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de persécuter Roscelin que de réformer ses moeurs, et il s'éleva contre notre pauvre compatriote un tel orage, qu'il courut risque de la vie et fut contraint de quitter l'Angleterre (1) et de venir redemander un asile à la France. Il paraît qu'il dut faire une rude pénitence et subir de sévères corrections, « ut aiunt, à canonicis verbe<<< ratus,» sans pouvoir rentrer dans ses droits et dans ses fonctions de chanoine (2). Dans sa détresse, Roscelin s'adressa à Yves, évêque de Chartres, et lui demanda une place dans son église. Mais la réputation de Roscelin était si mauvaise, qu'Yves n'osa point le recevoir; et dans une lettre qui nous est parvenue, motive son refus sur la crainte de se rendre susle prélat pect lui-même en accueillant Roscelin, et que son arrivée à Chartres n'y soit l'occasion de désordres : il va même jusqu'à dire qu'on pourrait bien le lapider (3). D'ailleurs il reconnaît

(1) Abæl. opp., ibid. « Ab utroque regno in

graves

cum

satus est, tam Anglorum scilicet quam Francorum,
quo conver-
summo dedecore expulsus est.... ut ad regis anglici imperium
ab Anglia turpiter impudens ejus contumacia sit ejecta et vix
tum cum vita evaserit.

(2) Ibid. « Et in ipsa, cujus pudore canonicus dicitur, beati Martini ecclesia, nunquam, ut aiunt, a canonicis verberatus, morem solitum servaverit. »

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(3) Iv. Carnot. opp., epistol. v11. « Et audito nomine tuo et pristina conversatione tua, more suo solito, ad lapides convolarent et lapidum aggere præfocarent. >>

qu'on l'a injustement dépouillé (1). Mais il se plaint qu'après sa condamnation il ait recommencé à répandre sa doctrine et d'autres tout aussi mauvaises. Il lui insinue qu'il doute de la sincérité de sa conversion actuelle, et l'engage à publier une rétractation formelle : à ce prix, il lui promet sa protection, le pardon de l'Église et un bénéfice (2). Roscelin ne suivit pas ce conseil. Est-ce alors ou auparavant qu'il écrivit une lettre contre le bienheureux Robert d'Arbrisselle, qui allait faisant partout des prédications ardentes, des conversions et des miracles? Abelard appelle cette lettre insolente : « Contumacem ausus est epistolam confingere (3)? » Roscelin reparaît dans l'histoire vers 1121, pour dénoncer à l'évêque de Paris, Guillaume, Geoffroi ou un autre (4), le livre d'Abélard sur la Trinité. On ne voit pas bien quel avait pu être son motif, mais il trouva dans Abelard un adversaire impitoyable. Celui-ci écrivit à l'évêque de Paris une lettre où, en repoussant la dénonciation de Roscelin, il l'accable sous l'histoire de sa vie, et lui prodigue les plus durs sarcasmes. Depuis, Roscelin disparaît entièrement, et on ne sait comment il a fini; mais il

(1) Ibid. « Si..... te afflixit et rebus tuis te nudavit quorumdam violentorum rapax avaritia. »

(2) Iv. Carnot. opp. epistol. vII. « Restat igitur ut palinodiam scribas..... sic..... beneficiis poteris ampliari. » (3) Abæl. opp. ibid. (4) Ibid.

n'y a pas un seul texte véritablement applicable à Roscelin d'où on puisse conclure qu'il se soit rendu et qu'il ait fait ses soumissions (1).

