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se vantait d'avoir appris à Racine, et ce que Racine bientôt sut mieux que Despréaux lui-même ; car il s'en faut bien que le travail se cache dans les vers de l'Art poétique, comme dans les vers d'Andromaque, de Phèdre et de Britannicus.

Mais, dans ces vers, qui peut calculer toutes les beautés dont la poésie est redevable à la contrainte de la mesure et de la rime? Dans les Fables de La Fontaine, dont le genre a permis un style plus concis et moins artistement lié, c'est un plaisir de voir combien de vers heureux la rime semble avoir fait naître, et avec quelle facilité.

Par exemple, dans ce récit,

Un vieux renard, mais des plus fins,

Grand croqueur de poulets, grand preneur de lapins,
Fut enfin au piége attrapé :

rien ne manquait au sens; mais il fallait une rime à queue, et cette rime était unique : l'amener était une chose très difficile ; et quand on lit le vers qui résout le problème, rien ne paraît plus naturel :

Grand croqueur de poulets, grand preneur de lapins,
Sentant son renard d'une lieue.

Dans la fable du Loup berger, que le poète eût dit seulement,

Il s'habille en berger, endosse un hoqueton,

Fait sa houlette d'un bâton;

c'était assez ; mais ruse, qui venait au bout d'un vers suivant, demandait une rime; et pour la rime s'est présenté ce vers naïf qui achève le tableau :

Sans oublier sa cornemuse.

Il en est de même de l'hémistiche, comme aussi sa musette, que l'esprit ne demandait pas, et que la nécessité de la rime et de la mesure a fait trouver :

Son chien dormait aussi, comme aussi sa musette.

De même, dans la fable du Chéne et du Roseau:

Tout vous est aquilon, tout me semble zéphyr.

Dans celle des deux Perroquets :

Nourris ensemble et compagnons d'école.

Dans celle du Chat et du vieux Rat:

Même il avait perdu sa queue à la bataille.

Dans celle du Lièvre et de la Perdrix:

Miraut, sur leur odeur ayant philosophé.

Dans celle des Obsèques de la Lionne :

Les lions n'ont point d'autre temple.

Dans celle de l'Ane et du Chien, après ce vers.,

Point de chardons pourtant : il s'en passa pour l'heure,

cette réflexion si plaisante,

Il ne faut pas toujours être si délicat.

Dans celle du Loup et des Bergers:

Ils n'auront ni croc ni marmite.

Dans celle du Savetier et du Financier :

On nous ruine en fêtes.

Dans celle de Jupiter et des Tonnerres, ce vers de sentiment si simple et si sublime :

Tout père frappe à côté.

Tout cela, dis-je, peut avoir été inventé, comme le sont les plus grandes choses, par l'occasion et le besoin; et peut-être aucun de ces traits, ni mille autres semblables, ne seraient venus au poète, s'il eût écrit en prose ou en vers blancs.

On nous dira que si la rime a valu à la poésie quelques rencontres ingénieuses, elle lui a coûté bien des sacrifices du côté de la précision et du naturel. J'en conviens à l'égard des poètes qui ont écrit avec trop de précipitation ou de négligence; mais je répète que lorsque des hommes de génie et de goût ont écrit avec soin, ils ont parfaitement rempli le précepte de Despréaux :

La rime est une esclave, et ne doit qu'obéir.

Les vers de Racine ne se ressentent pas plus de cette gêne, que ceux de Virgile ne se ressentent de la nécessité de finir par un dactyle et un spondée.

Au surplus, ce n'est pas pour se donner plus de peine qu'on a voulu se délivrer de la con

trainte de la rime; et le soin qu'on aurait mis à la chercher, on ne l'a guère employé à rendre le vers blanc plus énergique, plus élégant, ou plus harmonieux. Quelque soin même qu'on y emploie, il est difficile que cette espèce de vers ait une harmonie assez marquée, assez chère à l'oreille, assez supérieure à celle de la bonne prose, pour compenser par cela seul le désagrément et la gêne d'une cadence uniforme, dont l'oreille doit se lasser, lorsqu'il n'en résulte pour elle nulle autre espèce de plaisir. La liberté de varier, au gré de la pensée, du sentiment, et de l'image, les nombres, la coupe et le tour périodique du discours, est une chose trop précieuse pour la sacrifier au pur caprice d'aligner les mots sur des mesures qui n'ont pas même le faible mérite d'être égales; et lorsqu'on n'écrit pas en prose, il faut donner aux vers, en agrément et en beauté, un avantage que la prose n'ait pas.

BONTÉ. Il n'y a proprement dans la nature ni dans les arts d'autre bonté qu'une bonté relative, de la cause à l'effet, et de l'effet lui-même à une fin ultérieure, qui est l'intention, l'utilité, ou l'agrément d'un être doué de volonté ou capable de jouissance.

Quand la bonté n'est relative qu'à l'intention, ce mot n'est pris que dans un sens impropre, et bon se trouve quelquefois le synonyme de mau

vais c'est ainsi qu'une politique pernicieuse, une ambition funeste, une éloquence corruptrice, emploie de bons moyens, c'est-à-dire des moyens propres à réussir dans les desseins qu'elle se propose. De même, par rapport à l'agrément et à l'utilité, une chose est bonne ou mauvaise, selon les goûts, les intérêts, les fantaisies, les caprices; et dans ce sens presque tout est bon: les calamités mêmes et les fléaux ont leur bonté particulière; et au contraire ce qui est bon pour le plus grand nombre, est presque toujours mauvais pour quelqu'un : la disette est le bon temps de l'usurier, dont les greniers sont pleins; la bonne année des médecins est une année d'épidémie, et vice versa.

La bonté, dans un sens plus étroit, est la faculté de produire un effet désirable; et une cause est plus ou moins généralement bonne, à mesure que son effet est plus ou moins généralement à désirer. Le même vent qui est bon pour ceux qui voguent du levant au couchant, est mauvais pour ceux qui voguent en sens contraire; mais un air pur et sain est bon pour tout le monde.

Un être n'est bon en lui-même que dans ses rapports avec lui-même, et qu'autant qu'il est tel que son bonheur l'exige; en sorte que, s'il n'a pas la faculté de s'apercevoir et de jouir ou de souffrir de son existence, il n'est en lui-même ni bon ni mauvais. Par la même raison, entre les parties d'un tout, si les unes sont douées d'intel

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