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« pendant de l'aimer telle qu'elle est. Vous lui tenez compte des moments « où elle vous témoigne de l'amour, et un léger repentir vous fait ou« blier toutes ses fautes. Je l'ai éprouvé, mon Créateur, etje ne comprends << pas comment tout le monde ne tâche point de s'approcher de vous « pour avoir quelque part au bonheur de votre amitié. Les méchants «< qui sont si éloignés de vous par leurs mauvaises habitudes doivent « s'en approcher, afin que vous les rendiez bons, et que vous souffriez « d'être avec eux durant quelques heures chaque jour, encore qu'ils ne << soient pas avec vous, ou que, s'ils y sont, ce ne soit comme j'y étais, <«< qu'avec mille distractions que les soins et les pensées du monde leur «< donnent. Je sais qu'il ne saurait au commencement, ni quelquefois « même dans la suite, se défendre de ces distractions; mais, pour les « récompenser de la contrainte qu'ils se font de demeurer avec vous, « vous empêchez les démons de les attaquer si fortement qu'ils feraient, << vous diminuez le pouvoir que ces esprits de ténèbres auraient de leur «< nuire; et vous donnez enfin à ces âmes le pouvoir de les surmonter et « de les vaincre. Ainsi, ô mon Dieu! qui êtes la vie de tous ceux qui se «< confient en votre assistance, vous n'en laissez perdre aucun; mais en « rendant la santé de leur corps plus vigoureuse, vous leur donnez << aussi celle de l'âme. »

Je ne sais d'où peut procéder la crainte de ceux qui appréhendent de faire l'oraison mentale; mais je n'ai pas peine à comprendre que le démon nous jette dans l'esprit de vaines terreurs pour nous faire un mal véritable, en nous empêchant de penser aux offenses que nous avons commises contre Dieu, à tant d'obligations que nous lui avons, aux extrêmes travaux et aux incroyables douleurs que Notre-Seigneur a souffertes pour nous racheter, aux peines de l'enfer, et à la gloire du paradis.

C'étaient là, dans les périls que j'ai courus, les sujets de mon oraison, et à quoi mon esprit s'appliquait quand il le pouvait. Il m'est arrivé quelquefois, durant plusieurs années, de désirer tellement que le temps d'une heure que je m'étais prescrit pour faire oraison fût achevé, que j'étais plus attentive à écouter quand l'heure sonnerait, qu'aux sujets de ma méditation, et il n'y a point de pénitence, quelque rigoureuse qu'elle fût, que je n'eusse souvent plutôt acceptée que la peine que j'avais de me retirer pour prier. La répugnance que le diable me causait, ou ma mauvaise habitude était si violente, et la tristesse que je ressentais en entrant dans l'oratoire était si grande, que j'avais besoin, pour m'y résoudre, de tout le courage que Dieu m'a donné, et que l'on dit aller beaucoup au-delà de mon sexe, dont j'ai fait un si mauvais usage; mais enfin Notre-Seigneur m'assistait; car, après m'être fait cette violence, je me trouvais tranquille et consolée, et j'avais même quelquefois désir de prier.

Que si, étant si imparfaite et si mauvaise, Dieu m'a soufferte pendant si longtemps, et s'il paraît clairement que ç'a été par le moyen de

l'oraison qu'il a remédié à tous mes maux, qui sera celui, quelque méchant qu'il soit, qui devra appréhender de s'y engager, puisque je ne crois pas qu'il s'en trouve aucun autre qui, après avoir reçu de Dieu tant de grâces, en ait été si ingrat durant tant d'années? qui peut, disje, manquer de confiance, en voyant quelle a été sa patience envers moi, parce que je tâchais de me retirer pour demeurer avec lui, quoique souvent avec tant de répugnance, qu'il me fallait faire un grand effort sur moi, ou qu'il m'y poussât contre mon gré ?

