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pour titre Le troisième Abécédaire, lequel enseigne la manière de faire l'oraison de recueillement. Comme j'avais renoncé à lire de mauvais livres depuis que j'avais reconnu combien ils sont dangereux, et qu'il y avait un an que je n'en lisais plus que de bons, je reçus celui-là avec grande joie, et me résolus de faire tout ce que je pourrais pour en profiter: car je ne savais point encore comment il fallait faire oraison et se recueillir; mais Notre-Seigneur m'avait favorisée du don des larmes. Cette lecture me toucha fort; je commençai à me retirer quelquefois dans la solitude, à me confesser souvent, et à marcher dans le chemin que me montrait ce livre, qui me servait de directeur; car je n'en ai point eu durant vingt ans, ni de confesseur qui m'entendit, quoique j'en aie toujours cherché; ce qui m'a fait beaucoup de tort, et a été cause que souvent je suis retournée en arrière, et que j'ai même couru fortune de me perdre entièrement : au lieu qu'un directeur m'aurait au moins aidée à éviter les occasions d'offenser Dieu.

Sa souveraine majesté me fit dès-lors beaucoup de grâces; et, sur la fin des neuf mois que je passai dans cette solitude, quoique je ne fusse pas si soigneuse de ne la pas offenser que ce livre m'enseignait, et que je passasse par dessus beaucoup de choses que j'aurais dû pratiquer, parce qu'il paraissait impossible d'agir avec tant d'exactitude, je prenais garde néanmoins de ne point tomber dans quelque péché mortel. Plût a Dieu que j'eusse toujours usé d'une semblable vigilance! Mais quant aux péchés véniels, je n'en tenais pas grand compte; et ce fut là mon grand mal.

DE L'ORAISON.

Marchant dans ce chemin, il plut à Notre-Seigneur de me donner l'oraison de quiétude, et quelquefois celle d'union, encore que je ne comprisse rien ni à l'une ni à l'autre, et que j'ignorasse le prix de cette faveur que je crois qu'il m'eût été fort avantageux de connaître.

Cette oraison d'union durait très-peu, et moins, à ce que je crois, qu'un Ave, Maria; mais elle produisait un tel effet dans mon âme que bien que je n'eusse pas encore vingt ans, je me trouvais dans un si grand mépris du monde, qu'il me semblait que je le voyais sous mes pieds, et avais compassion de ceux qui s'y trouvaient engagés, quoiqu'ils ne s'occupassent qu'à des choses permises.

Ma manière d'oraison était de tâcher, autant que je le pouvais, d'avoir toujours Notre-Seigneur Jésus-Christ présent au dedans de moi; et lorsque je considérais quelqu'une des actions de sa vie, je me la présentais dans le fond de mon cœur. Mais j'employais la plupart de mon temps à lire de bons livres, et c'était là tout mon plaisir, parce que Dieu ne m'a pas donné le talent de discourir avec l'entendement, et de me servir de l'imagination. J'étais si grossière que, quelque peine que je prisse, je ne pouvais me représenter au dedans de moi l'humanité de Jésus-Christ.

Encore que, par cette voie de ne pouvoir agir par l'entendement, on

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arrive plus tôt à la contemplation, pourvu que l'on persévère, elle est extrêmement pénible, à cause que, la volonté n'ayant point de quoi s'occuper, ni l'amour d'objet présent qui l'arrête, l'âme demeure comme sans appui et sans exercice dans une sécheresse et une solitude difficiles à supporter; d'où il arrive qu'elle se trouve combattue par les diverses pensées qui lui viennent. Ceux qui sont dans cette disposition ont besoin d'une plus grande pureté de cœur que ceux qui peuvent agir par l'entendement, à cause que ces derniers, se représentant le néant du monde, ce que nous devons à Jésus-Christ, ce qu'il a souffert pour nous, le peu de service que nous lui rendons, et les grâces qu'il fait à ceux qui l'aiment, en tirent des instructions pour se défendre des mauvaises pensées, et fuir les occasions qui pourraient les faire tomber dans le péché. Ainsi, comme ceux qui sont privés de cet avantage sont en plus grand péril, ils doivent beaucoup s'occuper à de saintes lectures, pour en tirer le secours qu'ils ne peuvent trouver dans eux-mêmes. Cette manière de prier sans que l'entendement agisse est si pénible, et la lecture, quelque brève qu'elle soit, est si nécessaire pour recueillir et suppléer à l'oraison mentale, que si le directeur ordonne sans cette aide de demeurer longtemps en oraison, il sera impossible de lui obéir, et la santé des personnes qu'il conduira de la sorte se trouvera altérée par une aussi grande peine que sera celle qu'elles souffriront.

