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que plus l'homme est près de la nature, plus il a d'ingénuité. On sait quelle est en eux la bonté de la vue et la finesse de l'ouïe; et si le sens intime, auquel répondent ces deux répondent ces deux organes, n'a pas la même subtilité, au moins doit-il avoir la même netteté de perception et la même justesse. Il est moins exercé dans le sauvage que dans l'homme civilisé, sans doute; mais aussi est-il moins troublé. L'analyse, l'abstraction, la combinaison des idées, l'art de les composer, de les décomposer, d'en saisir les nuances, d'en apercevoir les rapports; ce travail de l'esprit, d'où naissent tant de lumières et tant de nuages, n'éclaire pas son entendement, mais aussi ne l'offusque pas. Ses idées sont des images; sa pensée est le résultat prompt et rapide de ses sensations, mais elle n'en est que plus vive. Sa morale n'est pas sublime, mais aussi n'est-elle point fardée; et les vertus qui sont à son usage, la bonté, la sincérité, la bonne foi, l'équité, la droiture, l'amitié, la reconnaissance, l'hospitalité, le mépris de la douleur et de la mort, ont à ses yeux toute leur noblesse et toute leur beauté; il y attache la gloire, qu'il préfère à la vie : il a donc en lui-même le sentiment du beau moral; il l'a de même du beau physique. Le soleil, le torrent, la foudre, la tempête, sont les objets de son étonnement, quelquefois de son culte. La familiarité des grands tableaux de la nature n'épuise pas son admiration; et lorsqu'il parle de lui-même avec

orgueil, c'est toujours à ce qu'il y a de plus naturellement noble qu'il se compare. Toutes nos figures de rhétorique, tous nos mouvements oratoires, il les invente, il les emploie, mais à propos; et c'est toujours le sentiment qui les lui inspire. Il adresse la parole aux absents, aux morts, il croit les voir et les entendre; il parle aux choses insensibles, et il croit en être entendu ; mais c'est lorsque son ame est fortement émue et son imagination exaltée : c'est le délire de la passion, mais d'une passion véritable et sincère dans ses erreurs. Ecoutez-le au moment qu'il a perdu son ami, qu'il pleure son fils ou son père, qu'il vient de recevoir une injure et qu'il en médite la vengeance, ou qu'il rend grâce d'un bienfait : il sent tout ce qu'il doit sentir; il le sent au degré où il doit le sentir; et, autant que sa langue peut le permettre, il le dit comme il doit le dire. Pas un tour qui ne rendre le mouvement de sa pensée; pas une épithète ambitieuse ou superflue; pas une hyperbole excessive; pas une fausse métaphore, quoique tout y soit en images; pas un trait de sensibilité qui ne soit juste et pénétrant. Pourquoi cela? Parce que la nature est toujours vraie, et que tout ce qui est exagéré, maniéré, forcé, mis hors de sa place, est de l'art.

Dans les harangues des sauvages, qui sont leurs discours préparés, on aperçoit, il est vrai, des formules traditionnelles; mais la manière même en est encore décente et noble ; leur laco

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nisme a de la dignité, leurs figures de la justesse, leur éloquence de la franchise et quelquefois de l'élévation. On voit bien qu'ils ont peu d'idées mais cette pauvreté même a je ne sais quoi d'imposant. On reconnaît ce caractère de simplicité et de noblesse dans la poésie des bardes, et de tous les peuples du Nord, pris dans les temps ou leur génie, comme leurs mœurs, était encore à demi sauvage; et lorsqu'on les a fait parler, il n'a fallu, pour les rendre éloquents à leur manière, que leur prêter fidèlement le langage de la nature. Voyez, dans Tacite, la harangue du Breton Galgacus; dans Quinte-Curce, la harangue du député des Scythes à Alexandre; dans La Fontaine, celle du paysan du Danube au sénat romain.

Comment se pourrait-il en effet, que l'homme qui ne parle que pour exprimer ce qu'il sent, dît autre chose que ce qu'il sent, et ne le dît pas comme il convient à son âge, à son caractère, à sa situation? Son langage n'est que l'effusion ou l'explosion de son ame. Pourquoi, dans ses récits, dans ses descriptions, emploierait-il des détails superflus, des circonstances inutiles? Il ne songe à dire que ce qu'il a vu; et dans ce qu'il a vu, que ce qui l'a frappé. En un mot, il ne veut pas être spirituel, singulier, merveilleux, il veut être vrai, ou plutôt il l'est sans le vouloir et sans songer à l'être.

Pourquoi nous-mêmes avons-nous donc au

jourd'hui tant de peine à être simples et naturels? C'est que nos institutions nous ont pliés et repliés de cent manières toutes contraintes ; qu'après avoir, comme dirait Montaigne, artialisé la nature, nous sommes obligés de naturaliser l'art. Je dis l'art, dans nos habitudes les plus familières et les plus libres; et à plus forte raison dans nos compositions, dans nos imitations, dans notre poésie inventive, dans notre éloquence factice, dans nos peintures étudiées, dans nos passions de commande, où il faut prendre à chaque instant une ame étrangère et nouvelle, croire voir ce qu'on ne voit pas, penser et sentir et parler, non comme soi, mais comme un autre ; en un mot, se faire à soi-même l'illusion qu'on veut répandre, et se tromper si bien dans ses propres mensonges, que tout le monde y soit trompé. C'est là surtout qu'il est difficile de retrouver en soi ces mouvements naturels, ces accents, ces tours d'expression, qui échappent à l'homme sauvage sans qu'il y pense, et mieux que s'il y avait pensé.

Voyez les grâces de l'enfance, la facilité, la souplesse, le charme de ses attitudes et de ses mouvements; bientôt vient l'éducation qui détruit tout cela, et qui met à la place la gêne et l'affectation. Alors, que l'on regrette ces grâces fugitives! que de soins, que de peines ne se donne-t-on pas pour en retrouver quelques traces! Ce n'est de même qu'à force d'art que l'art peut se rectifier.

Mais la grande difficulté, pour accorder l'art avec la nature, c'est que le naturel, comme nous l'entendons, n'est pas celui de l'homme inculte. Aux convenances universelles, qui seraient des règles constantes, les institutions sociales, la coutume, l'opinion, la fantaisie, en ont mêlé d'artificielles et de changeantes comme leurs causes; et c'est à l'égard de celles-ci que le goût, n'ayant plus de type inaltérable, est devenu lui-même variable et divers. Les idées de bienséance, de noblesse, de dignité, de politesse, d'élégance, d'agrément, de délicatesse, enfin tous les raffinements de l'art de plaire et de jouir, étant venus successivement, et puis en foule, solliciter l'attention du goût, il en a été comme étourdi; et au milieu de cette multitude de lois nouvelles et fantasques, il s'est trouvé comme un jurisconsulte, que ses études mêmes et son habileté rendent encore plus incertain et plus irrésolu dans ses opinions.

A mesure donc que l'art de plaire est devenu plus compliqué, le goût, qui en est le juge, le conseil et le guide, a dû être plus indécis. La nature n'a qu'une route, l'habitude a mille sentiers tortueux et entrecoupés. Aussi l'art le moins composé est-il toujours le plus infaillible; et l'avantage des arts naissants, comme des sociétés naissantes, c'est leur grande simplicité.

Homère, en comparaison de Virgile et de Racine, était presque un sauvage. Encore tout près

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