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ce qu'ils en auront retenu. Que si l'on veut, sur un sujet donné, qu'ils composent d'après euxmêmes, au moins faut-il les y avoir préparés par des études préliminaires et relatives au sujet.

Mais avant que d'en venir là, et tandis qu'ils seront encore attachés au modèle, qu'on prenne soin de le choisir ; qu'on se souvienne qu'il s'agit de la partie la plus développée, la plus majestueuse de l'éloquence; et qu'on n'en donne pas pour exemple un mot de Sénèque, ou une épigramme de Martial.

Est-ce une amplification que ce vers de Virgile où il peint en deux mots les chevaux de Turnus :

Qui candore nives anteirent, cursibus auras (1).

En est-ce une que cette métaphore prise des flots pour exprimer le trouble du cœur de Didon?

....

Magnoque irarum fluctuat æstu (2).

Quoi qu'en dise Quintilien, ce n'est point, dans Homère, amplifier l'idée de la force de ses héros, que d'exagérer le poids de leurs armes; ce n'est point amplifier l'idée de la beauté d'Hélène, que de faire changer, à sa vue, l'indignation des vieillards troyens en une tendre admiration. Cette

(1) «Qui surpassaient la neige en blancheur, et les vents

en vitesse.»

(2) « Son cœur est agité du grand orage de sa colère. >>

manière d'agrandir est une hyperbole passagère; l'amplification demande un développement orné. Une amplification poétique est cette peinture sublime de l'état de Didon, lorsqu'elle a résolu

sa mort :

At trepida, et cœptis immanibus effera Dido,
Sanguineam volvens aciem, maculisque trementes
Interfusa genas, et pallida morte futura,
Interiora domus irrumpit limina, et altos
Conscendit furibunda rogos, ensemque recludit
Dardanium, non hos quæsitum munus in usus (1).

Une amplification poétique, dans Homère, est cette circonstance ajoutée à l'ébranlement de la terre sous le trident de Neptune.

L'enfer s'émeut au bruit de Neptune en furie :
Pluton sort de son trône ; il pâlit; il s'écrie;
Il a peur que ce dieu, dans cet affreux séjour,
D'un coup de son trident ne fasse entrer le jour.

Une amplification oratoire, c'est l'éloge de César, dans la harangue pour Marcellus ; et dans cet éloge, la comparaison de la gloire de vaincre avec celle de pardonner.

Une amplification bien plus sublime encore

(1) « Didon tremblante, et l'esprit troublé de son effroyable dessein, roulant des yeux rougis de sang, tout le visage frémissant et semé de taches livides, et portant sur le front la pâleur de sa mort prochaine, sort égarée de son palais, monte sur le bûcher, tire l'épée du Troyen, cette épée dont elle-même lui avait fait don pour un tout autre usage. »

dans l'oraison pour Ligarius, c'est l'éloge de la clémence.

Mais en nous occupant de l'amplification qui agrandit, n'oublions pas celle qui diminue. Écoutons Phèdre excusant le crime de son amour pour Hippolyte.

Toi-même, en ton esprit rappelle le passé.
C'est peu de t'avoir fui, cruel, je t'ai chassé :
J'ai voulu te paraître odieuse, inhumaine.
Pour mieux te résister, j'ai recherché ta haine.
De quoi m'ont profité mes inutiles soins?

Tu me haïssais plus, je ne t'aimais pas moins.
Tes malheurs te prêtaient encor de nouveaux charmes.
J'ai langui, j'ai séché dans les feux, dans les larmes.
Il suffit de tes yeux pour t'en persuader,

Si tes yeux un moment pouvaient me regarder.

Écoutons Cicéron diminuant le tort du jeune Cœlius, d'avoir fréquenté une femme perdue; non pas en alléguant, comme le dit Quintilien, qu'il n'a fait que la saluer un peu trop familierement, car ce n'est point là sa défense et Quintilien s'est trompé, mais en avouant sans détour la liaison la plus intime de Cœlius avec Clodia, et en attribuant aux mœurs du temps ce déréglement d'un jeune homme. « Romains, dit-il, la sévérité des mœurs de nos ancêtres n'existe plus que dans les livres les livres mêmes où : elle est décrite ont vieilli et sont oubliés. Tous les sages n'ont pas regardé comme imcompatibles la dignité et la volupté. La nature a des attraits

auxquels la vertu même résiste difficilement ; elle présente à la jeunesse des sentiers si glissants, qu'il est bien difficile de n'y pas faire quelque chute. Ne regardons plus cette ancienne route de la sagesse, si peu fréquentée aujourd'hui, qu'elle est remplie de buissons. Accordons quelque chose à l'âge. Que la jeunesse ait quelque licence. Ne refusons pas tout à ses plaisirs; que cette exacte et droite raison ne domine pas toujours; que l'ardeur du désir, que la volupté quelquefois en triomphe. Qu'un jeune homme se dispense d'avoir de la pudeur, pourvu qu'il revienne de temps en temps à ses affaires domestiques, à celles du public, à celles de l'État. Après tout, il s'est vu de notre temps, et du temps de nos pères, et du temps même de nos aïeux, nombre de très grands hommes, de très illustres citoyens, qui, après avoir passé la jeunesse la plus brûlante du feu des passions, ont montré, dans un àge plus mûr et plus solide, les plus éclatantes vertus ».

C'est une chose assez étrange que d'entendre Cicéron faire l'apologie du libertinage; mais au barreau tout moyen était bon, pourvu qu'il fût bon à la cause.

L'amplification est l'ame de l'éloquence de Cicéron, moins serrée, moins énergique, mais plus somptueusement ornée que celle de Démosthène. Cependant, après les exemples de l'orateur romain dans l'art d'amplifier; après ses péroraisons

Élém. de Littér. I.

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pour Muréna, pour Ligarius, pour Milon, et toutes celles où il déploie une éloquence pathétique ; après celle pour Sextius, où, de la condition d'un homme de bien dans les grandes places, il fait une amplification si affligeante et malheureusement si ressemblante à la vérité; après ces accusations contre Verrès, où l'on voit le crime renchérir sur le crime: Non enim furem, sed raptorem; non adulterum, sed expugnatorem pudicitiæ; non sacrilegum, sed hostem sacrorum religionumque; non sicarium, sed crudelissimum carnificem civium sociorumque in vestrum judicium adducimus (1); après ces invectives amplifiées contre Catilina, contre Pison, contre Antoine; après tous ces modèles d'amplification, et tant d'autres dont l'orateur romain abonde, on en peut voir encore dans Démosthène de belles et grandes leçons.

L'éloquence de celui-ci, presque toute adonnée aux affaires publiques, est plus austère et moins variée; mais il ne laisse pas d'y employer à propos cet art d'orner et d'agrandir. On peut le voir dans ce plaidoyer où, se disculpant du

(1) « Ce n'est pas un voleur, c'est un déprédateur; ce n'est pas un adultère, c'est le persécuteur de la pudicité; ce n'est pas un sacrilége, c'est l'ennemi déclaré de la religion et des autels; ce n'est pas un assassin, c'est le bourreau le plus cruel de nos citoyens et de nos alliés, que nous

amenons devant vous.»

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