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- Chère tante, je puis donc aller chez lui déguisée? Mais, oui, ça peut toujours se nier, dit la vieille.

La duchesse n'avait clairement perçu que cette idée dans le sermon que la princesse venait de lui faire. Quand madame de Chauvry fut assise dans le coin de sa voiture, madame de Langeais lui fit un gracieux adieu, et remonta chez elle tout heu

reuse.

Ma personne lui aurait pris le cœur; elle a raison, ma tante, un homme ne doit pas refuser une jolie femme, quand elle sait se bien offrir.

Le soir, au cercle de madame la duchesse de Berri, le duc de Navarreins, M. de Pamiers, M. de Marsay, M. de Grandlieu, le duc de Maufrigneuse, démentirent victorieusement les bruits offensants qui couraient sur la duchesse de Langeais. Tant d'officiers et de personnes attestèrent avoir vu Montriveau se promenant aux Tuileries pendant la matinée, que cette sotte histoire fut mise sur le compte du hasard, qui prend tout ce qu'on lui donne. Aussi, le lendemain, la réputation de la duchesse devint-elle, malgré la station de sa voiture, nette et claire comme l'armet de Mambrin après avoir été fourbi par Sancho. Seulement, à deux heures, au bois de Boulogne, M. de Ronquerolles passant à côté de Montriveau dans une allée déserte, lui dit en souriant :

Elle va bien, ta duchesse!

Encore et toujours, ajouta-t-il en appliquant un coup de cravache significatif à sa jument, qui fila comme un boulet.

Deux jours après son éclat inutile, madame de Langeais écrivit à M. de Montriveau une lettre qui resta sans réponse, comme les précédentes. Cette fois, elle avait pris ses mesures, et corrompu Auguste, le valet de chambre d'Armand. Aussi, le soir, à huit heures, fut-elle introduite chez Armand, dans une chambre tout autre que celle où s'était passée la scène demeurée secrète. La duchesse apprit que le général ne rentrerait pas. Avait-il deux domiciles? Le valet ne voulut pas répondre. Madame de Langeais avait acheté la clef de cette chambre, et non toute la probité de cet homme. Restée seule, elle vit ses quatorze lettres posées sur un vieux guéridon; elles n'étaient ni froissées ni décachetées; elles n'avaient pas été lues. A cet aspect, elle tomba sur un fauteuil et

perdit pendant un moment toute connaissance. En se réveillant, elle aperçut Auguste, qui lui faisait respirer du vinaigre.

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La voiture venue, elle descendit avec une rapidité convulsive, revint chez elle, se mit au lit, et fit défendre sa porte. Elle resta vingt-quatre heures couchée, ne laissant approcher d'elle que sa femme de chambre, qui lui apporta quelques tasses d'infusion de feuilles d'oranger. Suzette entendit sa maîtresse faisant quelques plaintes, et surprit des larmes dans ses yeux éclatants, mais cernés. Le surlendemain, après avoir médité dans les larmes du désespoir le parti qu'elle voulait prendre, madame de Langeais eut une conférence avec son homme d'affaires, et le chargea sans doute de quelques préparatifs. Puis elle envoya chercher le vieux vidame de Pamiers. En attendant le commandeur, elle écrivit à M. de Montriveau. Le vidame fut exact. Il trouva sa jeune cousine pâle, abattue, mais résignée. Il était environ deux heures après-midi. Jamais cette divine créature n'avait été plus poétique qu'elle ne l'était alors dans les langueurs de son agonie.

- Mon cher cousin, dit-elle au vidame, vos quatre-vingts ans vous valent ce rendez-vous. Oh! ne souriez pas, je vous en supplie, devant une pauvre femme au comble du malheur. Vous êtes un galant homme, et les aventures de votre jeunesse vous ont, j'aime à le croire, inspiré quelque indulgence pour les femmes.

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- Elles sont heureuses de tout, reprit-il.