Si l'oraison est donc si nécessaire et si, utile à ceux qui non-seulement ne servent pas Dieu, mais qui l'offensent, comment ceux qui le servent pourraient-ils l'abandonner sans en recevoir un grand préjudice, puisque ce serait se priver de la consolation la plus capable de soulager les travaux de cette vie, et comme vouloir fermer la porte à Dieu lorsqu'il vient pour nous favoriser de ses grâces?

Je ne saurais penser sans compassion à ceux qui servent Dieu en cet état, et que l'on peut dire en quelque manière le servir à leurs dépens. Car, quant aux personnes qui font oraison, il les en récompense par des consolations qui rendent leurs peines si faciles à supporter, qu'elles peuvent passer pour très-légères. Mais, comme je traiterai amplement ailleurs des faveurs que Dieu fait à ceux qui persévèrent en l'oraison, je n'en dirai pas ici davantage. J'ajouterai seulement que l'oraison a été le moyen dont Dieu s'est servi pour me faire tant de faveurs, et que je ne vois pas comment il peut venir à nous, si nous lui fermons cette porte, parce que lorsqu'il a résolu d'entrer dans une âme pour se plaire en elle et la combler de ses grâces, il veut la trouver seule, pure, et dans le désir de le recevoir. Ainsi, comment pouvons-nous espérer qu'il accomplisse un dessein qui nous est si avantageux, si, au lieu de lui en faciliter les moyens, nous y apportons de l'obstacle?

Pour faire connaître quelle est la miséricorde de Dieu et l'avantage que je tirai de ne point abandonner l'oraison et la lecture, il faut que je parle ici de l'artifice dont le démon se sert pour perdre les âmes, et de la bonté et de la conduite dont Notre-Seigneur use pour les regagner, afin que mon exemple serve à faire éviter les périls dans lesquels je suis tombée. Sur quoi je les conjure, par l'amour qu'elles doivent avoir pour ce divin Sauveur et par celui qu'il leur porte, de prendre garde principalement à fuir les occasions; car, lorsqu'on s'y engage, quel sujet n'y a-t-il point de trembler, ayant tant d'ennemis à combattre, et si peu de force pour nous défendre!

Je voudrais pouvoir bien représenter la servitude où mon âme se trouvait alors réduite. Je connaissais assez qu'elle était captive; mais je ne comprenais pas en quoi, et j'avais peine à croire que ce que mes confesseurs ne considéraient que comme des fautes légères fût un aussi grand mal qu'il me semblait être. L'un d'eux, à qui je dis le scrupule que cela me donnait, me répondit qu'encore que je fusse dans une haute

contemplation, de semblables occasions et entretiens ne m'étaient point préjudiciables. Ceci m'arriva sur la fin, lorsque, avec l'assistance de Dieu, je prenais davantage de soin d'éviter les grands périls, mais je ne fuyais pas encore entièrement les occasions.

Comme mes confesseurs me voyaient dans de si bons désirs et que je m'occupais à l'oraison, ils s'imaginaient que je faisais beaucoup; mais je sentais bien dans le fond de mon cœur que je n'en faisais pas assez pour répondre aux obligations que j'avais à Dieu. Je ne saurais maintenant penser, sans un extrême regret, à tant de fautes que cela me fit commettre, et au peu de secours que l'on me donnait pour les éviter, n'en recevant que de Dieu seul. Car ceux qui auraient dû m'ouvrir les yeux pour me faire connaître mes manquements me donnaient au contraire la liberté de continuer, en me disant que ces satisfactions et ces divertissements auxquels j'aurais dû renoncer étaient permis.

