. C'est la seule chose qu'il demande d'eux ; et ces tristesses ne servent qu'à inquiéter l'âme, et à la rendre encore plus incapable de s'avancer.

Je puis dire avec certitude, comme le sachant par diverses expériences. et observations que j'en ai faites, et par les conférences que j'ai eues avec des personnes fort spirituelles, que cela vient souvent de l'indisposition du corps. Notre misère est si grande, que, tandis que notre âme est enfermée dans cette prison, elle participe à ses infirmités; le changement de temps et la révolution des humeurs font que, sans qu'il y ait de sa faute, elle ne peut faire ce qu'elle voudrait, et souffre en diverses. manières. Alors, plus on veut la contraindre, plus le mal augmente; ainsi il est besoin de discernement pour connaître quand la faute procède de là, et ne pas achever d'accabler l'âme. Ces personnes doivent se considérer comme malades, changer même, durant quelques jours, l'heure de leur oraison, et passer comme elles pourront un temps si fâcheux, puisque c'est une assez grande affliction à une âme qui aime Dieu, de se voir réduite à ne pouvoir le servir comme elle le désire, à cause des infirmités que son corps lui communique, par la liaison qu'il a avec elle.

Je dis qu'il faut user de discernement, parce qu'il arrive quelquefois, que c'est le démon qui cause ce mal; et qu'ainsi, comme il ne faut pas toujours quitter l'oraison, quoique l'esprit soit distrait et dans le trouble, il ne faut pas non plus toujours gêner une âme, en voulant lui faire faire plus qu'elle ne peut. Il y des œuvres extérieures de charité, et des lectures auxquelles elle pourra s'occuper. Que si elle n'est pas même capable de cela, elle doit s'accommoder, pour l'amour de Dieu, à la faiblesse de son corps, afin de le rendre capable de servir à son tour. Il faut se divertir par de saintes conversations; et même prendre l'air des champs, si le confesseur en est d'avis. L'expérience nous apprend ce qui nous convient de plus en cela. En quelque état que l'on se trouve, on peut servir Dieu. Son joug est doux, et il importe extrêmement de ne pas contraindre et gêner. l'âme, mais de la conduire avec douceur à ce qui lui est le plus utile.

Je le répète encore, et je ne saurais trop le répéter, il ne faut ni s'inquiéter ni s'affliger de ces sécheresses, de ces inquiétudes, et de ces distractions de notre esprit. Il ne saurait se délivrer de ces peines qui le gênent, et acquérir une heureuse liberté, s'il ne commence à ne point. appréhender les croix; mais alors Notre-Seigneur l'aidera à les porter; sa tristesse se changera en joie, et il avancera beaucoup. Autrement, n'est-il pas évident, par ce que j'ai dit, que, s'il n'y a point d'eau dans le puits, nous ne saurions y en mettre? Mais il n'y a rien que nous ne devions faire pour en tirer s'il y en a, parce que Dieu veut que notre travail soit le prix de notre vertu, et qu'elle ne peut augmenter que par ce.. moyen.

CHAPITRE XII.

La Sainte continue à parler de l'oraison mentale. Elle dit qu'il faut bien se garder... de prétendre à un état plus élevé, si Dieu lui-même ne nous y élève. Elle raporte comme Dieu la rendit, en un moment, capable de faire connaître à ses confesseurs, les grâces dont il la favorisait.

de l'oraison meENTALE (suite).

Mon dessein, dans le précédent chapitre, où j'ai fait plusieurs digressions qui m'ont paru nécessaires, a été de montrer comment nous pouvons contribuer à acquérir cette première sorte de dévotion que j'ai dit être l'oraison mentale. Nous ne saurions nous représenter ce que NotreSeigneur a souffert pour nous, sans en être touchés d'une extrême compassion; mais la douleur qu'elle excite en nous et les larmes qu'elle nous fait répandre, sont mêlées de consolations; et nous ne saurions penser à l'amour qu'il nous porte, à sa résurrection, ni à la part qu'il veut nous donner à sa gloire, sans ressentir une grande joie, qui n'est ni toute spirituelle, ni toute sensuelle, mais qui n'est pas moins louable que la peine que ces souffrances nous ont causée n'est mé ritoire.

Tout ce qui nous porte à la dévotion par le moyen de l'entendement est de cette sorte, et nous y avons quelque part, quoique sans l'assistance de Dieu nous ne pourrions jamais y arriver. Lorsqu'il a mis une âme en cet état, elle ne doit point aspirer plus haut; et il faut bien remarquer ceci, parce que cette prétention causerait sa perte. Elle doit seulement faire plusieurs actes qui la portent à ne trouver rien de difficile pour servir Dieu, à augmenter son amour pour lui, et autres choses semblables, qui l'aident à s'avancer dans la vertu. En quoi on peut utilement se servir d'un livre qui porte pour titre: L'art de servir Dieu. L'âme se présentera alors Jésus-Christ, comme s'il était devant ses yeux, concevra de grands sentiments d'amour pour sa sainte humanité, lui tiendra toujours compagnie, lui parlera, l'invoquera dans ses besoins, se soulagera dans ses travaux en lui représentant ce qu'elle souffre, augmentera ses consolations en s'en réjouissant avec lui, au lieu de se porter par là à l'oublier, et n'emploiera point en tout cela de prières étudiées, mais usera seulement de paroles conformes à ses désirs et à ses besoins. C'est un excellent moyen de s'avancer en peu de temps, et je crois qu'on l'est déjà beaucoup, lorsque l'on travaille à acquérir cette précieuse présence de Dieu, à s'en servir utilement, et à s'efforcer de reconnaître, par un amour sincère pour lui, les obligations qu'on lui a.