J'ai maintenant, ce me semble, sujet de croire que ç'a été par une conduite particulière de Dieu que, durant dix-huit ans que je demeurai dans de si grandes sécheresses, manque de savoir méditer, je ne trouvai personne qui m'enseignât cette manière d'oraison, parce qu'il m'aurait été impossible à mon avis de la pratiquer Ainsi, excepté lorsque je venais de communier, je n'osais jamais m'engager à prier que je n'eusse un livre, et je n'appréhendais pas moins de demeurer en oraison sans cette assistance, qu'un homme craindrait de s'engager à combattre seul contre plusieurs. Ce livre m'était comme un second ou un bouclier pour me défendre de la distraction que tant de diverses pensées pouvaient me donner, et il m'assurait et me consolait, parce qu'il faisait que ces sécheresses ne m'arrivaient guère; au lieu que je ne manquais jamais d'y tomber quand je n'avais point mon livre, et mon âme s'égarait dans ses pensées; mais je n'avais pas plutôt pris un livre qu'elle se recueillait, et mon esprit, comme attiré doucement par ce moyen, devenait calme et tranquille. Quelquefois même il me suffisait d'ouvrir le livre, sans avoir besoin de passer outre d'autres fois je lisais un peu, et d'autrefois je lisais beaucoup, selon la grâce que Notre-Seigneur me faisait.

Il me paraissait alors qu'avec des livres et de la solitude, je n'avais rien à appréhender, et je crois qu'étant assistée de Dieu, cela se serait trouvé véritable, si un directeur ou quelque autre personne m'eût avertie de fuir les occasions, et m'eût aidée à ne point différer d'en sortir lorsque j'y serais tombée. Que si le démon m'eût en ce temps-là

attaquée ouvertement, il me semble que je ne me serais jamais laissée aller à commettre encore de grands péchés; mais il était si artificieux, et moi si mauvaise, que je profitais peu de mes bonnes résolutions, quoiqu'elles me servissent beaucoup pour pouvoir souffrir avec autant de patience qu'il plut à Notre-Seigneur de m'en donner, en d'aussi grands maux que furent ceux que j'endurai dans ces terribles maladies. J'ai sur cela pensé cent fois avec étonnement quelle est l'infinie bonté de Dieu, et je ne saurais, sans en ressentir beaucoup de joie, considérer la grandeur de ses miséricordes. Qu'il soit béni à jamais de m'avoir fait voir si clairement que je n'ai point eu de bon dessein dont il ne m'ait récompensée, même dès cette vie. Quelque imparfaites et mauvaises que fussent mes œuvres, mon divin Sauveur les perfectionnait et les rendait bonnes : il cachait mes péchés, obscurcissait les yeux de ceux qui les voyaient, pour les empêcher de les apercevoir; et, s'il arrivait qu'il les remarquassent, ils les effaçaient de leur mémoire. Ainsi je puis dire qu'il couvrait mes fautes pour les rendre imperceptibles, et qu'il faisait éclater la vertu qu'il mettait en moi comme malgré moi.

Mais il faut revenir à mon sujet, pour obéir à ce que l'on m'a commandé sur quoi je me contenterai de dire que si je m'engageais à rapporter particulièrement la conduite que Dieu a tenue envers moi dans ces commencements, j'aurais besoin de beaucoup plus d'esprit que je n'en ai pour pouvoir faire connaître les infinies obligations dont je lui suis redevable, et quelle a été mon extrême ingratitude qui me les a fait oublier qu'il soit à jamais béni de l'avoir soufferte! Ainsi soit-il.

