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suadée de tout ce que l'on dit de ces sortiléges; mais je dirai ce que j'en ai vu, afin que les hommes se gardent de ces détestables créatures qui, après avoir renoncé à toute crainte de Dieu, et à la pudeur que leur sexe les oblige d'avoir en si grande recommandation, sont capables de commettre toute sorte de crimes pour satisfaire aux passions que le démon leur inspire. Quelque grande pécheresse que je sois, je n'ai jamais été tentée d'ajouter foi, ni d'avoir recours à ces moyens diaboliques; je n'ai jamais eu intention de mal faire; et je n'aurais jamais voulu, quand je l'aurais pu, contraindre quelqu'un de m'aimer, parce que Dieu m'a empêchée de tomber dans ces crimes, où, s'il m'eût abandonnée à moi-même, je serais tombée comme les autres, n'y ayant en moi que misères et faiblesse. Lorsque j'eus appris tout ce particulier, je témoignai à cet ecclésiastique plus d'affection qu'auparavant en quoi mon intention était bonne; mais ma conduite ne l'était pas, puisque l'on ne doit jamais faire le moindre mal pour en tirer du bien, quelque grand qu'il soit. Je ne lui parlais presque toujours que de Dieu, et cela put lui servir; mais je crois que cette grande amitié qu'il avait pour moi fut ce qui le fit résoudre à me remettre entre les mains cette médaille. Je la fis jeter dans la rivière, et il se trouva aussitôt comme un homme qui se réveille d'un profond sommeil. Tout ce qu'il avait fait durant un si longtemps se représenta à ses yeux; il en fut épouvanté, connut la grandeur de son péché, et en conçut de l'horreur. Je ne doute point que la sainte Vierge ne l'ait extrêmement assisté en cette rencontre; car il avait une grande dévotion pour la fête de la Conception, et la solennisait trèsparticulièrement. H abandonna entièrement cette malheureuse femme, et ne pouvait se lasser de rendre grâces à Dieu de lui avoir ouvert les yeux pour sortir d'un si grand aveuglement. Il mourut au bout d'un an que j'avais commencé à le voir, et il en avait passé plusieurs au service de Dieu. Je n'ai jamais cru que l'affection qu'il me portait fût mauvaise, quoiqu'elle eût pu être plus pure, et il s'est rencontré des occasions où j'aurais pu commettre de grandes fautes, si je n'avais toujours appréhendé d'offenser Dieu; mais, comme je l'ai déjà dit, je n'aurais jamais voulu faire ce que j'aurais cru être un péché mortel; et il me semble que cette disposition, dans laquelle cet ecclésiastique me voyait, augmentait l'affection qu'il avait pour moi, parce que, si je ne me trompe, les hommes estiment beaucoup plus les femmes lorsqu'ils les voient portées à la vertu, et elles acquièrent par ce moyen un plus grand pouvoir sur leur esprit, comme on le connaîtra dans la suite. Ainsi je suis persuadée que Dieu fera miséricorde à ce prêtre; car il mourut dans de fort bonnes dispositions, très-détaché de ce dangereux commerce, et il semble que Notre-Seigneur voulût le sauver par le moyen que j'ai dit.

J'eus durant trois mois de très-grandes douleurs au lieu dont je viens de parler, parce que les remèdes étaient plus forts que la délicatesse de ma complexion ne pouvait porter. Les médecins qui me virent du– rant les deux premiers mois me mirent presque à l'extrémité, et ce mal

de cœur si extraordinaire, pour lequel on me traitait, s'augmenta avec tant de violence, qu'il me semblait quelquefois qu'on me l'arrachait avec des ongles de fer; et il me mettait dans un tel état, que l'on appréhendait que l'excès d'une douleur si insupportable ne passât jusqu'à la rage. La fièvre ne me quittait point; les médecines que l'on m'avait données sans discontinuation durant un mois m'avaient si extrêmement abattue que j'étais réduite à ne pouvoir prendre que des bouillons; le feu qui dévoraient mes entrailles fit que mes nerfs se retirèrent avec des douleurs si excessives, que je n'avais ni jour ni nuit un seul moment de repos; et tant de maux joints ensemble me mirent dans une profonde tristesse.