En agissant de la sorte, on ne doit point, comme je l'ai dit, se mettre en peine de n'avoir pas de sentiments de dévotion, mais penser sculement à plaire à Dieu, qui nous donne le désir de le contenter, quoique nos œuvres ne répondent pas à ce désir. En quelque état que nous soyons, cette vue de Jésus-Christ, que nous considérons comme présent, est un moyen très-assuré pour nous avancer dans la première manière d'oraison dont j'ai parlé, passer en peu de temps dans la seconde, et ensuite dans les deux autres, sans avoir sujet d'appréhender les piéges que le diable pourrait nous tendre

J'ai fait voir jusqu'ici ce que nous pouvons faire, à mon avis, pour

entrer dans cette première manière d'oraison. Que si, pour passer outre, et chercher ces goûts et ces consolations que Dieu donne à qui il lui plaît, on fait des efforts d'esprit, on perdra ce que l'on avait déjà, en voulant acquérir ce que l'on n'a pas. Car, ces goûts et ces consolations étant surnaturels, la recherche que l'on en fait par les voies humaines. est inutile; et l'entendement cessant d'agir, l'âme demeure dénuée de tout et dans une extrême sécheresse.

Comme tout cet édifice est fondé sur l'humilité, plus nous nous approchons de Dieu, plus nous devons pratiquer cette vertu, et nous ne saurions y manquer, sans que tout l'édifice tombe par terre: car n'est-ce pas un grand orgueil de vouloir monter plus haut, au lieu de reconnaître que Dieu nous fait trop de grâces de nous permettre d'approcher de lui?

Je n'entends pas, en disant ceci, parler des pensées que l'ont peut avoir des choses célestes, de Dieu, de son infinie grandeur et de son adorable sagesse, qui sont toutes pensées très-saintes, et que je n'ai jamais eues, en étant si incapable et si misérable, que je n'aurais pu sculement rien comprendre aux choses terrestres, si Dieu ne m'en eût fait la grâce; mais d'autres pourront se servir utilement de ces considérations, principalement s'ils sont savants; la science me paraissant très-avantageuse dans un tel sujet, lorsqu'elle est accompagnée d'humilité. Je l'ai reconnu, depuis peu de jours, en quelques personnes doctes, qui ont fait, en fort peu de temps, un fort grand progrès dans l'oraison; ce qui me fait extrêmement désirer qu'il y ait un grand nombre de savants, comme on le verra dans la suite.

Ce que j'ai dit, que nous ne devons point aspirer plus haut, mais attendre que Dieu nous y élève, est une manière de parler spirituelle; et j'en laisse l'intelligence à ceux qui en ont fait l'expérience, ne pouvant m'expliquer mieux. Dans cette théologie mystique dont j'ai commencé de parler, l'entendement cesse d'agir, parce que Dieu le suspend (1),

(1) Cette suspension de l'entendement dont la Sainte parle ici, et qu'elle nomme théologie mystique, c'est lorsque Dieu découvre à l'âme un amas de choses surnaturelles et divines, et qu'il la remplit d'une si grande lumière, qu'elle les voit toutes distinctement d'une seule vue sans avoir besoin pour cela ni de discours, ni de raisonnements, ni de travail, l'attention qu'elle y a étant si forte, qu'elle ne peut en avoir à d'autres choses. Cette lumière ne la rend pas seulement capable de voir et d'admirer ces divins objets; elle passe jusqu'à la volonté; elle l'enflamme et la rend toute brûlante d'amour. Ainsi, tandis que cela dure, l'entendement est si étonné et si attaché à ce qu'il voit, qu'il ne peut considérer autre chose: la volonté, comme je l'ai dit, brûle d'amour; et la mémoire demeure sans action, parce que l'âme est si occupée de la joie qu'elle ressent, qu'elle perd le souvenir de tout le reste. Quant à ce que la Sainte dit, que cette élévation et suspension est surnaturelle, elle entend que l'âme påtit plus alors qu'elle n'agit. A l'égard de ce qu'elle ajoute, que l'on ne doit point entreprendre de s'élever par soi-même à cet état, mais attendre que Dieu nous y élève, deux raisons le lui font dire: l'une que nous travaillerions en vain, parce que cela surpasse nos forces; et l'autre, parce que ce serait manquer d'humilité. Ce n'est pas sans sujet qu'elle donne cet avis, pour empêcher que l'on ne tombe dans l'erreur qui se rencontre en quelques traités d'oraison, qui conseillent de suspendre entièrement la pensée, de ne se figurer quoi que ce soit, et de ne pas presque respirer; d'où il arrive qu'au lieu de s'enflammer dans la piété et l'amour de Dieu, on tombe dans la froidenf ét dans l'indévotion.

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