J'avais une telle affection pour les prédications, que je n'aurais pu en être privée sans en ressentir beaucoup de peine; et je ne pouvais entendre bien prêcher sans concevoir une grande amitié pour le prédicateur, quoique je ne susse d'où cela venait. Il n'y avait point de sermon qui ne me parût bon, encore que je visse les autres en porter un jugement tout contraire; mais lorsqu'en effet il était bon, ce m'était un plaisir sensible; et, depuis que j'ai commencé à faire oraison, je ne me suís jamais lassée de parler ni d'entendre parler de Dieu. Que si, d'un côté, les prédications me donnaient tant de consolation, elles ne m'affligeaient pas peu de l'autre, parce qu'elles me faisaient connaître combien j'étais éloignée d'être telle que je devais. Je priais Dieu de m'assister; mais il me semble que je commettais une grande faute, en ce que, au lieu de mettre toute ma confiance en lui seul, j'en avais encore en moi-même. Je cherchais des remèdes à mes maux et me tourmentais assez; mais je ne considérais pas que tous mes efforts seraient inutiles, si je ne renonçais entièrement à cette confiance que j'avais en moi pour n'avoir recours qu'à lui seul. Mon âme désirait vivre, et je voyais bien que ce n'était pas vivre que de combattre ainsi sans cesse contre une espèce de mort. Mais il n'y avait personne qui me pût donner cette vie après laquelle je soupirais; je ne pouvais moi-même me la donner, et Dieu, de qui seul je pouvais la recevoir, me la refusait avec justice, puisqu'après m'avoir fait la grâce de me ramener tant de fois à lui, je l'avais toujours abandonné.

CHAPITRE IX.

Impression qu'une image de Jésus-Christ tout couvert de plaies fit dans l'esprit de la Sainte. Avantages qu'elle tirait de se représenter qu'elle l'accompagnait dans sa solitude, et de la lecture des confessions de saint Augustin. Qu'elle na jamais osé demander à Dieu des consolations.

Dans un état si déplorable, mon âme se trouvait lasse et abattue, et

je cherchais inutilement du repos dans mes mauvaises habitudes. Entrant un jour dans l'oratoire, j'y vis une image de Jésus-Christ tout couvert de plaies, que l'on avait empruntée pour une fête qui se faisait dans notre maison. Cette image était si dévote et représentait si vivement ce que Notre-Seigneur a souffert pour nous, que je me sentis pénétrée de l'impression qu'elle fit en moi par la douleur d'avoir si mal reconnu tant de souffrances endurées par mon Sauveur pour notre salut. Mon cœur semblait se vouloir fendre; et alors, toute fondante en larmes, et prosternée contre terre, je priai ce divin Sauveur de me fortifier de telle sorte, qu'à commencer dès ce moment je ne l'offensasse jamais.

J'avais une dévotion particulière pour sainte Madeleine, et pensais souvent à sa conversion, principalement lorsque je communiais, parce qu'étant assurée que j'avais Notre-Seigneur au-dedans de moi, je me jetais comme elle à ses pieds, dans la croyance qu'il serait touché de mes larmes. Mais je ne savais ce que je faisais; car c'était beaucoup qu'il souffrit que je les répandisse, puisque le sentiment qui les tirait de mes yeux s'effaçait si tôt de mon cœur. Je me recommandais à cette glorieuse sainte pour obtenir de Dieu, par son intercession, qu'il me pardonnât.

Il me paraît que rien ne m'avait encore tant servi que la vue de cette image dont je viens de parler, parce que je commençais à beaucoup me défier de moi-même, et à mettre toute ma confiance en Dieu. Il me semble que je lui dis alors que je ne partirais point de là jusqu'à ce qu'il lui eût plu d'exaucer ma prière; et je crois qu'elle me fut très-utile, ayant été, depuis ce jour, beaucoup meilleure qu'auparavant.

