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per le nez ou l'oreille à un homme; ce beau tarif, appuyé de la preuve ou par témoin, ou par serment, ou par le sort des armes, avait peu besoin d'avocats. Les lois romaines introduites, les rendirent plus nécessaires. Mais le barreau ne prit une forme raisonnable et décente que dans le quatorzième siècle, lorsque le parlement, devenu sédentaire sous Philippe-le-Bel, fut le refuge de l'innocence et de la faiblesse, si long-temps opprimées aux tribunaux militaires et barbares des grands vassaux.

L'usage de faire parler pour soi un homme plus instruit, plus habile que soi, a dû s'introduire partout où la raison et la justice ont pu se faire entendre. Mais cette institution avait un vice radical, d'où sont dérivés tous les vices de l'éloquence du barreau. L'avocat, en plaidant une cause qui n'est pas la sienne, joue un rôle qui n'est pas le sien : voilà pourquoi, si l'on en croit Aristophane, Cicéron, Pétrone, Quintilien, la déclamation a été, dans tous les temps, le caractère dominant de l'éloquence du barreau. Voyez DÉCLAMATION.

Si les plaideurs étaient leurs avocats euxmêmes, ils exposeraient les faits avec simplicité; ils diraient leurs raisons sans emphase; et s'ils employaient les mouvements d'une éloquence passionnée, ces mouvements seraient placés, et seraient au moins pardonnables.

Mais un avocat, revêtu du personnage du plai

deur, a besoin d'un talent très rare pour le remplir avec bienséance, avec force, avec dignité; et lorsque ce talent lui manque, il met à la place de la vraie éloquence, une déclamation factice, tantôt ridicule par l'abus de l'esprit et par l'enflure des paroles, tantôt révoltante par son impudence, tantôt criminelle par ses artifices ou par ses odieux excès.

Quand c'est par vanité que l'orateur, dans une cause qui ne demande que de la raison, de la clarté, de la méthode, cherche à répandre les fleurs d'une rhétorique étudiée, il n'est que vain et ridicule; et s'il est jeune, on pardonne à son àge. Mais lorsque, oubliant son caractère, il prend le rôle de bouffon, et par des railleries indécentes, cherche à faire rire ses juges, il se dégrade et s'avilit.

Lorsque dans une cause qui, de sa nature, ne peut exciter aucun des mouvements de l'éloquence véhémente, il se bat les flancs pour paraître ému et pour émouvoir, qu'il emploie de grands mots pour exprimer de petites choses, et qu'il prodigue les figures les plus hardies et les plus fortes pour un sujet simple et commun (ce que Montaigne appelle faire de grands souliers pour de petits pieds); il n'est qu'un charlatan et un mauvais déclamateur. Mais lorsqu'il se met à la place d'un plaideur outré de colère, et qu'il vomit pour lui tout ce que la vengeance, la haine envenimée peut avoir de noirceur et de malignité; qu'il

déshonore un homme, une famille entière, sous le prétexte, souvent léger, que sa cause l'y autorise; il est l'esclave des passions d'autrui, le plus lâche des complaisants, et le plus vil des mercenaires. Cette licence, trop long-temps effrénée, a été la honte de l'ancien barreau, quelquefois l'opprobre du barreau moderne; et quoique en général l'honnêteté soit l'ame de l'ordre des avocats, ils n'ont peut-être pas été assez sévères à réprimer un abus si criant.

« Cet ordre aussi ancien que la magistrature, aussi noble que la vertu, aussi nécessaire que la justice (c'est M. d'Aguesseau qui parle), où l'homme, unique auteur de son élévation, tient les autres hommes dans la dépendance de ses lumières, et les force de rendre hommage à la seule supériorité de son génie, heureux de ne devoir ni les dignités aux richesses, ni la gloire aux dignités, ne doit rien souffrir qui profane un caractère si sacré. »

Qu'un avocat soit pénétré de la sainteté de ses fonctions, il commencera par ne se charger que de la cause qu'il croira juste: alors, écartant l'artifice, il armera la vérité de tous les traits de force et de lumière qui peuvent frapper les esprits; il dédaignera les ornements puérils et ambitieux; il parlera avec le sérieux de la décence et de la bonne foi; et s'il se permet l'ironie, ce ne sera que d'un ton sévère et pour attacher le mépris à ce qui le doit inspirer: son respect pour

les lois se communiquera aux juges, et leur rappellera, s'ils peuvent l'oublier, la dignité de leurs fonctions ce même respect se répandra dans l'assemblée des auditeurs ; il les avertira, comme a fait de nos jours l'un de nos avocats les plus célèbres, que le barreau n'est pas un théâtre, ni l'orateur un comédien, et qu'une cause où il s'agit de décider ce qui est juste, est profanée par des applaudissements réservés à ce qui n'est qu'ingénieux.

Avouons cependant ce que M. d'Aguesseau n'a pas craint d'avouer, que les juges sont des hommes, et que la vérité n'est pas assez sûre d'ellemême avec eux, pour dédaigner les ornements de l'art. «Sa première vertu, dit-il en parlant de l'avocat, est de connaître les défauts des autres (et c'est de ses juges qu'il parle); sa sagesse consiste à découvrir leurs passions, et sa force à savoir profiter de leur faiblesse. Les ames les plus rebelles, les esprits les plus opiniâtres, sur lesquels la raison n'avait point de prise, et qui résistaient à l'évidence même, se laissent entraîner par l'attrait de la persuasion; la passion triomphe de ceux que la raison n'avait pu dompter; leur voix se mêle à celle des génies supérieurs : les uns suivent volontairement la lumière que l'orateur leur présente; les autres sont enlevés par un charme secret dont ils éprouvent la force, sans en connaître la cause; tous les esprits convaincus, tous les coeurs persuadés paient également

à l'orateur ce tribut d'amour et d'admiration, qui n'est dû qu'à celui que la connaissance de l'homme élève au plus haut degré d'éloquence.>> Voilà les excuses dont s'autorise l'éloquence artificieuse et passionnée.

Malheur au peuple chez lequel cette éloquence a de fréquentes occasions de se signaler! cela prouve qu'il est gouverné, non par les lois, mais par les hommes;.cela prouve que les affections personnelles, plus que la raison publique, décident des résolutions et des jugements du tribunal qui gouverne ou qui juge; cela prouve que la multitude elle-même a besoin d'être poussée par le vent des passions; et partout où ce vent domine, les naufrages seront fréquents pour l'innocence et pour l'équité.

Mais enfin, lorsque la constitution d'un État, ou sa condition est telle, que le juge a droit de prononcer d'après son affection personnelle, que l'éloquence a le malheur de s'adresser à une volonté arbitraire, ou que, par la nature de l'objet, le juge est réellement libre; l'éloquence alors ne demandant à l'homme que ce qui dépend de son choix, elle a droit de mettre en usage tout ce qui peut l'intéresser : Socrate, cité devant l'aréopage, s'interdit tous les artifices de l'éloquence pathétique; l'aréopage n'était que juge, c'eût été vouloir le corrompre, que de lui parler le langage des passions. Encore la sévérité de Socrate fut-elle déplacée, puisqu'elle fit com

Élém. de Littér. 1.

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