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un spectacle très effrayant. Il n'en est pas ainsi. Pourquoi? et qu'est-ce donc qui fait la beauté de l'action dramatique, indépendamment du tableau et du mouvement théâtral? Je l'ai dit, l'action dramatique se passe dans l'ame des acteurs. Or, pour se produire au dehors, et se rendre présente à l'ame des spectateurs, elle a deux signes, la parole et le geste. Ce qu'elle a de plus fort, mais de plus vague et de plus commun, frappe les yeux ; ce qu'elle a de sublime, de délicat et de profond, les traits de caractère, la peinture des mœurs, les nuances des sentiments, les gradations, les alternatives, le mélange des intérêts, le choc des passions, leurs révolutions diverses ne sont pas des objets visibles; le.jeu muet peut les indiquer, mais ne les exprime jamais bien. L'action dramatique intéressera donc plus ou moins l'oreille ou les yeux, selon qu'elle sera plus ou moins favorable à l'éloquence ou à la peinture.

Les impressions faites sur l'ame par l'entremise de l'oreille, sont plus lentes; Horace l'a dit ; mais, par là même, elles peuvent être plus profondes et plus durables. Celles qui passent par les yeux, sont vives, soudaines, rapides, mais par là même fugitives. La pensée a des accroissements; la sensation n'en a pas l'une germe dans les esprits; l'autre est stérile et infructueuse. Les yeux n'introduisent que des sensations; l'oreille transmet des pensées. Enfin les passions les plus pittores

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ques et les plus remuantes ne sont pas toujours celles d'où l'éloquence tire ses plus beaux mouvements, ses plus belles gradations, ses développements les plus intéressants, ses traits les plus sublimes. Or, c'est dans cette fécondité de l'action dramatique que sa beauté réside; et c'est là ce qui la distingue de l'action pantomime, qui ne parle qu'aux yeux.

Un mouvement grossier de jalousie, de dépit, de fureur, peut s'exprimer sans équivoque par le seul geste et le jeu du visage. Mais ces successions graduées, ces réflexions, ces retours, ces contrastes, ces mélanges de passions, en un mot, cette analyse du cœur humain, qui fait la beauté inimitable des rôles de Didon, d'Ariane, de Phèdre. d'Hermione, etc., tout cela, dis-je, dis-je, n'est pas fait pour les yeux; et c'est pourtant là le sublime et le propre. de l'action. Qu'on la réduise en pantomime, il n'y a plus rien que de commun. Aux yeux, la Phèdre de Racine serait la même que celle de Pradon; elle serait bien pis encore; elle serait la Phèdre de tel et de tel spectateur, qui, en s'expliquant le jeu muet de l'actrice, lui prêterait ses mœurs, ses sentiments et son langage.

On a pu voir que, dans le ballet des Horaces, tout le génie de Corneille était perdu. Aucun des sentiments, ni d'Horace le père, ni d'Horace le fils, ni de Camille, n'était rendu nettement, ni ne pouvait l'être. Assurément ce n'est pas que l'action ne soit vive et tragique, surtout depuis

la scène du Qu'il mourút, jusqu'à la mort de Camille. Mais le moyen d'exprimer par le geste les mouvements de l'ame du vieil Horace et de sa fille? La pantomime est un canevas que chaque spectateur remplit dans sa pensée. Or, quand le parterre serait plein d'hommes de génie, et d'un génie égal à celui de Corneille, ils seraient encore loin de suppléer à la méditation du poète dans le silence du cabinet. Il en est de même de la comédie. Que serait-ce que l'action muette du Misanthrope, et même du Tartufe? On exprimerait dans l'Avare l'enlèvement de la cassette et le désespoir d'Harpagon; mais sa scène avec Euphrosine, mais ses perplexités sur le. dîner qu'il doit donner à Marianne, mais l'artifice qu'il emploie pour tirer de son fils l'aveu de son amour, mais leur rencontre chez l'usurier; sont-ce là des jeux de théâtre? et cependant c'est de l'action. Rien de plus mouvant sur la scène que le comique espagnol et italien; Molière y renonça dès qu'il se sentit du génie. Il reconnut que l'action comique tirait sa force et sa beauté des mœurs ; et que, pour faire rire les honnêtes gens, c'était à l'esprit, qu'il devait s'adresser, moins par les yeux que par l'oreille.

Le but de l'action dramatique, son utilité, son attrait, son intérêt durable, est de corriger les mœurs par l'imitation des mœurs; c'est là le grand* fruit du spectacle; et sans cela le plaisir qu'on y éprouve serait puéril et momentané.

La belle contexture de l'action dramatique est donc un enchaînement de situations, qui donne lieu à mettre en évidence ou le danger de nos passions, ou le ridicule de nos faiblesses, de nos travers et de nos vices. Or, tout cela demande des développements que le geste n'exprime point. Qu'on se rappelle les plus belles scènes de l'un et de l'autre théâtre : c'est l'éloquence qui en fait le prix; et c'est la situation morale qui est la source de l'éloquence. C'est ce que ne sentait pas celui qui, après la déclaration de Phèdre à Hippolyte, disait à son voisin : Voilà bien des paroles perdues. Ce mot renferme tout le système de ceux qui mettent la pantomime à la place de l'éloquence des passions. Ils ont choisi le genre qui leur était le plus commode; car il en est de l'art dramatique comme de l'art oratoire; où domine la pantomime, dit Aristote, l'élocution demande peu de soin. Mais avec ce talent de parler aux yeux, on peut être encore un médiocre orateur et un mauvais poète.

Je ne dis pas que la même action ne puisse en même temps parler aux yeux et à l'esprit : si elle réunit ces deux moyens, l'impression n'en est que plus vive; et c'est peut-être un avantage qu'on a trop souvent négligé. Mais je dis que le jeu de théâtre est, comme la parole, une façon *de s'exprimer; que l'un rend ce que l'action a de plus matériel, de plus commun et de plus vague; l'autre, ce qu'elle a de plus spirituel, de

plus noble, de plus exquis; que ni l'un ni l'autre de ces deux signes ne doit être pris pour la chose, c'est-à-dire, pour l'action même ; et que, s'il faut choisir, ou d'un spectacle plus intéressant à la vue qu'à la pensée, ou d'un spectacle plus intéressant à la pensée qu'à la vue, il n'y a point à balancer. Le premier aura son succès, mais le succès de la pantomime, après laquelle il ne reste rien. Ainsi celui qui, après avoir rempli un canevas de pantomime, nous dira que sa pièce est faite pour être jouée et non pour être lue, se placera lui-même dans le nombre des compositeurs de ballets.

Le spectacle n'est qu'un moyen de l'éloquence poétique; et quoique son objet immédiat soit d'amuser, de plaire, d'émouvoir, ce n'est point encore là sa fin ultérieure; cette fin est de renvoyer le spectateur plus éclairé, plus sage, meilleur, s'il est possible, au moins plus riche de pensées et de sentiments vertueux.

Le plaisir d'être ému ou réjoui, n'est que le miel dont on arrose le bord du vase où est contenue la liqueur salutaire. Un peuple enfant suce le miel, et s'en tient là. Un peuple raisonnable veut autre chose qu'un amusement stérile et frivole. L'un va rire à une mauvaise farce, ou s'attendrir à un mauvais drame; l'autre veut dans le ridicule une instruction qui l'avertisse, une leçon qui le corrige, au moins une peinture ingénieuse et vraie, qui, en flattant sa malignité,

Élém. de Littér. I.

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