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eu celui d'être le centre de l'Église, dont le latin était la langue, corrompue à la vérité, mais assez analogue encore à celle du siècle d'Auguste pour en faciliter l'étude et en accélérer l'usage. L'italien lui-même en était dérivé, et son affinité avec elle la rendait comme populaire. Enfin, pour l'Italie, la lumière des lettres n'eut jamais d'éclipse totale.

Le commerce avec l'Orient, les relations des deux églises, leur rivalité, leurs querelles, le mouvement que donnaient aux esprits les hérésies et les conciles, la lecture habituelle des livres saints, l'étude des Pères de l'église, dont le plus, grand nombre étaient nourris d'une saine littérature, et dont quelques-uns ne manquaient ni d'éloquence, ni de goût; d'un autre côté, le souvenir, l'exemple de l'ancienne Rome, les monuments de ses beaux-arts, et je ne sais quelle ombre de son génie qui errait toujours sur ses débris, n'avaient cessé d'entretenir une communication d'idées entre l'Italie et la Grèce, entre la Rome d'Auguste et la Rome de Léon X. Ainsi tout s'accorda pour hâter les progrès des lettres, renaissantes en Italie.

A Rome, on couronnait Pétrarque; Dante et Boccace florissaient; et nous en étions à Joinville. Jodelle, Ronsard et Garnier'faisaient l'admiration et les délices de la France; et ses seuls écrivains en prose, au moins dans la langue vulgaire, étaient Commine et Rabelais, tandis que

l'Italie avait déjà produit Léonard l'Arétin, l'historien de Florence, Ange Politien, Machiavel, Paul Jove, Guichardin, Jovian Pontanus; et en poètes, Fracastor, Sannazar, Vida, l'Arioste, Lasca, le Rusante, Dolcé; enfin le Tasse avait précédé Brébeuf et Chapelain de soixante à quatrevingts ans ; et le siècle des Médicis, qui fut pour I'Italie le règne le plus florissant des lettres et des arts, était pour nous à peine le faible crépuscule d'un siècle de lumières.

Ce n'est pas qu'il n'y eût en France des hommes très instruits et très judicieux : dans aucun temps on n'en a vu à côté desquels on ne pût nommer L'Hôpital, Turnèbe, Muret, Amyot, Montaigne, Bodin, Charron, La Boétie, d'Ossat, de Thou, Duvair, Jeannin, les deux Etiennes ; mais le savoir était isolé, la raison presque solitaire : ni l'esprit de la nation n'était encore assez débrouillé, ni ses mœurs assez dégrossies, ni sa langue assez défrichée, pour que les lettres, transplantées dans un climat si nouveau pour elles, y pussent de long-temps prospérer et fleurir.

La France avait de bons esprits, d'habiles politiques, de grands jurisconsultes, et même quelques philosophes; mais le public y était encore superstitieux et fanatique.

L'astrologie, la magie, les possédés, les revenants, les sortiléges, les maléfices, les combats judiciaires, les lois qui les autorisaient; la théologie des écoles, la morale des casuistes, le ba

telage de la chaire, les farces pieuses du théâtre, les prestiges religieux dont on frappait la multitude, le zèle aveugle et sanguinaire dont l'enivraient des imposteurs, tout se ressentait du mélange d'un peuple esclave des druides et du peuple barbare qui l'avait subjugué. Ainsi du reste de l'Europe. Partout la lumière des lettres avait à dissiper les ténèbres de l'ignorance; partout il fallait enlever cette rouille épaisse et profonde que dix siècles de barbarie avaient comme incrustée dans les esprits et dans les ames; rendre l'entendement humain aux lumières de la nature et redonner un caractère de noblesse et de dignité aux mœurs publiques, défigurées et dégradées jusqu'à l'abrutissement.

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Sans cette grande métamorphose, quel moyen d'assimilation pouvait - il y avoir entre le goût des nations antiques et le grossier instinct des nations modernes? Tirer l'homme de cet état et lui donner le discernement du vrai dans ses justes rapports, du bien, du beau, dans sa juste mesure, ne pouvait être que l'ouvrage du temps.

Cependant, comme il est des erreurs compatibles avec le génie des arts, le grand obstacle à la régénération des lettres et du goût ne venait pas de cette cause; et en effet, au milieu même des superstitions et des préjugés fanatiques, le Tasse avait fait un beau poème et l'Arioste un poème charmant. Mais, à la faveur d'une langue déja épurée et polie, ils avaient su tout ennoblir;

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et la langue française, quoique assez abondante, était encore loin d'acquérir ce caractère de noblesse, d'élégance et de pureté, que Pétrarque et Machiavel, avant l'Arioste et le Tasse, avaient donné à la langue toscane. C'était cet instrument du génie et du goût qu'il fallait d'abord façonner.

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Une langue répugne aux ouvrages de goût, non-seulement lorsqu'elle est pauvre, rude et grossière, mais aussi lorsqu'elle n'a qu'un ton, ou que tous les tons s'y confondent. C'est la souplesse et la variété qui font la grâce et le charme du style ; c'est par ses modulations qu'il s'élève ou s'abaisse au gré de la pensée, et qu'il se met d'accord avec les caractères et à l'unisson des sujets. Or une langue n'est susceptible de ces convenances du style qu'autant qu'elle a des tons gradués et distincts, depuis l'humble jusqu'au sublime, depuis le populaire jusques à l'héroïque, et qu'elle a de même des modes analogues à la douceur, à la mollesse, à l'énergie, à tous les sentiments, à toutes les passions, à tous les mouvements de l'ame; et c'est ce qui manquait, même à la langue de Montaigne.

Cette langue est franche, énergique et d'un tour vif et pittoresque, mais elle est trop souvent ignoble; et, quoique par sa liberté, sa familiarité même, elle plaise dans des écrits dont l'abandon est le caractère, il n'en est pas moins vrai que dans les genres qui demandent toutes

les nuances du style et toutes ses délicatesses, dans les sujets surtout où la majesté du langage en est la bienséance, cette familiarité continue aurait été peu convenable. Lorsque Montaigne fait parler Auguste à Cinna, ou qu'Amyot traduit quelques vers d'Euripide, il n'est personne qui ne sente combien ce vieux langage manque de dignité.

Qu'on ne m'accuse pas de vouloir déprimer deux écrivains si recommandables : ce vieux naturel de leur style a son attrait, et je le sens ; mais plus il était convenable dans un récit naïf et simple, et dans le libre épanchement des pensées d'un philosophe, moins il était propre à la majesté de l'éloquence et de la poésie; et Montaigne lui-même nous l'aurait avoué, lui qui a si bien apprécié les écrivains de l'antiquité, même du côté du langage ;'lui qui avait l'oreille et l'ame assez sensibles aux beautés du style pour avoir reconnu que le poème des Géorgiques et le cinquième livre de l'Enéide étaient ce que Virgile avait le mieux écrit. Il savait comme nous, sans doute, quelle diversité de couleurs et de tons une langue devait avoir pour s'élever à la hauteur de l'éloquence de Cicéron, de la poésie de Lucrèce, pour se donner la dignité et les grâces décentes du style de Virgile, et pour s'abaisser noblement à l'élégante familiarité du style de Térence, qu'il appelait lui-même la mignardise du langage latin.

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