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leure des théories. Consultez enfin ce grand maître sur les manœuvres du plaidoyer, sur l'attaque et sur la défense, la preuve et la réfutation, l'emploi des moyens pathétiques; ce même art, s'il est appliqué à la scène passionnée (sauf le degré de véhémence et de chaleur qu'elle doit avoir), cet art, dis-je, nous donnera le dialogue le plus naturel, le plus vif et le plus pressant.

Je ne doute pas que les Grecs n'eussent la même théorie; mais les Romains me semblent l'avoir portée encore plus loin, soit parce qu'ils partaient du point jusqu'où les Grecs étaient allés, soit parce qu'ils étaient pressés par cette ingénieuse et inventive nécessité, qui, dans l'urgence continuelle des grands périls et des grands besoins, aiguise l'industrie des hommes, comme l'instinct des animaux.

Dans Athènes comme dans Rome, un citoyen fait pour les grandes places avait un intérêt pressant et capital de se rendre éloquent. Sa fortune, son rang, ses fonctions publiques, l'exposaient tous les jours à la censure de la haine, aux délations de l'envie; il fallait qu'il fût en défense. Mais à Rome, il avait à remuer et à conduire un peuple différent du peuplé athénien. Il s'agissait pour lui de ménager non- seulement l'arrogance républicaine et l'orgueil des maîtres du monde, mais l'esprit plus jaloux, plus ombrageux encore des partis et des factions. De là cette frayeur avec laquelle Cicéron regardait les détroits, les écueils,

les naufrages de l'éloquence populaire; de là ces précautions timides avec lesquelles il naviguait sur cette mer si dangereuse, scopulosum atque infestum : précautions que Démosthène ou négligeait, ou prenait rarement avec un peuple qui n'était difficile que sur l'article de ses dieux; qui se laissait tout dire avec franchise, pourvu qu'on dît tout avec grâce; et qu'on pouvait, en flattant son oreille, réprimander comme un enfant.

Aussi, comme pour la vigueur et la hardiesse de l'éloquence Rome n'avait rien de semblable aux harangues de Démosthène, la Grèce n'eut-elle jamais, dans l'éloquence insinuante, rien de pareil aux plaidoyers et aux harangues de Cicéron. L'un n'eut besoin que du courage d'un citoyen libre et sincère; l'autre, au sénat et devant le peuple, autant et plus que devant César, eut besoin de toute la souplesse du plus habile courtisan.

Or, ces tours, ces détours, ces finesses de style, ces mouvements si mesurés, même avec l'air de l'abandon, ces couleurs si bien ménagées, ces touches quelquefois si fermes et quelquefois si délicates, et toujours au plus haut degré la convenance et l'à-propos, furent autant de leçons de goût que la poésie reçut de l'éloquence. Ajoutons-y l'urbanité, qui répondait à l'atticisme, mais qui tenait plus aux mœurs qu'au langage; un sentiment de dignité plus délicat et plus exquis; une philosophie qui, dans les bons

esprits, ainsi que dans les belles ames, avait acquis plus de maturité; enfin une connaissance du cœur humain, une analyse des passions plus méditée et plus profonde; et nous ne serons plus surpris de trouver dans les ouvrages des Latins des beautés, des nuances, des développements, des traits d'un naturel exquis, que les Grecs ne connaissaient pas. On peut, je crois, dire avec assurance, que ni les plaidoyers pour Ligarius et pour Milon, ni la harangue pour Marcellus, n'avaient de modèle dans la Grèce; et l'on peut assurer de même que la Grèce ne fut jamais en état de produire un poète galant comme Ovide, solide et brillant comme Horace, et accompli comme Virgile.

Le siècle même de Périclès ne concevait rien au-dessus d'Homère; et, du côté de l'invention et des belles formes poétiques, il n'a point encore son égal. Toutes les hautes conceptions qui appartiennent au génie, la grandeur de l'action, celle des caractères, leur variété, leur contraste, leur vérité frappante, l'abondance et l'éclat des images, la rapidité des peintures, le mouvement, la chaleur, et la vie répandue dans les récits, ont fait d'Homère le premier des poètes, et Virgile lui-même ne l'a point détrôné. Mais du côté du goût, combien n'a-t-il pas sur lui d'avantages! quelle dignité dans les mœurs de ses dieux! quelle noblesse dans leur langage! quel sentiment délicat et juste des convenances, des bien

séances, dans les harangues de ses héros! quel choix dans tous les traits qui expriment la douleur de la mère d'Euryale et les regrets d'Évandre sur la mort de leurs fils! quelle supériorité d'intention et d'intelligence dans tous les moyens qu'il a pris d'annoncer les destins de Rome et de flatter Auguste et les Romains! quel art dans le bouclier d'Enée que d'y faire tracer, de la main d'un dieu, l'histoire future de sa patrie, et de manière à pouvoir dire, lorsque Enée a reçu de la main de sa mère ce divin bouclier et qu'il le charge sur ses épaules,

Attollens humero famamque et fata nepotum!

Quel art plus merveilleux encore et quel sublime accord du génie et du goût dans la description des enfers! Tu Marcellus eris, his dantem jura Catonem, ne sont pas du siècle d'Homère.

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Homère a pu trouver dans la nature la scène des adieux d'Hector et d'Andromaque, et celle de Priam aux pieds d'Achille; il aurait pu imaginer de même celle d'Euryale et de Nisus; mais il fallut toute l'éloquence du théâtre et de la tribune pour préparer Virgile à peindre le carac tère de Didon. Euripide lui-même n'avait pas fait encore des études assez savantes de la passion de l'amour pour l'exprimer comme Virgile: la preuve en est le rôle de Phèdre, dans lequel Racine a laissé Euripide si loin de lui. Virgile devait être égalé, peut-être surpassé dans l'art

de faire parler une amante; mais ce ne pouvait être que dans un siècle où le sentiment de l'amour serait encore plus développé, plus exalté que dans le sien; et entre Virgile et Racine, il devait s'écouler de longs siècles de barbarie.

A la renaissance des lettres, l'Italie moderne eut le même bonheur qu'avait eu l'Italie ancienne, d'être voisine de la Grèce, et d'en tirer immédiatement ses lumières et ses exemples.

y

L'orient, sous les empereurs jusqu'à l'invasion des Turcs, n'avait jamais été barbare; les Muses étaient endormies, mais n'en étaient pas exilées (1). Les lettres n'y fleurissaient pas, mais elles y étaient cultivées. Ce fut de là que l'Italie en tira comme les semences. Un siècle avant la chute de l'empire, on voit déjà les Grecs venir les répandre à Venise, à Florence, à Pavie, à Rome. Pétrarque et Boccace furent les disciples d'un savant de Thessalonique; mais à la prise de Constantinople par Mahomet II, ce fut une émigration de gens de lettres, échappés des ruines de leur patrie et réfugiés en Toscane, où l'immortel Laurent de Médicis les reçut comme dans son sein.

Il ne faut donc pas s'étonner de l'avantage que l'Italie eut, au quinzième et au seizième siècles, sur tout le reste de l'Europe; de plus, elle avait

(1) Photius est du neuvième siècle, et Suidas est du dixième.

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