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plaisant. Le trait qui termine ce récit doit être, comme un grain de sel, piquant et fin. Un conte de cette espèce, qui n'a point de mot, est ce qu'il y a de plus insipide. J'ai vu Fontenelle écouter avec patience les plus mauvais conteurs jusqu'au bout; mais au bout, s'il ne trouvait pas le mot pour rire, toute sa politesse ne pouvait empêcher qu'on n'aperçût en lui un mouvement d'humeur. Le mot du conte n'est pourtant pas toujours ce qu'on appelle un bon mot; c'est un trait de naturel, de mœurs, de caractère, d'originalité, de vanité, de naïveté, de bêtise, de ridicule en général.

De naturel. Un enfant s'était obstiné toute la matinée à ne pas vouloir dire la première lettre de son alphabet; et on l'avait fouetté pour cette obstination. Madame J. le trouve tout en pleurs, et on lui en dit la cause; elle appelle l'enfant, le prend sur ses genoux, le caresse, et lui dit «<Mon petit ami, pourquoi n'avez-vous pas voulu dire a? Cela n'est pas bien difficile.» L'enfant pleure et ne répond rien. Elle insiste; même silence. Elle le presse tant, qu'il lui répond d'un air chagrin : C'est que je n'aurais pas plus tôt dit a qu'on me ferait dire b.

De mœurs. A Paris, une de nos jolies femmes, chaussée pour la première fois par le cordonnier à la mode, s'aperçut que dès le premier jour, ses souliers s'étaient déchirés; elle fit venir le cordonnier, et lui marqua son mécontentement.

L'ouvrier prend le soulier crevé, l'examine avec une attention sérieuse; et après avoir réfléchi sur la cause de cet accident: Je vois ce que c'est, dit-il enfin, madame aura marché.

De caractère. On raconte qu'à Naples les pages d'un bailli de Malte, homme d'une extrême avarice, lui ayant représenté qu'ils manquaient de linge, et que leurs dernières chemises s'en allaient par lambeaux, il fit appeler son majordome, et devant eux, lui dit d'écrire à sa commanderie que l'on eût à semer du chanvre, pour faire du linge à ces messieurs sur quoi les pages s'étant mis à rire; Les petits coquins, reprit le bailli, les voilà bien contents, à présent qu'ils ont des che mises..

D'originalité. Le second fils d'un négociant de Bordeaux, où les cadets ne sont pas riches, à son retour d'un voyage aux îles, fut assailli d'une tempête à l'embouchure de la Garonne; mais le péril passé, il arriva au port. Son père, sa mère son frère aîné, allèrent au-devant de lui, bien contents de le voir sauvé: Ah! leur dit-il, c'est par un miracle; et je l'attribue à un vœu que j'ai fait. «Mon enfant, il faut l'accomplir, lui dirent ses parents : quel vœu avez-vous fait? » J'ai promis à Dieu, reprit-il, que, s'il me faisait la gráce d'échapper au naufrage, mon frère aîné se ferait chartreux.

De vanité. Dans un couvent de capucins, l'un d'eux, qui n'était pas aussi avantageusement

pourvu de barbe que les autres, en était méprisé et tourné en dérision. Le gardien, homme grave et sévère, leur en fit une réprimande, et leur dit, qu'il ne fallait pas s'enorgueillir des dons du ciel, ni insulter à ceux qu'il n'avait pas favorisés de même. Ipse fecit nos, et non ipsi nos, ajoutat-il; et si le père Nicaise n'a pas une aussi belle barbe que nous devant les hommes, peutétre en aura-t-il une plus belle devant Dieu.

De naïveté. Une fille poursuivait un jeune homme pour cause de séduction; mais son avocat ne trouvait pas ses moyens suffisants. Elle revint

de chez lui fort triste mais le lendemain elle y retourna; et d'un air triomphant, Monsieur, nouveau moyen, dit-elle, il m'a séduite encore ce

matin.

De bêtise. Un négociant venait de mourir de mort subite, et il avait laissé sur son bureau une lettre écrite à l'un de ses correspondants, mais qui n'était point cachetée. Son commis crut devoir faire partir la lettre, et mit au bas par apostille: Depuis ma lettre écrite, je suis mort.

Le caractère essentiel de ces petits contes, c'est la simplicité et la précision. La femme du monde qui contait le mieux, madame J. avait à dîner un jeune homme de qualité, plein d'esprit, mais qui eut le malheur de faire une histoire un peu longue, et de tirer de sa poche un petit couteau pour découper une dinde. Monsieur le comte, lui dit-elle, il faut avoir à table un grand couteau et

de petites histoires. Monsieur le comte profita de l'une et de l'autre leçon.

CONVENANCE. C'est peu de se demander en écrivant, Quels sont les effets que je veux produire? il faut se demander encore, Quelle est la trempe des ames sur lesquelles j'ai dessein d'agir? Il y a dans les objets de la poésie et de l'éloquence des beautés locales et des beautés universelles : les beautés locales tiennent aux opinions, aux mœurs, aux usages des différents peuples; les beautés universelles répondent aux lois, au dessein, aux procédés de la nature, et sont indépendantes de toute institution. Voyez BEAU.

Les peintures physiques d'Homère sont belles aujourd'hui comme elles l'étaient il y a trois mille ans; le dessein même de ses caractères, l'art, le génie avec lequel il les varie et les oppose, enlèvent encore notre admiration : rien de tout cela n'a vieilli ni changé ; il en est de même des péroraisons de Cicéron et des grands traits de Démosthène. Mais les détails qui sont relatifs à l'opinion et aux bienséances, les beautés de mode et de convention, ont dû paraître bien ou mal, selon les temps et les lieux; car il n'est point de siècle, point de pays, qui ne donne ses mœurs pour règle; c'est une prévention ridicule, qu'il faut cependant ménager. L'exemple d'Homère n'eût pas justifié Racine,si, dans Iphigénie, Achille

Élém. de Littér. I.

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et Agamemnon avaient parlé comme dans l'Iliade: l'exemple de Cicéron ne justifierait pas l'orateur français, qui, en reprochant l'ivrognerie à son adversaire, en présenterait à nos yeux les effets les plus dégoûtants; l'exemple de Démosthène ne justifierait pas celui qui dirait à son auditoire : Si vous avez la cervelle dans la tête, et si vous ne l'avez pas aux talons.

Celui qui n'a étudié que les anciens, blessera infailliblement le goût de son siècle dans bien des choses; celui qui n'a consulté que le goût de son siècle, s'attachera aux beautés passagères et négligera les beautés durables. C'est de ces deux études réunies que résulte le goût solide et la sûreté des procédés de l'art.

Toutes les convenances pour l'orateur se réduisent à conformer le caractère de son langage et le ton de son éloquence au sujet qu'il choisit ou qui lui est donné, et aux circonstances actuelles du temps, du lieu, des personnes.

Cicéron nous indique tous ces rapports de convenance. Perspicuum est non omni causæ, nec auditori, neque persona, neque tempori congruere orationis unum genus. Nam et causæ capitis alium quemdam verborum sonum requirunt, alium rerum privatarum atque parvarum; et aliud dicendi genus deliberationes, aliud laudationes, aliud judicia, aliud sermones, aliud consolatio, aliud objurgatio, aliud disputatio, aliud historia desiderat. Refert etiam qui audiant, senatus, an populus,

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