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la nature, mais à l'améliorer, à l'embellir en l'imitant, à faire mieux qu'elle, en faisant comme elle, en suivant ses inclinations, ses directions, ses mouvements, en observant ses révolutions et ses diverses métamorphoses, surtout en choisissant en elle les traits, les formes, les aspects, les accidents où la vérité donne le plus de charme à l'imitation. Je m'explique.

La vérité, dans les sciences exactes, n'a qu'un point, ou n'a qu'une ligne que doit suivre l'observateur. La vérité, dans les arts d'agréments, a une grande latitude. De là les différences et les gradations du bien au mieux, du commun à l'exquis, du médiocre à l'excellent, en fait de goût comme en fait de génie.

Une pensée, un sentiment, une image, un tableau, un caractère, une action a de la vérité, toutes les fois qu'on y reconnaît la nature; et telle est, comme je l'ai dit, la vérité que l'on voit exprimée dans l'éloquence des sauvages. Mais le naturel se compose de qualités et d'accidents qui varient selon les âges, les conditions, les climats, les formes de la société, et les plis divers qu'elle donne à l'esprit et au caractère. Ainsi la vérité diffère d'elle-même, non-seulement d'un peuple à l'autre, d'un siècle à l'autre, mais dans le même lieu et dans le même temps, d'un homme à l'autre, et dans le même homme, au gré des passions et des événements. Tout se ressemble au premier coup d'oeil; mais bientôt, parmi ces

ressemblances génériques, on aperçoit des différences spécifiques et locales, et puis encore des différences individuelles et accidentelles à l'infini. De là mille peintures du même caractère, de la même passion, du même vice, de la même vertu, qui ont toutes leur vérité. Mais cette vérité sera plus ou moins curieuse et intéressante, plus ou moins finement saisie, ou ingénieusement exprimée; elle attachera plus ou moins l'esprit et l'ame; elle aura plus ou moins d'agrément et d'attrait, selon le choix de son objet et les couleurs dont il sera peint. C'est ici que le goût s'exerce dans l'invention et le discernement du bien, du mieux, du mieux encore, et qu'on voit l'art réfléchi sur lui-même, s'observant, s'essayant, déployant ses moyens, creusant plus avant dans ses sources, enfin, se corrigeant, se surpassant lui-même, et, non content de ses succès, se provoquant à de nouveaux efforts.

Voyez cent élèves rangés autour d'un modèle commun leurs dessins lui ressemblent tous, et il n'y en a pas deux qui se ressemblent ; telle est la nature, au milieu des orateurs et des poètes. De là cette diversité inépuisable dans les productions de l'esprit et du génie imitateur.

Si donc chacun, dans son point de vue, a bien saisi l'objet, et l'a bien exprimé, chacun, me direz-vous, n'a-t-il pas réussi? Non; car ils n'ont pas tous également rempli l'intention de l'art, qui est d'intéresser et de plaire. C'est un talent

que de bien rendre ce que l'on voit; mais tout ce qui frappe la vue n'est pas digne de la fixer: tous les événements ne sont pas mémorables; tous les caractères ne sont pas attachants; toutes les situations, tous les accidents, tous les détails de la vie humaine ne sont pas curieux à peindre; et dans l'action même la plus intéressante, toutes les circonstances ne le sont pas. Une nature froide, commune, indifférente; une nature qui ne dit rien à l'ame et à l'esprit, ou qui ne dit pas ce que l'objet de l'art veut qu'elle dise, ou qui le dit trop faiblement, aura sa vérité, mais une vérité sans énergie, sans intérêt, sans agrément. Trouver en soi, ou dans la nature, la vérité relative à l'effet que se propose l'art, c'est l'invention du génie; la choisir ou la composer, comme le peintre sa couleur, et telle que l'art la demande, c'est l'inspiration du goût, et du goût le plus éclairé. Or on sent bien qu'il ne peut l'être ainsi, que par une étude assidue et profondément réfléchie, non- seulement de la simple nature, non-seulement de la nature cultivée et modifiée, mais des moyens, des procédés et des productions de l'art, des tentatives qu'il a faites, des succès qu'il a obtenus, des progrès qu'il peut faire encore; et tel fut le goût des Romains.

Le mérite éminent des Grecs, et une gloire qui les distingue, est d'avoir été inventeurs, et de n'avoir eu pour modèles, et pour objets de

Élém. de Littér. I.

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comparaison, que la nature et leurs propres ouvrages. Les Romains, au contraire, furent imitateurs. La Grèce leur transmit les arts : ce fut sa plus riche dépouille.

Græcia capta ferum victorem cepit, et artes
Intulit agresti Latio. (HORAT.)

Tous ces arts ne leur semblèrent pas également dignes de leur émulation; mais dans celui de parler et d'écrire, après avoir été les disciples des Grecs, ils en devinrent les rivaux; et en s'efforçant de les atteindre, ils eurent quelquefois la gloire de les surpasser.

A ne regarder la poésie et l'éloquence que du côté du naturel, de l'énergie, et de ces beautés principales que le génie enfante, rien sans doute n'est au-dessus d'Homère, de Sophocle et de Démosthène. Mais si l'on réfléchit aux nouveaux degrés de perfection où l'art s'est élevé, toujours guidé par la nature, dáns la poésie de Virgile, dans l'éloquence de Cicéron, l'on avouera que l'abondance, la variété, la souplesse, l'artifice prodigieux et les ressources infinies de Cicéron dans ses harangues; que la richesse, l'économie, la perfection des détails, le mélange et l'accord de toutes les beautés et de toutes les grâces, dans les deux poëmes de Virgile, sont, au moins du côté du goût, des avantages que les imitateurs se sont donnés sur leurs modèles; et ces deux exemples suffisent pour marquer les

progrès du goût, lorsque l'art veut se consulter en même temps que la nature, voir dans ce qu'il a fait ce qui lui reste à faire, et se donner pour règle l'exemple de César :

Nil actum reputans, si quid superesset agendum. (LUCAN.)

J'ai dit qu'à Rome la poésie s'était formée à l'école de l'éloquence; et en effet, de l'une à l'autre, l'art d'intéresser et de plaire a tant d'analogie et tant d'affinité, que tous les grands moyens en sont presque les mêmes, et que les règles de vraisemblance, de convenance, de bienséance, sont presque absolument communes au poète et à l'orateur est finitimus oratori poeta. (CIC.)

Voyez dans les livres de Cicéron, sur les procédés de son art, quelles sont les sources du pathétique, et quelle espèce d'émotion il est possible de tirer de la nature et du fond de la cause, de la condition, de l'âge, du caractère, de la fortune, de la situation des personnes et de leurs relations diverses; c'est pour le poète tragiquela plus profonde des études. Voyez pour la narration, les circonstances où l'orateur doit appuyer, celles qu'il doit omettre, ou sur lesquelles il doit glisser rapidement, ce qu'il doit relever, ce qu'il doit affaiblir, ce qu'il doit esquisser ou peindre, comment il peut rendre sensible l'action qu'il décrit, et de quels mouvements il la doit animer ; c'est encore là pour l'épopée la meil

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