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cées de chaque côté de sa tête, descendaient sur le collet de son habit crasseux et boutonné jusqu'au cou. Il ressemblait tout à la fois à Voltaire et à don Quichotte; il était railleur et mélancolique, plein de mépris, de philosophie, mais à demi aliéné. Il paraissait ne pas avoir de chemise. Sa barbe était longue. Sa méchante cravate noire tout usée, déchirée, laissait voir un cou protubérant, fortement sillonné, composé de veines grosses comme des cordes. Un large cercle brun, meurtri, se dessinait sous chacun de ses yeux. Il semblait avoir au moins soixante ans. Ses mains étaient blanches et propres. Il portait des bottes éculées et percées. Son pantalon bleu, raccommodé en plusieurs endroits, était blanchi par une espèce de duvet qui le rendait ignoble à voir. Soit que ses vêtements mouillés exhalassent une odeur fétide, soit qu'il eût à l'état normal cette senteur de misère qu'ont les taudis parisiens, de même que les bureaux, les sacristies et les hospices ont la leur, goût fétide et rance, dont rien ne saurait donner l'idée, les voisins de cet homme quittèrent leurs places et le laissèrent seul; il jeta sur eux, puis reporta sur l'officier son regard calme et sans expression, le regard si célèbre de M. de Talleyrand, coup d'œil terne et sans chaleur, espèce de voile impénétrable, sous lequel une âme forte cache de profondes émotions et les plus exacts calculs sur les hommes, les choses et les événements. Aucun pli de son visage ne se creusa. Sa bouche et son front furent impassibles; mais ses yeux s'abaissèrent par un mouvement d'une lenteur noble et presque tragique. Il y eut enfin tout un drame dans le mouvement de ses paupières flétries.

L'aspect de cette figure stoïque fit naître chez M. de Maulincour l'une de ces rêveries vagabondes qui commencent par une interrogation vulgaire et finissent par comprendre tout un monde de pensées. L'orage était passé. M. de Maulincour n'aperçut plus de cet homme que le pan de sa redingote qui frôlait la borne; mais, en quittant sa place pour s'en aller, il trouva sous ses pieds une lettre qui venait de tomber, et devina qu'elle appartenait à l'inconnu, en lui voyant remettre dans sa poche un foulard dont il venait de se servir. L'officier, qui prit la lettre pour la lui rendre, en lut involontairement l'adresse :

Mosieur Ferragusse,

A Mosieur

Rue des Grands-Augustains, au coing de la rue Soly.

PARIS.

La lettre ne portait aucun timbre, et l'indication empêcha M. de Maulincour de la restituer; car il y a peu de passions qui ne deviennent improbes à la longue. Le baron eut un pressentiment de l'opportunité de cette trouvaille, et voulut, en gardant la lettre, se donner le droit d'entrer dans la maison mystérieuse pour y venir la rendre à cet homme, ne doutant pas qu'il ne demeurât dans la maison suspecte. Déjà des soupçons, vagues comme les premières lueurs du jour, lui faisaient établir des rapports entre cet homme et madame Jules. Les amants jaloux supposent tout; et c'est en supposant tout, en choisissant les conjectures les plus probables que les juges, les espions, les amants et les observateurs devinent la vérité qui les intéresse.

Est-ce à lui la lettre? est-elle de madame Jules?

Mille questions ensemble lui furent jetées par son imagination inquiète; mais, aux premiers mots, il sourit. Voici textuellement, dans la splendeur de sa phrase naïve, dans son orthographe ignoble, cette lettre, à laquelle il était impossible de rien ajouter, dont il ne fallait rien retrancher, si ce n'est la lettre même, mais qu'il a été nécessaire de ponctuer en la donnant. Il n'existe dans l'original ni virgules, ni repos indiqué, ni même de points d'exclamation; fait qui tiendrait à détruire le système des points par lesquels les auteurs modernes ont essayé de peindre les grands désastres de toutes les passions :

<< Henry,

» Dans le nombre des sacrifisses que je m'étais imposée a votre égard ce trouvoit ce lui de ne plus vous donner de mes nouvelles; mais une voix irrésistible mordonne de vous faire connettre vos crimes en vers moi. Je sais d'avance que votre ame an durcie dans le vice ne daignera pas me pleindre. Votre cœur est sour à la censibilité. Ne l'ét-il pas aux cris de la nature? mais peu importe: je