Telle fut la destinée du père du nominalisme. Il souffrit toute sa vie pour la même cause pour laquelle souffrit aussi, 300 ans plus tard, l'Anglais Occam, qui, sous tous les rapports, a tant de ressemblance avec Roscelin. Tous deux sont comme les héros du nominalisme, et ils en ont presque été les martyrs. Mais Occam, au XIVe siècle, devançait à peine son temps: même dans ses attaques contre l'autorité papale, il avait de son côté la moitié de son siècle, et il s'appuyait sur un roi et sur un empereur. A la fin du x1° siècle, Roscelin combattit et souffrit sans espérance. Il a laissé à la philosophie moderne ces deux grands principes: 1°. Il ne faut pas réaliser des abstractions; 2o. La puissance de l'esprit humain et le secret de son développement sont en grande partie dans le langage. Roscelin est le précurseur de l'école empirique. Sans doute cette école est bien faible encore dans Roscelin, mais elle commence avec lui pour ne plus finir. Il paraît qu'indépendamment de la témérité de ses opinions, l'inquiétude et l'opiniâtreté de son caractère ajoutèrent à ses malheurs; mais il ne faut pas oublier d'abord que

(1) Il n'est pas possible d'admettre à ce sujet les hypothèses de Mabillon ni celles des autres auteurs. Histoire littéraire, tome x, pag. 363.

nous le connaissons seulement par ses adversaires; ensuite que les opinions hardies et les innovations prématurées veulent de pareils caractères, et que ce n'est pas la parfaite sagesse qui entreprend et achève les révolutions même les plus utiles. Enfin, on ne peut pas du moins lui refuser une constance qui ne s'est jamais démentie. A tous ces titres, Roscelin a sa place dans l'histoire de l'esprit humain. Le nominalisme du xve et du XVIe siècle le désavoua, par calcul peut-être; celui du XVIIIe siècle ne s'est pas même souvenu de lui, et c'est un adversaire déclaré de l'école à laquelle il appartient qui le premier en France lui rend ce juste et tardif hommage (1).

Nous avons raconté les orages que souleva le nominalisme de Roscelin. L'anathème qui accabla les conséquences remonta jusqu'au principe. En voyant où conduisait la solution péripatéticienne du problème de Porphyre, on devait être naturellement tenté de se rejeter à l'extrémité opposée et dans la solution platonicienne, plus conforme et plus favorable à l'esprit du christianisme. La première solution avait jusqu'alors prévalu et régné presque sans partage, dans la parfaite ignorance des résultats qu'elle renfermait : le martyr

(1) Il y a en Allemagne un écrit assez insignifiant sur Roscelin: Chladenii dissertatio historica de vita et hæresi Roscellini; Erlang. 1756. Réimprimé dans le Thesaurus Biographie et Bibliographicus de Valdau; Chemnitz, 1792.

théologique de

Boëce et le bienheureux Raban-Maur sont péripatéticiens. C'est dans la résistance au nominalisme naissant que renaît à son tour et commence à se montrer sur la scène la solution platonicienne; car une opinion fortement prononcée a toujours pour effet de susciter une opinion contraire d'une égale énergie. Ainsi s'engage la lutte, et par la lutte marche l'esprit humain.

Le premier adversaire de Roscelin est, ainsi que nous l'avons vu, et devait être un prêtre orthodoxe.

Réalisme Anselme, Italien, que l'Église a canonisé pour saint Anselme. ses vertus et aussi pour son dévouement à la cause de l'autorité ecclésiastique, était élève de son compatriote Lanfranc, l'adversaire de Bérenger, et sortait de la célèbre école du Bec. Né avec le génie de la méditation, dans un autre siècle il eût été peut-être un grand métaphysicien; au XIe siècle, il concentra toutes ses forces sur la théologie, et avec un esprit naturellement vigoureux et élevé, il arriva à cette philosophie chrétienne qui lui a dicté le Monologium, le Proslogium et le Dialogus de Veritate. Sa méthode, car il en a une (1), est de partir des dogmes consacrés, et sans s'écarter jamais de ces dogmes, en les prenant tels que les donne l'autorité, mais en les fécondant par une réflexion profonde, de s'éle

(1) Cours de l'Histoire de la philosophie, de 1829, lecon 1x, pag. 346.

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