Obrazy na stronie
PDF
ePub

lement populaires, par cela seul qu'elles étaient républicaines; elles étaient aussi moins façonnées et moins polies, parce que l'absence des femmes laissait au naturel des hommes sa franchise et son abandon.

Qu'on veuille donc faire attention à cette foule de nouvelles idées, de nouveaux sentiments, de manières nouvelles, de bienséances multipliées, qu'ont dû introduire dans nos mœurs le commerce des femmes, la galanterie, le point d'honneur, le manége des cours; à ces raffinements de l'art de flatter et de feindre, de taire ce qu'on veut faire entendre, de voiler à demi ce qu'on veut laisser entrevoir, de dire et de ne dire pas; à toutes ces lois de décence, de ménagement et d'égards, qu'impose une société où les deux sexes vivent ensemble, où l'inégalité des conditions et des rangs doit se laisser sentir, sans que la vanité ait à se plaindre de l'orgueil, où la pudeur, l'innocence même, admise aux plaisirs de l'esprit, n'y doit rien trouver qui la blesse; on ne sera plus étonné que l'opinion, la coutume, l'exemple, et plus que tout, la métaphysique de l'amour et de l'amour - propre, ayant successivement et diversement associé aux convenances immuables de la nature une foule de convenances accidentelles et factices, qu'il a fallu sentir, démêler, observer, la théorie du goût soit devenue si compliquée, si savante, et enfin si problématique.

Le goût, chez les Romains, fut d'abord ana

logue à la rudesse de leurs mœurs, à l'âpreté de leur génie, à l'état d'inculture de leur société ; et si de cet état il passa tout à coup et sans gradation à un si haut degré de politesse et d'élégance, c'est qu'il leur vint tout formé de la Grèce, d'où le prirent les Scipions et d'où Ménandre le transmit à Térence mais ce ne fut jamais, dans Rome, que le goût des hommes instruits; celui du peuple se ressentait, même du temps d'Horace, de son ancienne grossièreté. Cette nation politique et guerrière ne fit jamais assez de cas des arts purement agréables, pour y appliquer une attention sérieuse; le caractère de son génie n'était pas la délicatesse; et si elle montra un discernement juste et fin, ce ne fut qu'en fait d'éloquence, le seul des talents de l'esprit qu'elle estima sincèrement, et dont, par un long exercice, elle devint un excellent juge. Mais les écoles de l'éloquence furent des écoles de goût, et l'histoire et la poésie profitèrent de ses leçons.

Ce fut surtout à la cour d'Auguste, et dans l'élite des esprits cultivés, que le goût des Athéniens se conserva et se polit encore, comme il est naturel au goût républicain de se raffiner en passant par l'oisive cour d'un monarque. Seulement pour les bienséances, les Romains, ainsi que les Grecs, furent toujours moins sévères que

nous.

On a dit que leur langue était moins chaste que la nôtre; c'était leur politesse qui était moins

Élém. de Littér. I.

2

délicate. La langue de Térence, de Cicéron et de Virgile, était chaste quand on voulait et tant qu'on voulait : l'Enéide en est bien la preuve; mais l'Eneide devait être lue dans le salon de Livie, et c'était pour le cabinet de Julie que l'Art d'aimer était écrit. Virgile et Ovide, Tacite et Pétrone, Sénèque et Juvénal, parlaient la même langue, et non pas le même langage. Horace était sévère et chaste le matin, licencieux le soir, selon qu'il écrivait pour le lever d'Auguste, ou pour le souper de Mécène.

Si donc le goût moderne a des lois plus austères, c'est dans l'esprit de la societé, non dans le génie de la langue qu'en est la véritable cause; c'est parce que l'imprimerie donne aux écrits tant de publicité, que la licence n'a plus de voile ; c'est parce qu'un style trop libre manquerait aux égards que l'usage prescrit; c'est que tout ce qu'on met au jour doit pouvoir passer sous les yeux de ce sexe aimable et difficile, dont le point d'honneur est dans la décence, et qui ne consent à venir animer, adoucir, embellir la triste société des hommes, qu'à condition que leur liberté respectera sa fière modestie. Ainsi la première des grâces à laquelle nos écrivains doivent sacrifier, c'est la pudeur.

De là tous ces ménagements, toutes ces adresses de style, toutes ces expressions vagues ou détournées, ces demi-jours, ces demi-teintes, en un mot ces délicatesses et ces finesses de langage

qui rendent aujourd'hui si difficile l'art d'écrire avec goût les choses de pur agrément. Et combien cet art d'éluder, de voiler, de dissimuler, de rendre l'expression timide et modeste, lors même que la pensée ne l'est pas, combien cet art a dû se raffiner dans une langue où la galanterie et l'amour ont été si subtilement et si savamment analysés! De combien de nuances devait être assortie la palette d'un peintre comme Racine, pour exprimer le caractère de Phèdre de manière que d'honnêtes femmes pussent l'admirer sans rougir! Ainsi le désir de leur plaire, le devoir de les ménager, l'avantage que la nature leur a donné sur · nous pour la finesse des organes et l'extrême délicatesse de perception dans les détails; enfin un droit acquis et assez légitime de juger les arts d'agrément, une influence continuelle sur l'esprit de société, et un empire presque absolu sur l'opinion et l'usage, ont érigé les femmes en arbitres du goût; et il leur doit en même temps ses finesses les plus exquises, sa mobilité perpétuelle,' et son excessive timidité.

de

Après avoir considéré le goût dans ses deux grandes relations, d'un côté avec la nature, l'autre avec la société, il sera aisé de concevoir ce qu'il a dû souffrir de la dépravation des esprits et des ames dans des siècles de barbarie, à quelle perfection il a pu s'élever dans des temps de culture et d'émulation, et quelles ont été depuis les causes de sa décadence.

Entre l'état de l'homme sauvage et l'état de l'homme civilisé, et dans le passage de l'un à l'autre, est l'état de l'homme barbare. Le sauvage, comme je l'ai conçu, serait l'homme de la nature; le barbare, au contraire, est un homme dénaturé sa raison, ses mœurs, ses idées, ses sentiments, sont pervertis par des conventions et par des habitudes tout aussi artificielles les modes du luxe et de la vanité.

que

Lorsque des hommes vagabonds, incultes, effrénés, se réunissent pour vivre ensemble, leurs passions ne tardent pas à fermenter; et de leur mélange s'exhalent des opinions insensées, d'absurdes superstitions, des mœurs bizarres ou atroces. C'est par ces dégradations qu'on a vu passer, dans tous les temps, l'espèce humaine, avant de recevoir les formes régulières de la civilisation.

Or on sent bien que dans cet état, toutes les idées de convenances doivent être obscurcies ; que toutes les sources des plaisirs intellectuels sont corrompues ; et que l'homme, ainsi dépravé, n'est plus susceptible d'aucun discernement dans les prédilections du sentiment et de la pensée.

Tirer les hommes de la barbarie, c'est donc commencer par les rendre à la nature, en corrigeant en eux tous ces vices acquis, tous ces travers de l'esprit et de l'ame; et à mesure que l'un et l'autre se relèvent et se rectifient, le sentiment du vrai, du bien, du beau moral, enfin tous les rapports, soit de l'homme avec l'homme,

« PoprzedniaDalej »