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orateur qui sentirait les devoirs de son ministère, plutôt que de s'avilir à cet excès de condescendance, renoncerait à se montrer jamais.

CHALEUR. Ce mot, employé figurément, en parlant de l'éloquence, de la poésie, du style en général, a un sens plus étendu que ceux d'enthousiasme et de véhémence.

L'enthousiasme est la chaleur de l'imagination au plus haut degré; la véhémence est la chaleur des mouvements de l'ame, impétueusement exhalée; mais la chaleur du style en général en est comme l'ame et la vie : c'est une métaphore prise de la chaleur naturelle du sang.

Un bel exemple de cette chaleur tempérée, mais qui va toujours en croissant, est ce discours de Joad, dans Athalie, adressé à un roi enfant :

O mon fils, de ce nom j'ose encor vous nommer,
Souffrez cette tendresse, et pardonnez aux larmes
Que m'arrachent pour vous de trop justes alarmes !
Loin du trône nourri, de ce fatal honneur,
Hélas! vous ignorez le charme empoisonneur.
De l'absolu pouvoir vous ignorez l'ivresse,
Et des lâches flatteurs la voix enchanteresse.
Bientôt ils vous diront, que les plus saintes lois,
Maîtresses du vil peuple, obéissent aux rois;
Qu'un roi n'a d'autre frein que sa volonté même;
Qu'il doit immoler tout à sa grandeur suprême;
Qu'aux larmes, au travail le peuple est condamné,
Et d'un sceptre de fer veut être gouverné ;

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Que, s'il n'est opprimé, tôt ou tard il opprime.
Ainsi, de piége en piége, et d'abîme en abîme,
Corrompant de vos mœurs l'aimable pureté,
Ils vous feront enfin haïr la vérité;

Vous peindront la vertu sous une affreuse image.
Hélas! ils ont des rois égaré le plus sage.
Promettez sur ce livre et devant ces témoins,
Que, Dieu sera toujours le premier de vos soins;
Que sévère aux méchants, et des bons le refuge,
Entre le pauvre et vous, vous prendrez Dieu pour juge;
Vous souvenant, mon fils, que,
caché sous ce lin,

Comme eux vous fûtes pauvre, et comme eux orphelin.

On dit, la chaleur du raisonnement, lorsqu'il est pressant et rapide, surtout lorsqu'il est animé par quelque mouvement de l'ame, et mêlé d'interrogations, d'invectives, d'imprécations, etc. C'est le caractère constant de l'éloquence de Démosthène; et le plus souvent sa chaleur y est au point qu'il n'y a rien de plus véhément. Mais lors même qu'il se modère, soit qu'il raconte ou qu'il raisonne, il est toujours plein de chaleur. C'est ainsi que, dans sa harangue pour la couronne, en justifiant le conseil qu'il a donné aux Athéniens de se liguer avec les Thébains contre Philippe, il dit : « Je porte là-dessus la confiance au point que, si, aujourd'hui même, homme qui vive peut indiquer quelque meilleur parti à prendre dans la situation où se trouvait la Grèce, j'avoue que j'aurais dû ne pas l'ignorer, et je souscris à ma condamnation. Mais au contraire, si celle ressource n'existe ni n'a existé,

et que jamais homme n'ait pu ni ne puisse encore en trouver de semblable, que devait faire celui qui conseillait la république? N'était-ce pas de choisir, entre les moyens visibles et praticables, ce qu'il y avait de meilleur? C'est là ce que je fis, Eschine, quand le héraut criait : Qui veut conseiller le peuple? et non pas, Qui veut blámer le passé? qui veut répondre de l'avenir?.... Attaquez-moi, si vous voulez, sur les avis que je donnai; mais abstenez-vous de me calomnier sur ce qui arriva. Car c'est au gré de la destinée que tout se dénoue et se termine; au lieu que c'est par la nature des avis mêmes qu'on doit juger de l'intention de celui qui les a donnés. Si donc par l'événement Philippe a vaincu, ne m'en faites point un crime; puisque c'était le Ciel qui disposait de la victoire, et non pas moi. Mais si, avec une droiture, une vigilance, une activité infatigable et supérieure à mes forces, je ne cherchai pas, je ne mis pas en œuvre tous les moyens où la prudence humaine peut atteindre; si je n'inspirai pas des résolutions nobles, dignes d'Athènes, et nécessaires dans ce moment, montrezle-moi, et donnez carrière à vos accusations.