Ah! Eh bien, vous êtes au cœur de ma famille; vous serez peut-être le dernier parent, le dernier ami de qui j'aurai serré la main; je puis donc réclamer de vous un bon office. Rendez-moi, mon cher vidame, un service que je ne saurais demander à mon père, ni à mon oncle Grandlieu, ni à aucune femme. Vous devez me comprendre. Je vous supplie de m'obéir, et d'oublier que vous m'avez obéi, quelle que soit l'issue de vos démarches. Il s'agit d'aller, muni de cette lettre, chez M. de Montriveau, de le voir, de la lui montrer, de lui demander, comme vous savez d'homme à homme demander les choses, car vous avez entre vous une probité, des sentiments que vous oubliez avec nous, de lui demander

s'il voudra bien la lire, non pas en votre présence, les hommes se cachent certaines émotions. Je vous autorise, pour le décider, et si vous le jugez nécessaire, à lui dire qu'il y va de ma vie ou de ma mort. S'il daigne...

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-S'il daigne la lire, reprit avec dignité la duchesse, faites-lui une dernière observation. Vous le verrez à cinq heures, il dîne à cette heure, chez lui, aujourd'hui, je le sais; eh bien, il doit, pour toute réponse, venir me voir. Si trois heures après, si à huit heures, il n'est pas sorti, tout sera dit. La duchesse de Langeais aura disparu de ce monde. Je ne serai pas morte, cher, non; mais aucun pouvoir humain ne me retrouvera sur cette terre. Venez dîner avec moi, j'aurai du moins un ami pour m'assister dans mes dernières angoisses. Oui, ce soir, mon cher cousin, ma vie sera décidée; et, quoi qu'il arrive, elle ne peut être que cruellement ardente. Allez ! Silence, je ne veux rien entendre qui ressemble soit à des observations, soit à des avis. Causons, rions, dit-elle en lui tendant une main qu'il baisa. Soyons comme deux vieillards philosophes qui savent jouir de la vie jusqu'au moment de leur mort. Je me parerai, je serai bien coquette pour vous. Vous serez peut-être le dernier homme qui aura vu la duchesse de Langeais.

Le vidame ne répondit rien, il salua, prit la lettre et fit la commission. Il revint à cinq heures, trouva sa parente mise avec recherche, délicieuse enfin. Le salon était paré de fleurs comme pour une fête. Le repas fut exquis. Pour ce vieillard, la duchesse fit jouer tous les brillants de son esprit, et se montra plus attrayante qu'elle ne l'avait jamais été. Le commandeur voulut d'abord voir une plaisanterie de jeune femme dans tous ces apprêts; mais, de temps à autre, la fausse magie des séductions déployées par sa cousine pâlissait. Tantôt, il la surprenait à tressaillir émue par une sorte de terreur soudaine; et tantôt elle semblait écouter dans le silence. Alors, s'il lui disait :

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A sept heures, la duchesse quitta le vieillard, et revint promptement, mais habillée comme aurait pu l'être sa femme de chambre pour un voyage; elle réclama le bras de son convive qu'elle voulut

pour compagnon, se jeta dans une voiture de louage. Tous deux, ils furent, vers les huit heures moins un quart, à la porte de M. de Montriveau.

Armand, lui, pendant ce temps, avait médité la lettre sui

vante :