Mon père me ramena alors au lieu d'où j'étais partie, les médecins me virent encore, et perdirent toute espérance de me guérir, parce que, outre tous ces maux, j'étais étique. Mais ce qui me donnait de la peine n'était pas de me voir condamnée par eux, c'étaient les douleurs que ce retirement de nerfs me faisait souffrir depuis la tête jusqu'aux pieds, et qu'ils disaient eux-mêmes être des plus grandes que l'on saurait endurer. Ainsi l'on aurait pu dire que j'aurais été à plaindre dans un si étrange tourment, si mes péchés ne l'eussent bien mérité.

Trois mois se passèrent dans cette souffrance, et on ne comprenait pas comment il était possible que je résistasse à tant de maux joints ensemble. Ils étaient tels que je ne puis m'en souvenir sans étonnement, et ne point considérer comme une grâce particulière de Dieu la patience qu'il me donna, et que l'on connaissait visiblement venir de lui seul. L'histoire de Job, que j'avais lue dans les Morales de saint Grégoire, me servit beaucoup, et il paraît que Dieu, pour me donner la force de supporter tant de douleurs, me prépara par cette lecture et par le secours que je tirais aussi de ce que je commençais à faire oraison. Tous mes entretiens n'étaient qu'avec lui seul, et j'avais presque toujours dans l'esprit et dans la bouche ces paroles de Job, que je sentais, ce me semblait, me fortifier: Après avoir reçu tant de bienfaits de la main de Dieu, pourquoi ne souffrirais-je pas avec patience les maux qu'll m'envoie ?

Je fus travaillée de la sorte que je viens de dire, depuis le mois d'avril jusqu'au 15 d'août; mais principalement les trois derniers mois; et alors la fête de l'Assomption de la sainte Vierge étant venue, et ayant toujours aimé à me confesser souvent, je voulus me confesser. On crut que c'était l'appréhension de la mort qui m'y portait, et mon père pour me rassurer ne voulut pas me le permettre. O amour qui ne procé– dez que d'une excessive tendresse naturelle! combien êtes-vous à crain– dre, puisque encore que mon père fût si sage et si bon catholique, l'affection qu'il avait pour moi me pouvait être si préjudiciable! Il me prit, cette même nuit, une défaillance qui dura près de quatre jours, sans qu'il me restât aucun sentiment. On me donna durant ce temps le sacrement de l'extrême-onction; on croyait à tous moments que j'allais

rendre l'esprit on me récitaiť le Credo, comme si j'eusse été en état de pouvoir l'entendre; et l'on doutait si peu que je ne fusse morte, que lorsque je revins à moi, je trouvai sur mes yeux de la cire de la bougie que l'on avait présentée pour voir si j'étais passée. Dans la douleur qu'avait mon père de m'avoir empêchée de me confesser, il poussait des cris jusqu'au ciel, il adressait ses prières à Dieu, et je ne saurais. trop louer son infinie bonté d'avoir daigné les entendre. La fosse pour m'enterrer avait, durant un jour et demi, été ouverte dans notre monastère, et un service fait pour moi dans un couvent de religieux de notre ordre, lorsqu'il plut à Dieu de me faire revenir comme des portes de la mort. Je me confessai aussitôt, et communiai en répandant quantité de larmes; mais il me semble que ces larmes ne procédaient pas du seul regret d'avoir offensé Dieu; ce qui aurait suffi pour me sauver, si ces péchés que l'on ne faisait passer que pour véniels, et que j'ai connu clairement depuis être mortels, n'y eussent point apporté d'obstacle. Car, encore que les douleurs que je souffrais fussent insupportables et qu'il me restât peu de sentiment, il me semble que je me confessai entièrement de toutes les choses en quoi je croyais avoir offensé Dieu; et il m'a fait cette grâce entre tant d'autres, que, depuis que j'ai commencé à me confesser, je n'ai point manqué à m'accuser de tout ce que j'ai cru être péché, quoique véniel. Je suis néanmoins persuadée que, si je fusse morte, mon salut était fort douteux, à cause de l'ignorance de mes confesseurs, et que j'étais si mauvaise. Ainsi je ne saurais penser sans trembler à la manière dont Dieu voulut me conserver comme par miracle.

