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belles, les petits marchands de province, s'était laissé entortiller dans la première conspiration tramée contre les Bourbons après les Cent-Jours. Gaudissart, à qui le grand air était indispensable, se vit en prison sous le poids d'une accusation capitale. Le juge Popinot, chargé de l'instruction, avait mis Gaudissart hors de cause en reconnaissant que son imprudente sottise l'avait seule compromis dans cette affaire. Avec un juge désireux de plaire au pouvoir ou d'un royalisme exalté, le malheureux commis allait à l'échafaud. Gaudissart, qui croyait devoir la vie au juge d'instruction, nourrissait un profond désespoir de ne pouvoir porter à son sauveur qu'une stérile reconnaissance. Ne devant pas remercier un juge d'avoir rendu la justice, il était allé chez les Ragon se déclarer homme lige des Popinot. En attendant, Popinot alla naturellement revoir sa boutique de la rue des Cinq-Diamants, demander l'adresse du propriétaire, afin de traiter du bail. En errant dans le dédale obscur de la grande Halle, en pensant aux moyens d'organiser un rapide succès, Popinot saisit, rue Aubry-le-Boucher, une occasion unique et de bon augure avec laquelle il comptait régaler César le lendemain. En faction à la porte de l'hôtel du Commerce, au bout de la rue des Deux-Écus, vers minuit, Popinot entendit, dans le lointain de la rue de Grenelle, un vaudeville final chanté par Gaudissart, avec accompagnement de canne significativement traînée sur les pavés.

-

Monsieur, dit Anselme en débouchant de la porte et se montrant soudain, deux mots?

Onze, si vous voulez, dit le commis voyageur en levant sa canne plombée sur l'agresseur.

Je suis Popinot, dit le pauvre Anselme.

Suffit, dit Gaudissart en le reconnaissant. Que vous faut-il? de l'argent? Absent par congé, mais on en trouvera. Mon bras pour un duel? Tout à vous, des pieds à l'occiput.

Et il chanta :

Voilà, voilà

Le vrai soldat français!

Venez causer avec moi dix minutes, non pas dans votre chambre, on pourrait nous écouter, mais sur le quai de l'Horloge:

à cette heure il n'y a personne, dit Popinot; il s'agit de quelque chose de plus important.

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En dix minutes, Gaudissart, maître des secrets de Popinot, en avait reconnu l'importance.

Paraissez, parfumeurs, coiffeurs et débitants!

s'écria Gaudissart en singeant Lafon dans le rôle du Cid. Je vais empaumer tous les boutiquiers de France et de Navarre. Oh! une idée ! J'allais partir, je reste, et vais prendre les commissions de la parfumerie parisienne.

- Et pourquoi?

- Pour étrangler vos rivaux, innocent! En ayant leurs commissions, je puis faire boire de l'huile à leurs perfides cosmétiques, en ne parlant et ne m'occupant que de la vôtre. Un fameux tour de voyageur! Ah! ah! nous sommes les diplomates du commerce. Fameux! Quant à votre prospectus, je m'en charge. J'ai pour ami d'enfance Andoche Finot, le fils du chapelier de la rue du Coq, le vieux qui m'a lancé dans le voyage pour la chapellerie; Andoche, qui a beaucoup d'esprit, il a pris celui de toutes les têtes que coiffait son père, il est dans la littérature, il fait les petits théâtres au Courrier des Spectacles. Son père, vieux chien plein de raisons pour ne pas aimer l'esprit, ne croit pas à l'esprit impossible de lui prouver que l'esprit se vend, qu'on fait fortune dans l'esprit. En fait d'esprit, il ne connaît que le trois-six. Le vieux Finot prend le petit Finot par famine. Andoche, homme capable, mon ami d'ailleurs, et je ne fraye avec les sots que commercialement, Finot fait des devises pour le Fidèle Berger, qui paye, tandis que les journaux où il se donne un mal de galérien le nourrissent de couleuvres. Sont-ils jaloux, dans cette partie-là ! C'est comme dans l'article Paris. Finot avait une superbe comédie en un acte pour mademoiselle Mars, la plus fameuse des fameuses, ah! en voilà une que j'aime! Eh bien, pour se voir jouer, il a été forcé de la porter à la Gaieté. Andoche connaît le prospectus, il entre dans les idées du marchand, il n'est pas fier, il limousinera notre prospectus gratis. Mon Dieu, avec un bol de punch et des gâteaux, on le régalera; car, Popinot, pas de farces je voyagerai sans commission ni frais, vos concur

rents payeront, je les dindonnerai. Entendons-nous bien. Pour moi, ce succès est une affaire d'honneur. Ma récompense est d'être garçon de noces à votre mariage! J'irai en Italie, en Allemagne, en Angleterre ! J'emporte avec moi des affiches en toutes les langues, je les fais apposer partout, dans les villages, à la porte des églises, à tous les bons endroits que je connais dans les villes de province! Elle brillera, elle s'allumera, cette huile, elle sera sur toutes les têtes. Ah! votre mariage ne sera pas un mariage en détrempe, mais un mariage à la barigoule! Vous aurez votre Césarine ou je ne m'appellerai pas l'ILLUSTRE! nom que m'a donné le père Finot, pour avoir fait réussir ses chapeaux gris. En vendant votre huile, je reste dans ma partie, la tête humaine; l'huile et le chapeau sont connus pour conserver la chevelure publique.

Popinot revint chez sa tante, où il devait aller coucher, dans une telle fièvre, causée par sa prévision du succès, que les rues lui semblaient être des ruisseaux d'huile. Il dormit peu, rêva que ses cheveux poussaient follement, et vit deux anges qui lui déroulaient, comme dans les mélodrames, une rubrique où était écrit : Huile césarienne. Il se réveilla, se souvenant de ce rêve, et résolut de nommer ainsi l'huile de noisette, en considérant cette fantaisie du sommeil comme un ordre céleste.

