qui a le plus de sens et de goût, mais à qui la folie et la gaieté du poète font oublier pour un moment le sérieux des bienséances. La preuve que cette secousse, que le burlesque donne à l'ame, vient du contraste inattendu dont elle est fortement frappée, c'est que mieux on connaît Virgile et mieux on en sent les beautés, plus on s'amuse à le voir travesti par l'imagination plaisante et folle de Scarron. L'Énéide travestie n'est autre chose qu'une mascarade, comme Scarron le dit lui-même; et cette mascarade n'est pas aussi grotesque qu'on le pense communément. Ce sont des dieux et des héros déguisés en bourgeois de Paris, mais tous avec leur propre caractère, dont Scarron a saisi le côté ridicule avec beaucoup de justesse et d'esprit. C'est ainsi que de Jupiter il a fait un bon homme; de Junon, une commère acariâtre ; de Vénus, une emèr complaisante et facile ; d'Enée, un dévot larmoyant, un peu timide et un peu niais; de Didon, une veuve ennuyée de l'être ; d'Anchise, un vieux bavard; de Chalcas, un vieux fourbe; de la Sibylle, une devineresse, une diseuse de logogryphes; et de l'oracle d'Apollon, un faiseur de rébus picards. Quand au personnage qu'il a pris lui-même, c'est celui d'un conteur naïf et ignorant, qui confond les temps et les mœurs, et qui fait parler tout son monde comme on parle dans son quartier. Tel est ce genre de comique; et si l'on veut en avoir une idée plus juste, on peut le voir dans cette réponse de Jupiter aux plaintes de Vénus : Ce dieu donc, des dieux le plus sage, Se radoucissant le visage, Et la prenant sous le menton, Ce comique, qui naît du contraste du langage et de la personne, a souvent, il faut l'avouer, le défaut d'être grossier et bas : mais quelquefois il a de la finesse ; et, par exemple, dans ce dialogue de Vénus avec son fils Énée, après qu'il lui a dit : Vous sentez la dame divine, quel est l'homme de goût qui ne sourirait point en voyant Vénus faire l'Agnès, et le héros troyen transformé en Nicaise? Je ne suis pas, en vérité, Dit Vénus, mais votre servante. Puis sa tête désaffubla. Ses deux jarrets elle doubla Pour lui faire la révérence. Il fit une circonférence Du pied gauche à l'entour du droit, Et cela d'un air tant adroit, Ce pauvre fugitif de Troie, Que sa mère en pleura de joie. La première entrevue d'Énée avec Didon est du même tour de plaisanterie. Scarron est diffus par négligence; il est ce qu'on appelle polisson par gaieté; il a porté trop loin la licence de son humeur, le genio indulgere: mais qu'on ne s'étonne pas de m'entendre dire c'était un des hommes de son temps qui que avaient le plus de goût. Les critiques les plus fines de l'Iliade et de l'Enéide sont dans le Virgile travesti. Son génie me semble avoir quelque ressemblance avec celui de Marot, et si on les veut comparer l'un à l'autre, voici deux morceaux du même genre, où ils se rapprochenta assez. Marot, prisonnier au Châtelet, qu'il appelle l'enfer, passe par l'audience, et demande à son guide ce que c'est que tous ces gens-là. Son guide lui répond : Je te fais assavoir Que ce mordant, que l'on oyt si fort bruire, Et dont, pour vrai, le moindre et le plus neuf, Ensuite il lui décrit la génération des procès. En cetui parc, où ton regard épands, Une manière il y a de serpents Qui, de petits, viennent grands et félons, Entre la mère et les mauvais enfants; Car serpents froids sont les plus échauffants........ Du grand serpent Hydra, qui eut sept têtes, Et quand de lui une tête abattoit, Pour une morte en revenoient sept vives. Écoutons à présent Scarron dans la description de l'enfer : Ceux que pend à tort la justice ! (Qui n'est sans doute qu'un lutin, Tout auprès de pauvres poëtes, Y récitent de, pauvres vers: |