CHAPITRE V.

Préjudice que la Sainte dit avoir toujours reçu des demi-savants. Dieu se sert d'elle pour retirer son confesseur d'un grand péril. La maladie de la Sainte la réduit en tel état qu'on la crut morte.

J'ai oublié de dire que, durant l'année de mon noviciat, des choses qui étaient de peu de conséquence en elles-mêmes me causèrent beaucoup de chagrin, parce que l'on m'accusait souvent sans raison; et qu'étant fort imparfaite, j'avais peine à le souffrir; mais la joie de me voir religieuse me les faisait supporter. Comme j'aimais la solitude et pleurais quelquefois pour mes péchés, les sœurs s'imaginaient et disaient entre elles que je n'étais pas contente. J'étais néanmoins affectionnée à toutes les choses de la religion: il n'y avait que le mépris que j'avais peine à souffrir, tant je désirais d'être estimée. Du reste j'étais exacte en tout ce que je faisais, et il ne paraissait rien en moi que de vertueux. Cela ne me justifie pas toutefois, parce que je ne pouvais ignorer que j'y recherchais ma satisfaction, et qu'ainsi mon ignorance dans le reste ne pouvait servir d'excuse, si ce n'en est une que, ce monastère n'étant pas établi dans une grande perfection, ma malice faisait que je laissais ce qui s'y faisait de bon, pour suivre ce qu'il y avait de mauvais.

Il y avait alors une religieuse malade d'une effroyable maladie, qui lui

causa bientôt la mort. C'étaient des ulcères qui s'étaient faits en son ventre, par lesquels elle rendait la nourriture qu'elle prenait. Ce mal, qui donnait de l'horreur à toutes les sœurs, ne produisit d'autre effet en moi que de me faire admirer la patience de cette bonne religieuse. Je disais à Dieu que, s'il lui plaisait de m'en accorder une semblable, il n'y avait rien que je ne fusse prête à souffrir: et il me semble que j'étais véritablement dans cette disposition, parce que j'avais un si violent désir de jouir des biens éternels, que j'étais résolue d'embrasser tous les moyens qui me les pouvaient procurer. Je ne saurais assez m'étonner que je fusse alors dans ce sentiment; car je ne me sentais point encore avoir cet amour pour Dieu, qu'il me paraît avoir eu depuis que j'ai commencé à faire oraison. J'étais seulement éclairée d'une certaine lumière qui me faisait considérer comme digne de mépris tout ce qui prend fin, et comme d'un prix inestimable ces biens célestes et permanents que l'on peut acquérir par le détachement des biens périssables et passagers. Dieu exauça ma prière. Deux ans n'étaient pas encore accomplis, que je me trouvai en tel état, qu'encore que mes souffrances. ne fussent pas de la même nature que celles de cette bonne religieuse, je crois qu'elles n'étaient pas moins grandes, comme on pourra le connaître par ce que je vais dire.

Le temps de faire des remèdes pour ma guérison étant venu, anon père, ma sœur, et cette religieuse qui avait tant d'amitié pour moi, et qui sortit pour m'accompagner, me firent transporter, avec toute l'affection imaginable, au lieu destiné pour cette cure. Alors le démon commença à jeter le trouble dans mon âme, et Dieu tira du bien de ce mal.

Il y avait en ce lieu-là un ecclésiastique qui avait d'assez bonnes qualités, et de l'esprit, mais qui n'était que médiocrement savant. Je le pris pour mon confesseur, parce que j'ai toujours aimé les gens de lettres; et les demi-savants m'ont fait tant de tort, que j'ai connu par expérience qu'il vaut mieux en avoir qui ne soient pas du tout savants, pourvu qu'ils soient vertueux et de bonnes mœurs, parce que se défiant d'eux-mêmes, et moi ne m'y fiant pas non plus, ils ne font rien sans en demander conseil à des gens habiles, et ceux-là ne m'ont jamais trompée ; au lieu que ces demi-savants l'ont souvent fait, quoiqu'ils n'en eussent pas l'intention, mais seulement parce qu'ils n'en savaient pas davantage, et que les croyant capables, je ne me tenais pas obligée à faire plus que ce qu'ils me conseillaient. Ils me conduisaient par une voie large, ne faisaient passer des péchés mortels que pour des péchés véniels, ne comptaient pour rien les véniels; et j'étais si mauvaise que s'ils m'eussent traitée avec plus de rigueur, je pense que j'en aurais cherché d'autres.

