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d'Antiochus, je frémis, comme si je ne savais pas que Timagène arrive. Ayez seulement soin que, dans l'action même, rien ne trahisse le secret de la dernière révolution; j'aurai beau le savoir d'ailleurs, je me le dissimulerai, pour me laisser jouir du plaisir d'être ému: effet inexplicable, et pourtant bien réel, de l'illusion théâtrale. Mais autant la solution doit être cachée, autant les termes opposés où l'action peut aboutir doivent être marqués et mis en évidence. Je n'en excepte qu'une sorte de fable: c'est lorsque entre deux malheurs, dont il semble que l'un ou l'autre doive arriver inévitablement, il y a pourtant un moyen de les éviter tous deux, et qu'on a dessein de tirer, par cette heureuse révolution, les personnages intéressants du double péril qui les presse. Ce moyen doit être caché comme l'issue du labyrinthe : mais tout ce qu'il y a de funeste à craindre doit être connu, et le plus tôt possible. Que dès le premier acte d'OEdipe, par exemple, le spectateur fût instruit qu'OEdipe est l'assassin de son père et le mari de sa mère ; dès ce moment tous les efforts de ce malheureux prince pour découvrir le meurtrier de Laïus, feraient frémir; et l'approche des incidents qui amèneraient les reconnaissances, rempliraient les esprits de compassion et de terreur. On peut rendre raison par là de ce qui arrive assez souvent, qu'une pièce fait plus d'impression la seconde fois que la première.

De notre définition, il suit encore, que plus les événements opposés sont extrêmes, plus l'alternative de l'un à l'autre a d'importance et d'intérêt. Si, d'un côté, il y va de l'excès du bonheur, et, de l'autre, de l'excès du malheur, comme dans l'Iphigénie en Tauride et dans la Mérope, la solution du problème est bien plus intéressante que lorsqu'il ne s'agit que d'un malheur plus sensible, ou d'un bonheur faiblement souhaité. Par exemple, dans Polyeucte, supposons que Pauline fût passionnément amoureuse de son époux; le problème serait bien plus terrible, et la situation de Pauline bien plus cruelle et plus touchante. Corneille, en la faisant amoureuse de Sévère, a évidemment préféré l'intérêt de l'admiration à celui de la terreur et de la pitié : en quoi il a obéi à son génie, et composé une fable plus étonnante et moins tragique.

Dans la comédie, même alternative : l'intérêt consiste, 1o à faire souhaiter que le ridicule, puni par lui-même, soit à la fin livré à la risée et au mépris; 2° à faire naître une curiosité inquiète, et une vive impatience de voir par quel moyen ce qu'on souhaite arrivera. L'Avare épousera-t-il Marianne, ou la cédera-t-il à son fils? Tartufe sera-t-il confondu et démasqué aux yeux d'Orgon, ou jouira-t-il de sa fourberie? Voilà le problème à résoudre. Au lieu du trouble et du danger qui règne dans la tragédie, c'est l'agitation des querelles domestiques; au lieu des

revers, ce sont les méprises; au lieu du pathétique, c'est le ridicule : mais le combat des intérêts, le choc des incidents est le même dans les deux genres, pour amener en sens contraire deux événements opposés. Observons seulement que, dans le comique, si le malheur est grave, il ne doit être craint que par les personnages; les spectateurs doivent au moins se douter qu'il n'en sera rien : c'est une différence essentielle entre les deux genres, et peut-être le seul artifice qui manque à l'intrigue du Tartufe, dont le dénouement n'eût rien perdu à être un peu plus annoncé.

L'intérêt du poète, en effet, n'est pas, dans le comique, de tenir le spectateur en peine, mais bien les personnages: car il s'agit de divertir les témoins aux dépens des acteurs ; et à moins d'être de la confidence, il n'est guère possible de se divertir d'une situation aussi affligeante que celle qui précède la révolution du cinquième acte du Tartufe. Peut-être Molière a-t-il voulu que le spectateur, saisi de crainte, fût sérieusement indigné contre le fourbe hypocrite: mais ce trait de force, placé dans une pièce où le vice le plus odieux est démasqué, ne tire point à conséquence; et en général, dans le vrai comique, un danger qui ferait frémir, s'il était réel, ne doit pas être sérieux : il faut au moins laisser prévoir que celui qui en est menacé en sera quitte pour la peur.

Si la définition que je viens de donner de l'action, soit épique, soit dramatique, est juste, comme je le crois, on a eu tort de dire que l'action du poème de Lucain manque d'unité ; on a eu plus grand tort de dire que les poèmes d'Homère n'ont que l'importance des personnages, et non pas celle de l'action.

celui

Il n'y a pas de problème plus simple que ci: A qui restera l'empire du monde? Sera-ce au parti de Pompée et du sénat? sera-ce au parti de César? Or, dans le poème de la Pharsale, tout se réduit à cette alternative; et jamais action n'a tendu plus directement à son but. On a déjà vu qu'un modèle admirable de l'action épique est le sujet de l'Odyssée. Celui de l'Iliade est moins intéressant; mais, par son influence et comme événement, il est d'une extrême importance. La colère d'Achille va-t-elle sauver Troie, et forcer les Grecs à lever le siége et à s'en retourner honteusement dans leur pays? ou, par quelque révolution imprévue, Achille, apaisé et rendu à la Grèce, va-t-il précipiter la perte des Troyens et la vengeance des Atrides? Voilà le problème de l'Iliade; et la mort de Patrocle en est la solution.

Qu'est-ce donc qu'on a voulu dire, en reprochant à l'action de ce poème et à celle de l'Odyssée, de manquer d'importance? et qu'a-t-on voulu dire encore, en donnant pour des différences, entre l'action épique et l'action dramatique, ce

Élém. de Littér. I.

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qui convient également à toutes les deux ? La solution des obstacles "est, dit-on, ce qui fait le dénouement; et le dénouement peut se pratiquer de deux manières ou par une reconnaissance, ou sans reconnaissance, ce qui n'a lieu que dans la tragédie. Et pourquoi pas dans le poème épique? Celui-ci, comme l'a très bien vu Aristote, n'est que la tragédie en récit.

L'action de l'épopée est sans doute un exemple, mais non pas un exemple à suivre et, comme celle de la tragédie, elle est tantôt l'exemple du malheur attaché au crime, à l'imprudence, aux passions humaines; tantôt l'exemple des vertus, et du succès qui les couronne, ou de la gloire qui les suit.

L'épopée est une tragédie, dont l'action se passe dans l'imagination du lecteur. Ainsi tout ce qui, dans la tragédie, est présent aux yeux, doit être présent à l'esprit dans l'épopée. Le poète est lui-même le décorateur et le machiniste; et non-seulement il doit retracer dans ses vers le lieu de la scène, mais le tableau, le mouvement, la pantomime de l'action,, en un mot, tout ce qui tomberait sous les sens si le poème était dramatique.

Il y a sans doute, pour cette imitation en récit, du désavantage du côté de la chaleur et de la vérité; mais il y a de l'avantage du côté de la grandeur et de la magnificence du spectacle, du côté de l'étendue et de la durée de l'action, du

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