Pouvez-vous, mon âme, trop considérer la grandeur de ce péril d'où Notre-Seigneur vous tira? et quand votre amour pour lui ne vous empêcherait pas désormais de l'offenser, la crainte ne devrait-elle pas vous retenir, puisqu'il pourrait vous ôter la vie lorsque vous vous trouveriez dans un état encore mille fois plus dangereux? Je crois même que je pourrais, sans exagérer, dire miile et mille fois au lieu de mille, quand je devrais être reprise par celui qui, en me commandant d'écrire ma vie, m'a ordonné de me modérer en ce qui regarde l'aveu de mes péchés, dans lesquels je ne me flatte que trop. Je le conjure au nom de Dieu, de trouver bon que je les fasse connaître sans en rien dissimuler, afin de mieux faire voir combien la miséricorde de Dieu est admirable, et avec quelle patience il supporte nos offenses. Qu'il soit béni à jamais! Je le prie de me réduire plutôt en cendre que de souffrir que je sois si malheureuse que de cesser de l'aimer.

CHAPITRE VI.

Extrémités où la Sainte se trouve encore après cette merveilleuse faiblesse. Elle se fait ramener dans son monastère, et demeure percluse durant trois ans. Patience avec laquelle elle souffre tous ses maux. Ses dispositions intérieures. Elle a recours à saint Joseph, et recouvre la santé par son intercession. Grandes louanges de ce saint.

Dieu seul connaît jusqu'à quel point allaient les incroyables dou

leurs que je souffris en suite de cette défaillance qui me dura quatre jours. Ma langue était toute déchirée à force de l'avoir mordue, et mon gosier en tel état, tant par mon extrême faiblesse, qu'a cause que je n'avais rien pris durant ce temps, que, l'eau même n'y pouvant passer, j'étais comme étranglée. Il me semblait que mes os n'avaient plus de liaison; j'avais un étourdissement de tête incroyable; j'étais toute ramassée comme un peloton sans pouvoir non plus remuer ni les bras, les mains et les pieds, que si j'eusse été morte, et il me semble que j'avais seulement la liberté de remuer un doigt de la main droite; je ne pouvais souffrir que l'on me touchât pour peu que ce fût, et s'il était besoin de me faire changer de place, il fallait que ce fût avec un linceul que deux personnes tenaient par les deux bouts. Je demeurai ainsi jusqu'au dimanche des Rameaux, sans aucun soulagement lorsqu'on me touchait ; mais mes douleurs cessaient assez souvent, pourvu que l'on ne me touchât point, et dans la crainte où j'étais que la patience ne me manquât, je me tenais heureuse de voir que ces douleurs si aiguës n'étaient pas continuelles, quoique les frissons de la fièvre double-quarte qui me restait fussent si grands qu'ils pussent passer pour insupportables, et que mon dégoût fût extrême.

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Je désirais avec tant d'ardeur de retourner dans notre monastère, que, ne pouvant me résoudre d'attendre davantage, je m'y fis ramener en cet état. Ainsi l'on me revit en vie lorsque l'on me croyait morte, mais avec un corps plus que mourant, et qu'on ne pouvait regarder sans compassion. Ma faiblesse allait au-delà de tout ce qui se peut dire il ne me restait que les os, et cela dura plus de huit mois. Je demeurai ensuite durant près de trois ans toute percluse, quoique avec un peu d'amendement; et, lorsque je commençai à me pouvoir traîner, je rendis de grandes actions de grâces à Dieu. Je souffris tous ces maux avec beaucoup de résignation à sa volonté, et les derniers avec joie, parce qu'ils me paraissaient n'être rien en comparaison des premiers; mais, quand ils auraient toujours duré, je me trouvais très-disposée à me soumettre à tout ce qu'il lui plairait d'ordonner de moi. Il me semble que mon désir de guérir n'était que pour pouvoir m'occuper à l'oraison dans la solitude, en la manière qu'on me l'avait enseignée, parce qu'il n'y avait point dans l'infirmerie de lieu propre pour cela. Je me confessais fort souvent et parlais beaucoup de Dieu; toutes les sœurs en étaient édifiées, et s'étonnaient de la patience que Notre-Seigneur me donnait, leur paraissant impossible, sans son secours, que je souffrisse avec plaisir de si grands maux.

