son objet s'y fait voir dans ce qu'il a d'intéressant aussi combien la constance des deux Ajax, combattant l'un à côté de l'autre, est mieux exprimée par l'image des deux taureaux! «< Ajax Oilée, dit Homère, ne s'éloignait plus d'Ajax Télamonien : ainsi que deux vigoureux taureaux attelés au même joug traînent la charrue avec une ardeur égale, déchirant le sein d'une terre durcie par un long repos, et sillonnant profondément la campagne. La sueur coule de leur large front. Ainsi les deux guerriers, dans le champ de Mars, partagent leurs nobles travaux. » Voilà une image vraiment terrible. Lors donc qu'il s'agit d'inspirer l'étonnement, la pitié, la crainte, il est décidé par la nature même et indépendamment de l'opinion, que les images du lion, du tigre, de l'aigle ou du vautour, rendent mieux l'action d'un guerrier au milieu du carnage, que ne fait celle de l'âne, qui ne peint qu'une patiente stupidité. Je dis la même chose de la comparaison d'Amate, qu'une furie agite, avec un sabot que fouette un enfant j'y vois la rapidité du mouvement, mais ce n'est point assez; et l'égarement de Didon est bien mieux exprimé par l'image de la biche que le chasseur a blessée, et qui, courant dans les forêts, emporte le trait avec elle. Ce n'était donc pas la bassesse qu'il fallait attaquer dans l'image de la toupie (car dans le mot turbo cette bassesse n'existe pas); c'était la nature de l'objet même; car l'image d'un jeu d'enfant ne répond pas assez à l'action d'une furie. Siela comparaison peint vivement son objet, c'est assez; il n'est pas besoin qu'elle le relève : ainsi, pourvu que les fourmis et les abeilles nous donnent une juste idée de la diligence des Troyens et de l'industrie des Tyriens, on n'a plus rien à demander: ainsi, pourvu que la présence d'un homme sage, au milieu d'un peuple séditieux et mutiné, produise l'effet que Virgile attribue à la voix de Neptune, lorsqu'il impose silence aux vents; l'objet familier rend lui-même l'objet merveilleux plus sensible, et enrichit le style et la pensée d'un tableau que l'esprit aime à se re tracer: At veluti magno in populo quum sæpe coorta est (ÆNEID. 1. 1.) Un vice de la comparaison, c'est l'ambiguité du rapport; car si l'image peut également s'appliquer à deux idées différentes, elle n'a plus cette justesse qui en fait le mérite et le charme. Un moyen de s'assurer qu'il n'y ait point d'équivoque, c'est de cacher le premier terme, et de demander à ses juges à quoi ressemble le second. Par exemple, qu'on donne à lire à un homme intelligent ces beaux vers de l'Enéide: Qualis, ubi abruptis fugit præsepia vinclis, Ou ces beaux vers de la Henriade: Tel échappé du sein d'un riant pâturage, Levant les crins mouvants de sa tête superbe, Ou ceux-ci du même poète : Tels au fond des forêts précipitant leurs pas, Le cor excite au loin leur instinct belliqueux. On n'aura pas besoin de dire que ce coursier est un jeune héros, et que ces chiens sont des combattants réunis contre un ennemi terrible. Il peut arriver cependant que le rapport soit si éloigné, que, tout juste qu'il est, on ait besoin d'être conduit pour passer d'une idée à l'autre. Alors plus le rapport sera imprévu, plus la surprise ajoutera au plaisir de l'apercevoir. Rien, par exemple, de plus éloigné que le rapport d'une galère à demi fracassée, avec un serpent sur leÉlém. de Littér. 1. 33 quel la roue d'un char a passé; et quoi de plus juste et de plus frappant que la ressemblance de l'un à l'autre dans ces vers de Virgile? Qualis sæpe via deprensus in aggere serpens, La comparaison s'emploie quelquefois à rassembler en un tableau circonscrit et frappant une collection d'idées abstraites, que l'esprit, sans cet artifice, aurait de la peine à saisir. Ainsi Bayle compare le peuple aux flots de la mer, et les passions des grands au vent qui les soulève : ainsi Fléchier, dans l'éloge de Turenne, dit, en s'adressant à Dieu : «Comme il s'élève du fond des vallées des vapeurs grossières, dont se forme la foudre qui tombe sur les montagnes, il sort du cœur des peuples des iniquités dont vous déchargez le châtiment sur la tête de ceux qui les gouvernent et qui les défendent. >> De même Lucain, pour exprimer l'inclination des peuples à suivre Pompée, quoique sur le point de céder à l'ascendant de César, se sert de l'image des flots qui obéissent encore au premier vent qui les a poussés, quoiqu'un vent opposé se lève et s'empare des airs: Ut quum mare possidet Auster Flatibus horrisonis, hunc æquora tota sequuntur: Eolii, tumidis immittat fluctibus Eurum; Dans la comparaison, c'est le plus souvent, comme je l'ai dit, une idée, un sentiment, une vérité abstraite, qu'on veut rendre sensible par une image; mais il arrive aussi quelquefois que la comparaison est inverse, je veux dire qu'elle emploie le terme abstrait pour mieux peindre l'objet sensible. Ainsi, dans une ode au Printemps, le poète lui dit : «Ton sourire fait fleurir la rose, qui, belle comme les joues de l'innocence, répand une odeur embaumée». On voit là une image commune rendue nouvelle, délicate et piquante, par le renversement du rapport usité. Dans la Henriade, Voltaire a dit de l'ame de Henri : Semblable à l'Océan qui s'apaise et qui gronde. Cette comparaison est l'inverse de celle-ci dans le Télémaque : « Les vents commencèrent à s'apaiser, et la mer mugissante ressemblait à une personne qui, ayant été long-temps irritée, n'a plus qu'un reste de trouble et d'émotion. Elle grondait sourdement, etc.» Il est de l'essence de la comparaison de cir |