César et Popinot furent dans leur atelier, au faubourg du Temple, bien avant l'arrivée des noisettes; en attendant les porteurs de madame Madou, Popinot raconta triomphalement son traité d'alliance avec Gaudissart.

Nous avons l'illustre Gaudissart, nous sommes millionnaires! s'écria le parfumeur en tendant la main à son caissier de l'air que dut prendre Louis XIV en accueillant le maréchal de Villars au retour de Denain.

- Nous avons bien autre chose encore, dit l'heureux commis en sortant de sa poche une bouteille à forme écrasée en façon de citrouille et à côtes; j'ai trouvé dix mille flacons semblables à ce modèle, tout fabriqués, tout prêts, à quatre sous et six mois de terme.

- Anselme, dit Birotteau contemplant la forme mirifique du flacon, hier (il prit un ton grave), dans les Tuileries, oui, pas plus tard qu'hier, tu disais : « Je réussirai. » Moi, je dis aujourd'hui :

« Tu réussiras! » Quatre sous! six mois de terme! une forme originale! Macassar branle dans le manche, quelle botte portée à l'huile de Macassar! Ai-je bien fait de m'emparer des seules noisettes qui soient à Paris! Où donc as-tu trouvé ces flacons? - J'attendais l'heure de parler à Gaudissart et je flânais... - Comme moi jadis, s'écria Birotteau.

- En descendant la rue Aubry-le-Boucher j'aperçois chez un verrier en gros, un marchand de verres bombés et de cages, qui a des magasins immenses, j'aperçois ce flacon... Ah! il m'a crevé les yeux comme une lumière subite, une voix m'a crié : « Voilà ton affaire! »

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Né commerçant! Il aura ma fille, dit César en grommelant.
J'entre, et je vois des milliers de ces flacons dans des caisses.
Tu t'en informes?

Vous ne me croyez pas si gniolle! s'écria douloureusement Anselme.

- Né commerçant! répéta Birotteau.

Je demande des cages à mettre des petits Jésus de cire. Tout en marchandant les cages, je blâme la forme de ces flacons. Conduit à une confession générale, mon marchand avoue de fil en aiguille que Faille et Bouchot, qui ont manqué dernièrement, allaient entreprendre un cosmétique et voulaient des flacons de forme étrange; il se méfiait d'eux, il exige moitié comptant; Faille et Bouchot, dans l'espoir de réussir, lâchent l'argent; la faillite éclate pendant la fabrication; les syndics, sommés de payer, venaient de transiger avec lui en laissant les flacons et l'argent touché, comme indemnité d'une fabrication prétendue ridicule et sans placement possible. Les flacons coûtent huit sous, il serait heureux de les donner à quatre, Dieu sait combien de temps il aurait en magasin une forme qui n'est pas de vente. « Voulez-vous vous engager à en fournir par dix mille à quatre sous? Je puis vous débarrasser de vos flacons, je suis commis chez M. Birotteau. » Et je l'entame, et je le mène, et je domine mon homme, et je le chauffe, et il est à

nous.

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Quatre sous! dit Birotteau. Sais-tu que nous pouvons mettre l'huile à trois francs et gagner trente sous en en laissant vingt à nos détaillants?

-L'huile césarienne! cria Popinot.

L'huile césarienne ?... Ah! monsieur l'amoureux, vous voulez flatter le père et la fille. Eh bien, soit, va pour l'huile césarienne! les Césars avaient le monde, ils devaient avoir de fameux che

veux.

- César était chauve, dit Popinot.

Parce qu'il ne s'est pas servi de notre huile, on le dira! A trois francs l'huile césarienne; l'huile de Macassar coûte le double. Gaudissart est là, nous aurons cent mille francs dans l'année, car nous imposons toutes les têtes qui se respectent de douze flacons par an, dix-huit francs! Soit dix-huit mille têtes, cent quatre-vingt mille francs. Nous sommes millionnaires.

Les noisettes livrées, Raguet, les ouvriers, Popinot, César, en épluchèrent une quantité suffisante, et il y eut avant quatre heures quelques livres d'huile. Popinot alla présenter le produit à Vauquelin, qui fit présent à Popinot d'une formule pour mêler l'essence de noisette à des corps oléagineux moins chers et la parfumer. Popinot se mit aussitôt en instance pour obtenir un brevet d'invention et de perfectionnement. Le dévoué Gaudissart prêta l'argent pour le droit fiscal à Popinot, qui avait l'ambition de payer sa moitié dans les frais d'établissement.

La prospérité porte avec elle une ivresse à laquelle les hommes inférieurs ne résistent jamais. Cette exaltation eut un résultat facile à prévoir. Grindot vint, il présenta le croquis colorié d'une délicieuse vue intérieure du futur appartement orné de ses meubles. Birotteau, séduit, consentit à tout. Aussitôt les maçons donnèrent les coups de pic qui firent gémir la maison et Constance. Son peintre en bâtiments, M. Lourdois, un fort riche entrepreneur qui s'engageait à ne rien négliger, parlait de dorures pour le salon. En entendant ce mot, Constance intervint.

- Monsieur Lourdois, dit-elle, vous avez trente mille livres de rente, vous habitez une maison à vous, vous pouvez y faire ce que vous voulez; mais, nous autres...

Madame, le commerce doit briller et ne pas se laisser écraser par l'aristocratie. Voilà, d'ailleurs, M. Birotteau dans le gouvernement, il est en évidence...

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- Oui, mais il est encore en boutique, dit Constance devant ses

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