Je ne saurais trop le remercier de la grâce dont il me favorisait de pouvoir faire oraison, parce qu'elle me faisait comprendre quel bonheur c'est de l'aimer, et que je sentais alors en moi des dispositions à la vertu que je n'avais point auparavant, quoiqu'elles ne fussent pas encore assez fortes pour m'empêcher de l'offenser. Je ne disais du mal de personne, et j'excusais celles dont on se plaignait, parce que j'avais tou

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jours devant les yeux que je devais traiter les autres comme j'aurais voulu que l'on me traitât. Je ne perdais donc point l'occasion d'en user ainsi, quoique ce ne fût pas si parfaitement que je ne fisse des fautes en quelques rencontres; mais j'évitais pour l'ordinaire d'en commettre. Celles avec qui je conversais plus particulièrement en étaient si persuadées, qu'elles croyaient n'avoir rien à appréhender de moi sur ce sujet; ce qui n'empêche que je n'aie un grand compte à rendre à Dieu du mauvais exemple que je leur donnais en d'autres choses. Je prie sa divine majesté de me le pardonner, et de ce que j'étais la cause de plusieurs maux, quoique mon intention ne fût pas si mauvaise qu'étaient les effets de ma mauvaise conduite.

J'entrai dans un grand amour de la solitude, et prenais tant de plaisir de penser à Dieu et d'en parler, que si je trouvais quelqu'un avec qui m'en entretenir, sa conversation m'était beaucoup plus agréable que toute la politesse, ou pour mieux dire la grossièreté du monde. Je me confessais et communiais souvent ; j'étais très-affectionnée à lire de bons livres, et j'avais un tel repentir de mes péchés, que je n'osais quelquefois faire oraison, tant j'appréhendais l'extrême peine que la pensée d'avoir offensé Dieu me donnait, et qui me tenait lieu d'un grand châtiment. Cela augmenta encore de telle sorte, que je ne sais à quoi comparer le tourment que j'en souffrais; ce n'était pas la crainte qui le causait; car je n'en avais aucune; mais c'était le souvenir des faveurs que Notre-Seigneur me faisait dans l'oraison, de tant d'autres obligations que je lui avais, et de mon extrême ingratitude. Les larmes que je répandais en si grande abondance pour mes péchés m'affligeaient au lieu de me consoler, lorsque je considérais que je n'en devenais pas meilleure, et que toutes les résolutions que je faisais, et la peine que je prenais pour m'en corriger, ne m'empêchaient pas d'y retomber quand les occasions s'en offraient. Il me semblait que ces larmes n'étaient que des larmes feintes, et que mon repentir n'était qu'une dissimulation, qui me rendait encore plus coupable par le mauvais usage que je faisais de ces larmes qu'il plaisait à Dieu de me donner.

Je tâchais dans mes confessions de ne rien dire que de nécessaire, et il me semble que je faisais tout ce que je pouvais pour me rendre Dicu favorable; mais mon malheur venait de ce que je ne coupais pas la racine des occasions qui donnaient sujet à mes fautes, et de ce que je ne tirais presque point de secours de mes confesseurs; car s'ils m'eussent avertie du péril où je me trouvais, et m'eussent dit que j'étais obligée de renoncer entièrement à ces dangereuses conversations, je ne doute point qu'ils n'eussent remédié à ce mal, et fait cesser toutes mes peines, parce que j'avais tant d'horreur du péché mortel, que si l'on m'eût fait connaître que j'y étais tombée, je n'aurais pu souffrir d'y demeurer seulement durant un jour.

Toutes ces marques de la crainte que j'avais d'offenser Dieu étaient des effets de mon oraison, et cette crainte était tellement enveloppée et

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