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Voilà de la chaleur dans l'éloquence tempérée ; tout y est animé, tout y est en mouvement; mais si on veut la voir s'élever jusqu'à la véhémence, qu'on lise dans la même harangue l'endroit où l'orateur développe et démontre cette proposition hardie : « Si par une lumière prophétique tous

Élém. de Littér. I.

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les Athéniens avaient démêlé tous les événements futurs, et que tous les eussent prévus; Athènes, en ce cas même, aurait dû prendre la résolution qu'elle prit, pour peu qu'elle eût respecté sa gloire, et ses ancêtres, et les jugements de la postérité... Et de quel oil, grand Dieu! soutiendrions-nous l'aspect de cette multitude innombrable d'hommes qui de toutes parts se rendent dans Athènes, si par notre faute on eût élu Philippe pour le chef et pour l'arbitre de la Grèce entière; si, tandis que les autres Grecs, armés pour détourner le coup, s'avançaient au combat, nous eussions joué le personnage de spectateurs immobiles, nous, les enfants d'un peuple qui de tout temps aima mieux affronter de glorieux hasards, que de jouir, hors de péril, d'une honteuse liberté...! Et qui n'admirerait la constance de ces grands hommes, qui, s'élançant sur leurs vaisseaux, quittèrent, avec un courage déterminé, leurs biens et leur patrie, pour ne point fléchir sous le joug d'une domination étrangère, mirent à leur tête Thémistocle, l'auteur de cet avis magnanime, lapidèrent Cyrcile qui prêchait la soumission, le lapidèrent, dis-je, tandis que leurs femmes lapidaient celle du traître ? Car les Athéniens d'alors ne cherchaient ni orateur, ni général, qui leur procurât un heureux esclavage. Ils n'auraient pas même voulu de la vie sans la liberté... Moi donc, ô histrion du dernier ordre, moi, que mon emploi appelait à conseiller la ré

publique, avec quels sentiments devais-je monter dans la tribune? Etait-ce avec les sentiments d'un orateur qui n'avait à suggérer aux Athéniens que des bassesses indignes d'eux? Ma mort, en ce cas, eût justement expié mes lâches conseils... Le monstre horrible, ô Athéniens, l'horrible monstre qu'un calomniateur! »

La raison n'a point de chaleur qui lui soit propre; mais lorsqu'un sentiment vif et profond l'anime, elle devient passionnée; et c'est alors qu'elle a son éloquence; ce n'est même qu'alors qu'elle est poétique. Ainsi dom Diègue, ainsi lé vieil Horace, ainsi Burrhus, ainsi Zopire et Mahomet, ainsi tous les hommes d'état qu'on introduit dans la tragédie ou dans l'épopée, sont raisonneurs, mais éloquents.

Si la raison même se passionne, l'imagination est mille fois encore plus prompte à s'enflammer, et l'on reconnaît sa chaleur à la vivacité des illusions qu'elle produit et des tableaux dont elle se frappe. Je n'en citerai pour exemple que ces vers de Phèdre, tourmentée par ses remords :

Misérable! et je vis, et je soutiens la vue
De ce sacré soleil dont je suis descendue!
J'ai
pour aïeul le père et le maître des dieux;
Le ciel, tout l'univers est plein de mes aïeux.
Où me cacher? Fuyons dans la nuit infernale;
Mais que dis-je ? mon père y tient l'urne fatale:
Le sort, dit-on, l'a mise en ses sévères mains ;
Minos juge aux enfers tous les pâles humains.
Ah! combien frémira son ombre épouvantée,

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