dois vous apprendre jusqu'à quelle poing vous vous êtes rendu coupable et l'orreur de la position où vous m'avez mis. Henry, vous saviez tout ce que j'ai souffert de ma première faute et vous avez pu mé plonger dans le même malheur et m'abendonner à mon desespoir et à ma douleur. Oui, je la voue, la croyence que javoit d'être aimée et d'être estimée de vou m'avait donné le couraje de suporter mon sort. Mais aujourd'hui que me reste-t-il? ne m'avez vous pas fai perdre tout ce que j'avoit de plus cher, tout ce qui m'attachait à la vie parans, amis, onneur, réputations, je vous ai tout sacrifiés et il ne me reste que l'oprobre, la honte et, je le dis sans rougire, la misère. Il ne manquai à mon malheur que la sertitude de votre mépris et de votre aine; maintenant que je l'é, j'orai le couraje que mon projet exije. Mon parti est pris et l'honneur de ma famille le commande : je vais donc mettre un terme à mes souffransses. Ne faites aucune réflaictions sur mon projet, Henry. Il est affreux, je le sais, mais mon état m'y forsse. Sans secour, sans soutien, sans un ami pour me consoler, puije vivre? non. Le sort en a désidé. Ainci dans deux jours, Henry, dans deux jours Ida ne cera plus digne de votre estime; mais recevez le serment que je vous fais d'avoir ma conscience tranquille, puisque je n'ai pas sésé d'être digne de votre amitié. O Henry, mon ami, car je ne changerai jamais pour vous, promettez-moi que vous me pardonnerèz la carrier que je vait embrasser. Mon amour m'a donné du courage, il me soutiendra dans la vertu. Mon cœur d'ailleur plain de ton image cera pour moi un préservatife contre la séduction. N'oubliez jamais que mon sort est votre ouvrage, et jugezvous. Puice le ciel ne pas vous punir de vos crimes, c'est à genoux que je lui demende votre pardon, car je le sens, il ne me manquerai plus à mes maux que la douleur de vous savoir malheureux. Malgré le dénument où je me trouve, je refuserai tout èspec de secour de vous. Si vous m'aviez aimé, j'orai pu les recevoir comme venent de la mitié, mais un bienfait exité par la pitiė, mon âme le repousse et je cerois plus lache en les resevent que celui qui me le proposerai. J'ai une grâce a vous demander. Je ne sais pas le temps que je dois rester chez madame Meynardie, soyez assez généreux d'éviter di paroitre devant moi. Vos deux dernier visites mon fait un mal dont je me résentirai longtemps je ne

veux point entrer dans des détailles sur votre condhuite à ce sujet. Vous me haisez, ce mot est gravé dans mon cœur et la glassé défroit. Hélas! c'est au moment où j'ai besoin de tout mon courage que toutes mes facultés ma bandonnent, Henry, mon ami, avant que j'aie mis une barrier entre nous, donne moi une dernier preuve de ton estime : écris-moi, répons moi, dis moi que tu mestime encore quoique ne m'aimant plus. Malgré que mes yeux soit toujours dignes de rencontrer les vôtres, je ne sollicite pas d'entrevue je crains tout de ma faiblesse et de mon amour. Mais de grâce écrivez moi un mot de suite, il me donnera le courage dont j'ai besoin pour supporter mes adversités. Adieu l'oteur de tous mes maux, mais le seul ami que mon cœur ai choisi et qu'il n'oublira jamais.

» IDA. >>

Cette vie de jeune fille dont l'amour trompé, les joies funestes, les douleurs, la misère et l'épouvantable résignation étaient résumés en si peu de mots; ce poëme inconnu, mais essentiellement parisien, écrit dans cette lettre sale, agirent pendant un moment sur M. de Maulincour, qui finit par se demander si cette Ida ne serait pas une parente de madame Jules, et si le rendez-vous du soir, duquel il avait été fortuitement témoin, n'était pas nécessité par quelque tentative charitable. Que le vieux pauvre eût séduit Ida?... cette séduction tenait du prodige. En se jouant dans le labyrinthe de ses réflexions qui se croisaient et se détruisaient l'une par l'autre, le baron arriva près de la rue Pagevin, et vit un fiacre arrêté dans le bout de la rue des Vieux-Augustins qui avoisine la rue Montmartre. Tous les fiacres stationnés lui disaient quelque chose.

-Y serait-elle? pensa-t-il.

Et son cœur battait par un mouvement chaud et fiévreux. Il poussa la petite porte à grelot, mais en baissant la tête et en obéissant à une sorte de honte, car il entendait une voix secrète qui lui disait : « Pourquoi mets-tu le pied dans ce mystère? »

Il monta quelques marches, et se trouva nez à nez avec la vieille portière.

-M. Ferragus?

VIII.

3

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Connais pas...

Comment! M. Ferragus ne demeure pas ici?

Nous n'avons pas ça dans la maison.

Mais, ma bonne femme...

Je ne suis pas une bonne femme, monsieur, je suis concierge.

- Mais, madame, reprit le baron, j'ai une lettre à remettre à M. Ferragus.

Ah! si monsieur a une lettre, dit-elle en changeant de ton, la chose est bien différente. Voulez-vous la faire voir, votre lettre? Auguste montra la lettre pliée. La vieille hocha la tête d'un air de doute, hésita, sembla vouloir quitter sa loge pour aller instruire le mystérieux Ferragus de cet incident imprévu; puis elle dit :

Eh bien, montez, monsieur. Vous devez savoir où c'est... Sans répondre à cette phrase, par laquelle cette vieille rusée pouvait lui tendre un piége, l'officier grimpa lestement l'escalier, et sonna vivement à la porte du second étage. Son instinct d'amant lui disait : « Elle est là. »

L'inconnu du porche, le Ferragus ou l'oteur des maux d'Ida, ouvrit lui-même. Il se montra vêtu d'une robe de chambre à fleurs, d'un pantalon de molleton blanc, les pieds chaussés de jolies pantoufles en tapisserie, et la tête débarbouillée. Madame Jules, dont la tête dépassait le chambranle de la porte de la seconde pièce, pâlit et tomba sur une chaise.

elle.

Qu'avez-vous, madame? s'écria l'officier en s'élançant vers

Mais Ferragus étendit le bras et rejeta vivement l'officieux en arrière par un mouvement si sec, qu'Auguste crut avoir reçu dans la poitrine un coup de barre de fer.

Arrière, monsieur! dit cet homme. Que nous voulez-vous? Vous rôdez dans le quartier depuis cinq ou six jours. Seriez-vous un espion?

- Êtes-vous M. Ferragus? dit le baron.

Non, monsieur.

Néanmoins, reprit Auguste, je dois vous remettre ce papier, que vous avez perdu sous la porte de la maison où nous étions tous deux pendant la pluie.

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