Une telle conduite m'a été si préjudiciable, que je me suis crue obligée de la remarquer ici, afin d'avertir les autres d'éviter un si grand mal. Mais cela ne m'excuse pas devant Dieu, parce qu'elle était par

elle-même si dangereuse, et les fautes qu'elle me faisait commettre si grandes, que cela seul devait suffire pour m'empêcher d'y tomber. Je crois que Dieu permit, pour punition de mes péchés, que ces confesscurs se trompassent et me trompassent de la sorte, et je trompai d'autres personnes en leur disant ce qu'ils me disaient. Je demeurai durant plus de dix-sept ans dans cet aveuglement, et jusqu'à ce qu'un savant religieux de l'ordre de saint Dominique commença à me détromper, et que des pères jésuites achevèrent de me faire connaître combien cette conduite était dangereuse, et me firent appréhender le péril où elle me mettait, comme je le dirai dans la suite.

Lorsque je commençai de me confesser à ce prêtre séculier, il me prit en fort grande affection, parce que, depuis que j'étais religieuse, je m'accusais de peu de fautes en comparaison de celles dont je me suis accusée dans la suite de ma vie. Il n'avait aucune mauvaise intention dans cette affection qu'il me portait; mais elle était si excessive qu'elle ne pouvait passer pour bonne. Je lui faisais connaître que, pour rien au monde, je n'aurais voulu offenser Dieu en des choses importantes; et il m'assurait qu'il était dans la même disposition. Ainsi nous entrâmes en de grandes communications; et comme mon esprit était plein des pensées de la grandeur de Dieu, et mon plaisir, dans ces conversations, de parler de lui, cet amour pour sa divine majesté d'une personne aussi jeune que j'étais alors, donna tant de confusion à cet ecclésiastique, qu'il se résolut de me déclarer l'état déplorable où il était; car il y avait près de sept ans qu'il était engagé dans une affection très-périlleuse avec une femme de ce même lieu, et il ne laissait pas de dire la messe, ce qui était une chose si publique, qu'elle l'avait ruiné de réputation, sans que l'on osât néanmoins lui en parler. Comme je l'aimais beaucoup, cela me donna une extrême compassion, parce que j'étais dans un tel aveuglement, que je considérais comme une vertu d'aimer les personnes qui nous aiment. Que maudite soit cette maxime, lorsqu'elle s'étend jusqu'à nous porter à faire des choses contraires à la loi de Dieu. C'est l'une de ces folies qui trompe le monde, et qui me trompait comme les autres; car c'est à Dieu seul que nous sommes redevables de tout le bien que nous recevons des hommes; et ainsi comment peut-on attribuer à la vertu de ne point rompre les amitiés qui lui sont désagréables et qui l'offensent?« Malheureux monde, que vous êtes aveugle! que « votre aveuglement est périlleux! et que vous me feriez, Seigneur, une grande grâce, s'il vous plaisait de me rendre très-ingrate envers lui, et « que je ne le fusse point envers vous ! » Pour m'éclaircir encore davantage de cette affaire, je m'informai particulièrement des personnes du logis où cet ecclésiastique demeurait, et j'appris que, si quelque chose le pouvait excuser dans le malheureux état où il se trouvait, c'était que cette méchante femme lui avait donné et l'avait obligé de porter à son cou, pour l'amour d'elle, une médaille de cuivre où il y avait un sort, et que l'on n'avait jamais pu le faire résoudre à la quitter. Je ne suis pas per

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