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Lorsque dom Sanche d'Aragon, avec plus de hauteur et plus de fierté, veut reconnaître sans détour l'obscurité de son origine, il dit avec franchise :

Je suis fils d'un pêcheur.

Ces deux exemples font assez sentir dans quelle circonstance il est avantageux d'employer le mot propre, et dans quel autre il faut user de métaphore ou de périphrase.

Mais où le mot propre a l'avantage et ne peut être suppléé, c'est dans les choses de sentiment, à cause de son énergie, c'est-à-dire, à cause de la promptitude et de la force avec laquelle il réveille l'impression de son objet. Voyez cette exclamation de Bossuet, qui fit une si forte impression sur son auditoire dans l'oraison funèbre d'Henriette: Madame se meurt, Madame est morte! C'est le mot simple et commun qui en fait toute la force. S'il eût dit: Madame est expirante, Madame expire, il n'eût produit aucun effet.

Comme les lieux qui nous ont vu naître, et que nous avons habités dans l'âge de l'innocence et de la sensibilité, nous rappellent de vives émotions, et occasionent des retours intéressants sur nous-même; ainsi, et par la même raison, notre première langue réveille en nous, à tous moments, des affections personnelles dont l'intérêt se réfléchit. Ce qu'on nous a dit dès nos plus jeunes ans, ce que nous avons dit nous

Élém. de Littér. I.

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même d'affectueux et de sensible, nous touche bien plus vivement, lorsque nous l'entendons redire dans les mêmes termes, et dans des circonstances à peu près semblables. Ah! mon père, ah! mon fils, sont mille fois plus pathétiques pour moi qui suis Français, que Heu pater! heu fili! et l'expression s'affaiblit encore, si l'on traduit les noms de fils et de père par ceux de nate et de genitor, dont le son n'est plus ressemblant.

L'abbé du Bos explique l'affaiblissement de la pensée ou du sentiment exprimé dans une langue étrangère, par une espèce de traduction qui se fait, dit-il, dans l'esprit : comme lorsqu'un Français entend le mot anglais god, il commence par le traduire, et se dit à lui-même Dieu; ensuite il pense à l'idée que ce mot exprime, ce qui ralentit l'effet de l'expression, et par conséquent l'affaiblit.

Mais la véritable cause de cet affaiblissement, c'est que le mot étranger, quoique je l'entende à merveille, sans réflexion ni délai, n'est pas lié dans ma pensée avec les mêmes impressions habituelles et primitives que le mot de ma propre langue; et que les émotions qui se renouvellent au son du mot qui les a produites, ne se réveillent pas de même au son d'un mot étranger, et, si j'osais le dire, insolite à mon oreille et à mon ame. Ainsi, quoiqu'il y ait beaucoup à gagner, du côté de l'abondance et de la noblesse, à écrire dans une langue morte, parce qu'elle n'a rien

de trivial pour nous, il y a encore plus à perdre du côté de l'analogie et de la sensibilité.

Pour ce qui regarde le style métaphorique et l'analogie des images, soit avec la pensée, soit avec elles-mêmes, voyez IMAGES.

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ANAPESTE. L'un des nombres ou pieds des vers grecs et latins, composé de deux brèves et d'une longue.

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Les Grecs, dont l'oreille avait une sensibilité si délicate pour le nombre, avaient réservé l'anapeste aux poésies légères, comme le dactyle aux poèmes héroïques; et en effet, quoique ces deux mesures soient égales, le dactyle -- ʊʊ, frappé sur là première syllabe, a plus de gravité dans sa marche que l'anapeste frappé sur la dernière. On a remarque que la langue française a peu de dactyles et beaucoup d'anapestes. Lully semble être un des premiers qui s'en soit aperçu, et son récitatif a le plus souvent la marche du dactyle

renversé.

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On n'en doit pas conclure que nos vers héroïques, où l'anapeste domine, ne soient pas susceptibles d'un caractère grave et majestueux : il suffit, pour le ralentir, d'y entremêler le spondée; et l'anapeste, alors assujetti par la gravite du spondée, n'est plus que coulant et rapide, et cesse d'être sautillant.

J'observerai même, à ce propos, què,

dans notre

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déclamation, ainsi que dans notre musique, rien n'est moins invariable que le caractère que les anciens attribuaient aux différents pieds; que l'iambe, par exemple, -, le pied tragique, est, dans nos vaudevilles et dans nos airs de danse, aussi sautillant que le chorée - ; le dactyle, le pied favori de l'épopée, imite, quand on veut, tout aussi bien que l'anapeste, un galop rapide, et d'autant plus léger que les derniers temps sont en l'air; et au contraire l'anapeste exprime, quand on veut, la langueur et l'abattement, en glissant mollement sur les deux premières syllabes, et en appuyant sur la dernière, comme dans

ce vers:

N'allons point plus avant. Demeurons, chère OEnone.

Le rhythme est donc un moyen d'expression, changeant selon le mouvement et l'inflexion de la voix; et lorsqu'on lui attribue un caractère inaltérable, on est préoccupé de quelque exemple particulier, que mille autres exemples dé

mentent.

ANCIENS. Il se dit particulièrement des écrivains et des artistes de l'ancienne Grèce et de l'ancienne Rome.

Dans les dialogues de Perrault, intitulés : Parallèle des anciens et des modernes, l'un des interlocuteurs prétend que c'est nous qui sommes les anciens. «N'est-il pas vrai, dit-il, que la durée

du monde est communément regardée comme celle de la vie d'un homme; qu'il a eu son enfance, sa jeunesse et son âge parfait; et qu'il est présentement dans la vieillesse? Figurons-nous de même que la nature humaine n'est qu'un seul homme. Il est certain que cet homme aurait été enfant dans l'enfance du monde, adolescent dans son adolescence, homme parfait dans la force de son âge, et que présentement le monde et lui seraient dans leur vieillesse. Cela supposé, nos premiers pères ne doivent-ils pas être regardés comme les enfants; et nous, comme les vieillards et les véritables anciens du monde ? »>

Ce sophisme ingénieux, d'après lequel on a dit plaisamment, Le monde est si vieux qu'il radote, a été pris un peu trop à la lettre par l'auteur du Parallèle. Il peut s'appliquer avec quelque justesse aux connaissances humaines, au progrès des sciences et des arts, à tout ce qui ne reçoit son accroissement et sa maturité que du temps. Mais qu'il en soit de même du goût et du génie, c'est ce que Perrault n'a pu sérieusement penser et dire. Ici les caprices de la nature, les circonstances combinées des lieux, des hommes et des choses, ont tout fait, sans aucune règle de succession et de progrès. Où les causes ne sont pas constantes, les effets doivent être bizarrement divers.

L'avantage que Fontenelle attribue aux modernes, d'étré montés sur les épaules des anciens,

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