« Mon ami, j'ai passé quelques moments chez vous, à votre insu; j'y ai repris mes lettres. O Armand, de vous à moi, ce ne peut être indifférence, et la haine procède autrement. Si vous m'aimez, cessez un jeu cruel. Vous me tueriez. Plus tard, vous en seriez au désespoir, en apprenant combien vous êtes aimé. Si je vous ai malheureusement compris, si vous n'avez pour moi que de l'aversion, l'aversion comporte et mépris et dégoût; alors, tout espoir m'abandonne : les hommes ne reviennent pas de ces deux sentiments. Quelque terrible qu'elle puisse être, cette pensée apportera des consolations à ma longue douleur. Vous n'aurez pas de regrets un jour. Des regrets! ah! mon Armand, que je les ignore! Si je vous en causais un seul... Non, je ne veux pas vous dire quels ravages il ferait en moi. Je vivrais et ne pourrais plus être votre femme. Après m'être entièrement donnée à vous en pensée, à qui donc me donner?... à Dieu. Oui, les yeux que vous avez aimés pendant un moment ne verront plus aucun visage d'homme; et puisse la gloire de Dieu les fermer ! Je n'entendrai plus de voix humaine, après avoir entendu la vôtre, si douce d'abord, si terrible hier, car je suis toujours au lendemain de votre vengeance; puisse donc la parole de Dieu me consumer! Entre sa colère et la vôtre, mon ami, il n'y aura pour moi que larmes et que prières. Vous vous demanderez peut-être pourquoi vous écrire? Hélas! ne m'en voulez pas de conserver une lueur d'espérance, de jeter encore un soupir sur la vie heureuse avant de la quitter pour jamais. Je suis dans une horrible situation. J'ai toute la sérénité que communique à l'âme une grande résolution, et sens encore les derniers grondements de l'orage. Dans cette terrible aventure qui m'a tant attachée à vous, Armand, vous alliez du désert à l'oasis, mené par un bon guide. Eh bien, moi, je me traîne de l'oasis au désert, et vous m'êtes un guide sans pitié. Néanmoins, vous seul, mon ami, pouvez comprendre la mélancolie des derniers regards que je jette au bon

heur, et vous êtes le seul auquel je puisse me plaindre sans rougir. Si vous m'exaucez, je serai heureuse; si vous êtes inexorable, j'expierai mes torts. Enfin, n'est-il pas naturel à une femme de vouloir rester dans la mémoire de son aimé, revêtue de tous les sentiments nobles? Oh! seul cher à moi! laissez votre créature s'ensevelir avec la croyance que vous la trouverez grande. Vos sévérités m'ont fait réfléchir; et, depuis que je vous aime bien, je me suis trouvée moins coupable que vous ne le pensez. Écoutez donc ma justification, je vous la dois; et, vous qui êtes tout pour moi dans le monde, vous me devez au moins un instant de justice.

>> J'ai su, par mes propres douleurs, combien mes coquetteries vous ont fait souffrir; mais, alors, j'étais dans une complète ignorance de l'amour. Vous êtes, vous, dans le secret de ces tortures, et vous me les imposez. Pendant les huit premiers mois que vous m'avez accordés, vous ne vous êtes point fait aimer. Pourquoi, mon ami? Je ne sais pas plus vous le dire que je ne puis vous expliquer pourquoi je vous aime. Ah! certes, j'étais flattée de me voir l'objet de vos discours passionnés, de recevoir vos regards de feu; mais vous me laissiez froide et sans désirs. Non, je n'étais point femme, je ne concevais ni le dévouement ni le bonheur de notre sexe. A qui la faute? Ne m'auriez-vous pas méprisée, si je m'étais livrée sans entraînement? Peut-être est-ce le sublime de notre sexe, de se donner sans recevoir aucun plaisir; peut-être n'y a-t-il aucun mérite à s'abandonner à des jouissances connues et ardemment désirées. Hélas! mon ami, je puis vous le dire, ces pensées me sont venues quand j'étais si coquette pour vous; mais je vous trouvais déjà si grand, que je ne voulais pas que vous me dussiez à la pitié... Quel mot viens-je d'écrire ! Ah! j'ai repris chez vous toutes mes lettres, je les jette au feu! Elles brûlent. Tu ne sauras jamais ce qu'elles accusaient d'amour, de passion, de folie... Je me tais, Armand, je m'arrête, je ne veux plus rien vous dire de mes sentiments. Si mes vœux n'ont pas été entendus d'âme à âme, je ne pourrais donc plus, moi aussi, moi la femme, ne devoir votre amour qu'à votre pitié. Je veux être aimée irrésistiblement ou laissée impitoyablement. Si vous refusez de lire cette lettre, elle sera brûlée. Si, l'ayant lue, vous n'êtes pas trois heures après pour toujours mon seul époux, je n'aurai point de bonte à vous la savoir

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