Comme je ne pouvais discourir avec l'entendement, ma manière d'oraison était de me représenter Jésus-Christ au-dedans de moi, et de le considérer dans les lieux où il était le plus seul et où il souffrait davantage, parce qu'il me semblait qu'en cet état il était encore plus touché des prières de ceux qui, comme moi, avaient tant besoin de son assistance. J'avais beaucoup de ces simplicités, et ne me trouvais nulle part si bien que quand je l'accompagnais en esprit dans le jardin des Oliviers, et me représentais cette incroyable souffrance qui lui fit, dans son agonie, arroser la terre de son sang. Je désirais ardemment de l'essuyer; mais la vue du grand nombre de mes péchés m'empêchait d'oser l'entreprendre. Je demeurais là aussi longtemps que mes pensées n'étaient point troublées par ces autres pensées qui me donnaient tant de peine. Durant plusieurs années et avant même que d'être religieuse, orsque je me recommandais à Dieu avant de m'endormir, je pensais toujours un peu à cette oraison de Jésus-Christ dans le jardin, parce que l'on m'avait dit que l'on pouvait gagner par là plusieurs indulgences. Je suis persuadée que cela me servit beaucoup, à cause que je commençai, par ce moyen, à faire oraison sans savoir que je la faisais ; et j'y

étais si accoutumée, que je n'y manquais pas plus qu'à faire le signe de la croix.

Pour revenir à la peine que j'avais dans ces méditations où l'entendement n'agit point, je dis que l'âme y perd ou y gagne beaucoup. Elle y perd en ce que l'esprit n'a rien à quoi s'attacher, et elle y gagne à cause que son amour pour Dieu est la seule chose dont elle s'occupe; mais elle ne souffre pas peu avant que d'en venir là, ci ce n'est que Dieu lui veuille donner bientôt l'oraison de quiétude, ainsi que je l'ai vu arriver a certaines personnes; et, quand on marche par ce chemin, il est bon d'avoir un livre afin de pouvoir se recueillir. La vue des campagnes, des eaux, des fleurs et autres choses semblables réveillaient aussi mon esprit, y rappelaient le souvenir de leur créateur, et le portaient à se recueillir, lors même que j'étais la plus ingrate envers Dieu, et l'offensais davantage. Mais, quant aux choses célestes et sublimes, mon entendement était si grossier, qu'il ne m'a jamais été possible de me les imaginer jusqu'à ce que le Seigneur me les ait représentées dans une autre voie.

Mon incapacité en cela était si extraordinaire, qu'à moins que de voir les objets de mes propres yeux, je ne pouvais me les imaginer, ainsi que les autres font lorsqu'ils se recueillent en eux-mêmes. Tout ce que je pouvais faire était de penser à Jésus-Christ en tant qu'homme; mais, quoi que mes lectures m'apprissent de ses divines perfections, et que je visse plusieurs de ses images, je ne pouvais me le représenter au-dedans de moi. J'étais comme un aveugle, ou comme une personne qui se trouve dans une telle obscurité, que, parlant à une autre qu'elle est très-assurée être présente, elle ne la voit point : c'est ce qui m'arrivait lorsque je pensais à Notre-Seigneur, et ce qui faisait que je prenais tant de plaisir à considérer ses images. Que ceux qui négligent de se procurer ce secours sont malheureux ! c'est une marque qu'ils n'aiment point leur Sauveur; car, s'ils l'aimaient, ne prendraientils pas plaisir à voir son portrait, comme on en prend à voir ceux de ses amis ?

AVANTAGE QUE TIRE LA SAINTE DE LA LECTURE DES CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN.

Je n'avais point lu, jusqu'alors, les Confessions de saint Augustin, et Dieu permit, par une providence particulière, qu'on me les donnât sans que j'y pensasse. J'étais fort affectionnée à ce saint, tant parce que le monastère où j'avais demeuré séculière était de son ordre, qu'à cause qu'il avait été pécheur, et que je trouvais de la consolation à penser aux saints que Dieu avait convertis à lui, après en avoir été offensé, parce que j'espérais qu'ils m'assisteraient pour obtenir de sa miséricorde de me pardonner. Mais je ne pouvais penser qu'avec beaucoup de douleur que depuis qu'il les avait une fois appelés à lui, ils n'étaient plus retombés dans les mêmes péchés, au lieu qu'il m'avait appelée tant de

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